Dans les textes de Maryam, les verbes à l’imparfait, à la 3e personne du singulier se terminent souvent par « er » (il connaisser, il courer) mais elle n’écrira jamais « il connaissét » ou « il courét ». Francisco, lui, prononce souvent le mot « noirte » mais hésite à l’écrire tel quel. Allys écrit « des vêtements de laines » avec un « s » à laine et le justifie fièrement : « Laine dit comment sont les vêtements, ça va avec vêtements, donc, je mets s ».
Ces « inventions » de mes élèves, leurs idées orthographiques, rencontrées jour après jour, année après année, m’ont permis de mieux comprendre comment les élèves de 5/6e primaires abordent le fonctionnement de l’orthographe. Partir d’eux en orthographe, c’est, comme le dit Danielle COGIS dans son livre Pour enseigner et apprendre l’orthographe, être capable de décrypter les questions et les graphies de mes élèves, de suivre leurs raisonnements, d’interpréter ce qu’ils disent et pensent, en bref, être capable de donner du sens à ce qu’ils font.
Mes élèves écrivent des textes libres quotidiennement, pendant une semaine. Ils choisissent ensuite le texte qu’ils vont lire à la classe et afficher sur les murs du couloir. Ce texte est retravaillé individuellement tant pour la forme que pour l’orthographe, un quart d’heure chaque jour, pendant une autre semaine. Pour vérifier l’orthographe de leur texte, les enfants doivent passer systématiquement par certaines étapes : couper le texte en phrases (la lecture à haute voix les aide beaucoup), accorder les sujets et les verbes, les noms et les déterminants, les noms et les adjectifs, vérifier les homonymes vus en classe et enfin rechercher l’orthographe de trois mots au dictionnaire.
Quand les enfants viennent me proposer leurs différentes réflexions orthographiques, c’est alors que je peux comprendre les raisons qui les ont poussés à se décider pour l’une ou l’autre graphie.
Alberto écrit : « Ont a vu les tableaux de Magritte. » Quand il vérifie ses homonymes, il me dit qu’il a écrit « ont » parce que « on » signifie « nous », « nous » c’est beaucoup, donc il faut une marque du pluriel, c’est pour cela qu’il écrit « ont ».
Giuseppe écrit : « Mes poissons tournent en rond. Je voudrais les donners. » Quand il vérifie ses accords noms/déterminants, il me dit que « donner » est un nom puisque il y a les devant. Il écrit donc un « s », marque du pluriel des noms, à la fin du verbe « donner ».
Pour faire évoluer les conceptions orthographiques de mes élèves sur un accord sujet/verbe ou sur la graphie d’un homonyme, par exemple, je leur propose régulièrement des activités[1]Ce dispositif, avec beaucoup d’autres, est décrit dans le livre cité plus haut de Danièle COGIS, Pour enseigner et apprendre l’orthographe, Delagrave, 2005. qui me permettent de travailler, avec eux, la manière dont ils interprètent ce qui leur est enseigné.
Alexander avait écrit dans son texte libre : « Si je vais au foot, ces le mercredi mais alors je ne pourai plus resté à l’école. » Je dicte cette phrase à tous les enfants de la classe. Je recopie ensuite au tableau la phrase écrite par un élève sous cette dictée. Aujourd’hui, je prends celle de Karima : « Si je vai au foot, s’est le mercredi mes allors je ne pourrais plus rester a l’école ». Pour chaque mot, je recueille ensuite les graphies de chacun des élèves, pour autant qu’elles soient différentes de celles déjà écrites au tableau.
Si je vai au foot, s’est le mercredi mes allors je ne pourrais plus rester a l’école.
Les enfants vont devoir expliciter leurs choix graphiques et débattre entre eux des arguments. Tout ne sera pas discuté mais, ce mardi, j’ai choisi de réinvestir le travail fait sur les homonymes et les déterminants possessifs. Les enfants se mettront vite d’accord sur la graphie du mot « mais ». « Mais » sera écarté après une courte discussion sur l’opportunité de mettre un point ou non après « mercredi ». Nous n’aurons pas le temps de traiter des deux graphies « a » et « à », tant la discussion autour du « c’est » a été animée !
Mélissa a commencé par refuser le « s’est » parce que « avec un seul s, ça se dirait [zes] et ça, ça ne va pas ! C’est pas comme ça qu’on dit ! » Nous avons repris le livre que nous lisions en classe pour y retrouver des exemples de « s’est » et de « c’est » et… constater qu’il s’agissait bien d’homonymes !
Nous avons alors cherché le sens à donner à « s’est » et à « c’est » dans les phrases que nous avions relevées dans le livre de lecture. La graphie « c’est » est restée sans explication ce jour-là (le « cela est » ne suggère rien aux enfants de 11 ans !)
Sara a proposé un sens pour la graphie « s’est » : « C’est pour dire qu’on se fait quelque chose à soi-même. » Alaaedine a acquiescé en donnant un autre exemple : « Il sait mettre son manteau. » Silence dans la classe… Inês confirme : « Ben, oui, il se met son manteau. » Et Sara reprend : « Oui, il se met son manteau mais dans cette phrase-là, on dit qu’il sait faire quelque chose pas qu’il se fait quelque chose à lui ! » Et Bruno continue : « C’est comme dans “elle sait acheter des vêtements”. » « Non, là, c’est vraiment se faire quelque chose à soi-même. Elle s’est achetée des vêtements »… Ah ! La langue française…
Ces moments de discussion autour de l’orthographe sont de réels moments de plaisir, tant pour les enfants que pour moi. J’aime entendre et essayer de comprendre les arguments que donnent les enfants, j’aime être témoin de leur prise de conscience de ce qu’ils comprennent enfin (« Mais je ne savais pas ça, moi ! »), j’aime participer à l’enthousiasme général. À la fin de chacune de ces activités, je prends note des nouveaux arguments qu’ont donnés les enfants pour justifier l’une ou l’autre graphie. On aurait dit, il y a quelques années, que ce cahier renfermait des perles d’enfants… Aujourd’hui, j’utilise son contenu pour mieux comprendre comment pensent les enfants dans ce domaine où on a tellement l’habitude de dire qu’ils font tellement de fautes !
Les enfants, eux, accueillent ces activités avec des expressions et des gestes qui ne laissent aucun doute : ils aiment ça ! Sans doute parce que, comme l’écrit Thérèse GILBERT dans son article Des occasions de réfléchir mathématiquement[2]TRACeS de changements n° 198, nov-déc 2010., ces activités sont « des défis à la mesure des élèves, défis qui s’énoncent simplement et qui les plongent très vite dans une recherche sans qu’ils aient besoin de beaucoup de connaissances. », des occasions de réfléchir orthographiquement ! Et réfléchir, penser, raisonner… les enfants aiment ça… pour autant que l’on parte de ce qu’ils savent déjà, que l’activité leur permette de se rendre compte de ce qu’ils apprennent et que l’on cesse de dire que l’expression de leur soif de savoir, c’est une faute !