La terre tourne aussi sous le foulard.
Michel Staszewski et Pierre Waaub ont abordé, dans les pages d’Échec à l’échec[1]Voir les numéros 158 et 159., la question du port du foulard dans les écoles, foulard porté par les jeunes filles musulmanes. Je voudrais mettre en évidence dans cet article d’autres questions et d’autres réflexions qui peuvent se poser quand des adultes, enseignantes, portent le foulard dans l’école.
De plus en plus de femmes musulmanes font des études supérieures en Belgique et deviennent enseignantes, médecins, ingénieurs,…. Je suis de ceux qui sont ravis de voir un auditoire universitaire parsemé de chevelures frisées, de barbes fournies et de têtes couvertes du foulard. J’ai alors le sentiment que la société dans laquelle je vis est en train de réussir quelque chose pour laquelle je milite depuis longtemps.
Dans l’enseignement fondamental non confessionnel, des cours philosophiques sont organisés : cours de religion catholique, islamique, orthodoxe, protestante, juive, etc. et cours de morale laïque, en fonction de la demande des parents. Là aussi, il arrive de plus en plus souvent que le cours de religion islamique soit donné aujourd’hui par une femme, portant parfois le foulard. Quand, dans le même établissement, plusieurs femmes, certaines avec le foulard, d’autres pas, sont chargées de ce cours, des débats, parfois inattendus, surgissent. Les femmes non voilées peuvent mal accepter le foulard de leurs collègues : elles sont en effet parfois sujettes à de violentes critiques de la part de certains parents qui trouvent que le port du foulard est une garantie de la qualité du cours de religion islamique. Les femmes couvertes du foulard, quant à elles, peuvent se voir refuser la charge du cours parce que d’autres parents se plaignent de la présence d’enseignants portant des signes extérieurs de leur religion. De nombreuses discussions, dans la salle des profs, dans les réunions syndicales, dans les bureaux communaux, aboutissent alors à des décisions avec lesquelles on peut être d’accord ou pas.
Le voile ne fait pas le moine
Pourtant, l’essentiel du problème n’est pas là, à mon avis, même si je reconnais que ces situations doivent être difficiles à vivre par ces femmes, portant le foulard ou non, mais toutes enseignantes. La question essentielle dont il est urgent de débattre porte sur le contenu des cours philosophiques, qu’ils soient donnés par des enseignantes avec le foulard ou pas, portant ostensiblement la croix ou pas, à la chevelure longue ou pas !
Mon expérience personnelle m’a conduit à me méfier fortement du lien qui est fait entre l’ouverture d’esprit d’un professeur de cours philosophique et les signes extérieurs vestimentaires ou autres qu’il porte. On peut d’ailleurs généraliser cette remarque à tous les enseignants, quelle que soit leur discipline. Cependant, la formation, la désignation et le contrôle des enseignants des cours philosophiques ne suivent pas les mêmes voies que pour les autres enseignants. Il n’appartient pas, par exemple, à la direction d’une école fondamentale communale, d’écrire un rapport sur les professeurs de cours philosophiques alors que le PO (pouvoir organisateur) le lui demande pour les autres enseignants.
Les enfants de primaire, dès l’âge de huit ans, sont très intéressés par les origines de l’homme. Je conçois donc régulièrement des activités pour cerner leurs questions et tenter de leur faire construire des débuts de réponse. Je me heurte de plus en plus régulièrement et de plus en plus fort à leurs convictions religieuses : l’homme, c’est Dieu (Allah, Yahwé ou un autre) qui l’a créé. Je suis moi-même athée : les enfants trouvent alors normal que moi, je leur raconte des histoires de Big Bang et d’apparition de la vie dans l’eau, que je mette en évidence les nombreuses incertitudes pour lesquelles on cherche encore des réponses sans plus recourir aujourd’hui à la création de divinités. Ils terminent souvent par ” Pour toi, c’est normal, puisque toi, t’as pas de dieu ! “.
Bing, bang dans un jeu de quilles
J’ai alors pensé inviter en classe des représentants du clergé de différentes religions pour qu’ils discutent avec les enfants de l’époque à laquelle les textes sacrés (Bible, Coran, Torah,…) ont été écrits, des questions qui préoccupaient les hommes à cette époque, de l’interprétation qu’on peut encore en faire aujourd’hui, de la pertinence de l’existence des religions actuellement pour définir, suivant différentes approches, les notions de bien et de mal, etc.. Et puis j’ai pensé aux professeurs de cours philosophiques, régulièrement présents dans notre école et déjà bien connus par les enfants. Je leur ai donc demandé de discuter avec les enfants des sujets que je viens de citer. Quel ne fut pas mon étonnement quand ils ont pratiquement tous refusé, non seulement d’aborder les sujets avec les enfants, mais même d’en discuter avec moi. L’entretien se terminait chaque fois quand je leur rappelais l’épisode bien connu de Galilée (” et pourtant, elle tourne “). L’Église catholique a reconnu s’être trompée, il n’y a pas si longtemps ! Ces professeurs ont tenu à me remettre à ma place (” C’est mon cours, ce n’est pas le tien “) et à me rappeler que c’était bien Dieu, Allah ou un autre qui avaient créé l’homme !
Depuis, j’ai pris contact avec différents représentants des différents clergés qui ont des propos bien plus nuancés que ces enseignants. Ils viendront bientôt en classe et nous en discuterons avec les enfants. Je pense ainsi participer un peu à l’éducation philosophique de ces enfants, éducation qu’ils ne reçoivent pas, la plupart du temps, dans des cours qui portent pourtant ce nom !
Le lien avec le port du foulard ? La seule personne avec qui j’ai eu l’impression de réellement discuter, dans un respect mutuel et dans un souci de la formation des enfants est l’enseignante voilée du cours de religion islamique !
Notes de bas de page
↑1 | Voir les numéros 158 et 159. |
---|