Doit-on pendre le “décret Robin des Bois” ?

Joëlle Milquet (CDH) a annoncé vouloir supprimer le décret “Robin des Bois”, un texte très décrié par les mondes enseignant et syndical. Que pensez-vous de cette déclaration ?

Par rapport au décret Robin des Bois, le CGé avait trouvé que c’était une décision qui pouvait se prendre de façon unique à un moment donné, dans la mesure où cela aurait pu être un signe fort – même si le montant n’est pas énorme (NdlR : 8 millions d’euros) – qu’un certain nombre d’écoles non pas “riches” mais “de riches” marquent leur soutien et leur solidarité envers d’autres écoles non pas nécessairement pauvres mais qui accueillent des élèves issus de milieux nettement plus défavorisés. Maintenant, si l’on trouve l’argent ailleurs, tant mieux ! Car nous pensons que les écoles dites riches auxquelles on retirerait cet argent n’en font pas nécessairement un mauvais usage ni qu’elles ont trop d’argent. Il n’y a pas d’écoles riches ou pauvres en termes de subventionnement de la Communauté française. Cependant, de notre point de vue, il est clair qu’il y a des écoles qui accueillent des milieux favorisés et des écoles qui accueillent des milieux défavorisés. Lorsqu’une école accueille un milieu favorisé, il y a une richesse d’ordre socioculturel qui permet de fonctionner avec plus de moyens, financiers parfois mais aussi socioculturels. En outre, on ressent sur le terrain que ce décret sème une sorte de zizanie, de “battez-vous” entre les institutions alors que nous aurions voulu que cela soit un signe clair de solidarité.

Jeudi dernier, plus de 10 000 enseignants descendaient dans la rue pour exprimer leur ras-le-bol et réclamer de meilleures conditions de travail. Or, le décret Robin des Bois vante l’apport de moyens supplémentaires pour engager des professeurs, des éducateurs…

Aux yeux des enseignants, ce qui ne convient pas c’est d’aller prendre l’argent chez les autres pour en avoir un peu plus chez soi, et c’est compréhensible. Par ailleurs, les écoles qui ont les moyens et qui vont être ponctionnées sont déjà stigmatisées par le décret inscriptions et elles sont re-stignatisées. Mais tout cela manque de vision globale : chacun regarde l’école à partir de ses lunettes. Or, il y des moyens non négligeables en Communauté française. Ne pourrait-on pas dès lors prendre un peu de recul et s’interroger sur la meilleure façon de les utiliser afin d’en tirer le meilleur profit pour tout le monde.

La part du PIB pour l’enseignement en Communauté française est, en effet, l’une des plus importantes de l’OCDE. N’est-ce donc pas un problème d’organisation de l’enseignement plutôt que de financement ?

C’est un problème d’organisation mais aussi de volonté de s’accorder pour regarder les choses d’un petit peu plus haut. Ainsi, si l’enveloppe reste fermée mais que l’on peut diminuer le taux de redoublement, on réduit aussi le budget car le redoublement représente 10 % du budget de la Communauté française. De même, la répartition des filières et des sections par bassins scolaires interréseaux reste lettre morte. Or, la multiplicité des filières qui doivent se retrouver dans une même région dans chaque réseau coûte très cher.

Le décret Robin des Bois s’inscrit dans le cadre du financement de l’enseignement différencié et poursuit aussi l’objectif de renforcer la mixité sociale. Un objectif atteignable ?

La mixité sociale ne peut pas se développer uniquement à l’école. Tant qu’elle ne fait pas partie d’une vision plus globale de la société – entre autre via le logement -, c’est un leurre. Donner des moyens ne suffit pas; les enseignants doivent être accompagnés dans cette mixité sociale. Et si cela se fait, ce sera très progressif et lent. Mais en attendant, il y a des urgences : c’est de la responsabilité de toute société démocratique de renforcer l’accompagnement et le financement de l’éducation pour éviter l’exclusion. On a tous à y gagner.

Entretien d’Anne CHEVALIER, Secrétaire générale du CGé : Stéphanie Bocart

Parru dans La Libre belgique le 10/05/2011