À lire l’opinion de Paul Bienbon dans « LLB » du 9 mai, intitulée « Cruel décret inscriptions », il semblerait qu’il y ait en Communauté française, aujourd’hui, un classement assez particulier des écoles en trois catégories : les bonnes, les potables et les autres.
Des bonnes, il y en aurait actuellement 62 toutes désignées du seul fait que, pour celles-ci, la demande d’inscriptions en 1ère secondaire en avril 2011 dépasse l’offre. Les potables seraient celles que les parents indiquent, contraints et forcés, du 2e au 10e choix possible sur leur document d’inscription. Et pour toutes les autres, imaginer les fréquenter semble être source de “tristesse désespérante” et de “pire souffrance”. Cette façon rapide de classer les écoles sur base des choix des parents, pour la plupart issus des milieux favorisés, est particulièrement choquante. Qui donc peut se permettre de juger qu’une école est bonne ou mauvaise “en soi” ? Et sur quelle base ? Par ailleurs, toujours selon l’auteur de cet article, les élèves devraient être répartis dans ces trois catégories d’écoles, non pas en suivant les critères négociés et votés démocratiquement, mais selon leur mérite propre, fruit de leurs efforts, et traduit dans des résultats. Comme si ces facteurs de réussite scolaire n’étaient pas socio-culturellement déterminés ! Qui mérite quoi et sur base de quels critères ?
Si on y regarde de plus près, une école perçue comme bonne est souvent une école qui réunit une majorité d’élèves des milieux aisés. Les jeunes en difficultés scolaires ou socio-économiques en sont facilement écartés par des mécanismes de lutte de places. Le travail des enseignants en est grandement facilité. De plus, les familles des jeunes qui y sont accueillis compensent les éventuelles difficultés d’apprentissage en mobilisant des ressources culturelles et financières privées. Où est le mérite des élèves ? Et celui des professeurs ?
Les écoles perçues comme mauvaises sont les écoles où les élèves arrivent par relégation ou impossibilité d’inscription dans une école perçue comme bonne. Ces écoles reçoivent donc les élèves dont personne ne veut parce que leur origine sociale les met en difficulté dans la confrontation à la culture scolaire. Les enseignants doivent développer des stratégies d’apprentissage bien plus créatives et énergivores que dans les écoles décrites ci-dessus. De plus, les familles de ces jeunes n’ont pas les moyens culturels ou financiers pour compenser leurs erreurs ou leurs manques. Les profs et les élèves qui arrivent dans ces écoles ont beaucoup de mérite.
Les bonnes écoles sont celles qui parviennent à garantir une formation de qualité à tous les élèves sans opérer de sélection sociale à l’entrée ! Et cela ne peut se faire sans une régulation des inscriptions sur base d’éléments objectifs, qui devrait par ailleurs s’étendre à tous les niveaux de l’enseignement obligatoire.
Bien sûr, cela ne suffit pas, il faut ensuite financer et accompagner pédagogiquement les écoles en prenant en compte les difficultés des élèves qu’elles accueillent pour qu’elles puissent assurer la réussite de tous. Le défi de la qualité et du mérite est là dans une société démocratique!
Anne Chevalier et Pierre Waaub, respectivement secrétaire générale et président de CGé