Après avoir tenté de déplier l’épineux problème de la progression des apprentissages, nous avons été confrontées aux difficultés, tout aussi importantes, de la gestion de classe.
Transmettre verbalement mes connaissances dans ce domaine, connaissances acquises par essai-erreur et automatisées depuis déjà longtemps, n’a pas été chose aisée pour moi.
Nos discussions se sont rapidement portées sur la classe fréquentée par des élèves particulièrement en difficulté d’apprentissage et au comportement perturbateur, mais je pense que les enseignantes des deux autres groupes en ont appris tout autant (il faudra le leur demander, ça fera l’objet d’un troisième article…).
Nous avions, au début de nos rencontres, des représentations sans doute bien différentes des élèves et de l’enseignement. Je ne me perçois pas comme celle qui détient l’autorité dans une classe, mais bien comme responsable de la mise en place de conditions propices à l’apprentissage et de leur maintien. J’explique pourquoi telle ou telle règle de conduite est nécessaire pour que chacun puisse apprendre.
Ces idées n’étaient pas celles de ma collègue titulaire du groupe difficile qui tentait d’apprendre à lire à ses élèves, certains étant extrêmement perturbateurs. Refusant d’être autoritaire, attentive aux enfants les plus en difficultés, je l’ai vue, en début d’année scolaire, se laisser complètement déborder par son groupe. Les deux autres collègues, très à l’écoute des problèmes de l’une ou de l’autre, ont proposé d’accueillir dans leur classe un enfant perturbateur.
Je me suis opposée à cette initiative, tout en essayant de reconnaitre les difficultés de cette collègue. Mais alors qu’il m’est très simple de justifier professionnellement les raisons d’un choix didactique, il m’a semblé ici que les raisons que j’avançais étaient plus des raisons personnelles que professionnelles. J’identifiais mal les habiletés qui étaient les miennes, habiletés acquises tout au long de vingt-cinq ans d’enseignement. J’étais, en effet, souvent capable de résoudre les problèmes de discipline parce que je gérais les évènements et les comprenais, parce que je formulais des hypothèses sur les causes des comportements inadéquats et parce que je pouvais suggérer des solutions adéquates, autres que le changement de classe de l’enfant perturbateur. Souvent aussi, je cherchais le rôle de la stratégie d’enseignement et du matériel que j’avais choisi d’utiliser dans l’apparition des problèmes : l’oubli de différencier les bandelettes des quatre enfants d’une même table, la lecture d’un livre au coin à paroles devant certains enfants si mal placés qu’ils ne peuvent voir les illustrations, un travail de groupe exigé avant même que chaque élève n’ait pu réaliser une production personnelle. Mais je n’ai pris conscience de ces habilités qu’aujourd’hui, après avoir accepté ce rôle de référent ! C’est en écoutant les difficultés de cette jeune collègue que je me suis rendu compte de tout ce que j’avais acquis en gérant quotidiennement une classe !
Tout cela, il fallait le transmettre à de jeunes collègues, enthousiastes, mais dépassées, en tout cas pour l’une d’entre elles, par le défi de taille que représente la gestion de classe.
Nous avons souvent parlé des enfants perturbateurs et en grande difficulté d’apprentissage, tout au long de cette année scolaire. J’ai expliqué des notions de gestion de classe, donné des conseils (centrer nos interventions disciplinaires sur le comportement nécessaire pour que chacun apprenne et ne nuise pas à l’apprentissage d’autrui), des recettes (exiger que chaque enfant se mette au travail et les manières de le vérifier rapidement, limiter le temps d’une séquence d’apprentissage à vingt minutes en début de 1re année), j’ai été d’accord avec certains de leurs choix et je me suis opposée à d’autres. Il me semble qu’aujourd’hui chacune d’entre elles connait mieux ses propres représentations des élèves et de l’enseignement. Elles connaissent de mieux en mieux leurs élèves, ce qui leur permet sans doute d’ajuster leur image personnelle d’enseignant. Mais ai-je joué un rôle dans cette évolution ? Je n’en suis toujours pas convaincue, tant il m’a semblé difficile de transmettre les faits et gestes pour gérer une classe, faits et gestes qui ne peuvent se réduire à une activité technique !