Le métier d’éducatrice dans une école primaire n’est pas toujours enviable. Ce métier est surtout multiple et recouvre des réalités très diverses selon les écoles.
«Un des problèmes de notre métier, c’est que nous n’avons pas besoin de diplôme pour être engagées. D’ailleurs, moi non plus je n’en ai pas. Comme peu de gens désirent réellement faire ce boulot, la commune prend ce qui vient et beaucoup d’éducatrices sont des fonctionnaires installées derrière leur bureau. La différence d’investissement est vraiment flagrante. Je comprends que l’image des surveillantes chez les instituteurs et les parents ne soit pas toujours bonne!
On ne nous propose pas de nous former, la commune ne nous tient pas au courant des formations qui existent, il n’est pas prévu de journées pédagogiques pour nous. L’année passée, nous nous sommes renseignées parce que nous voulions suivre une formation des CEMEA (Centres d’entrainement au méthodes d’éducation actives): nous devions payer la formation nous-mêmes et ces journées auraient été considérées comme non prestées parce que la commune devait payer des remplaçants.
Assurer
En fait, nous faisons ce que nous voulons, du moment que ça roule, que le service est assuré. J’organise donc moi-même mon travail. J’ai choisi de travailler les devoirs avec les enfants. Tous les soirs, j’apporte une aide individuelle à ceux qui en ont besoin et le mercredi après-midi, je prends pendant une heure quelques enfants ayant de plus grosses difficultés. Mes collègues ont accepté de prendre en charge les autres enfants de mon groupe pendant ce temps. Je ne suis pas tenue de faire ce travail, mais cela m’a permis d’avoir un chouette contact avec les institutrices et les parents. Ils sont très demandeurs, parce qu’eux-mêmes ne savent pas comment faire, ils ne connaissent pas toujours la langue, ou ils arrivent essoufflés à six heures moins le quart et ont encore mille choses à faire avant le soir.
Avec les institutrices, nous parlons beaucoup des enfants que j’aide pour les devoirs. Je passe dans leur classe pour savoir si ça va mieux avec tel ou tel enfant, ou pour mieux comprendre certains comportements. Certains enfants font des crises, ou arrivent en larmes. Les institutrices sont mieux au courant de ce qui se passe dans les familles: séparations, naissances, difficultés. En apprenant les causes, j’adapte mon comportement face à ces crises.
Structurer
Avec les enfants, je suis obligée d’être très sévère. Au début de l’année, je mets généralement un mois à obtenir les choses essentielles: m’obéir, se mettre à ses devoirs, suivre les règles d’un jeu… Les enfants qui viennent à la garderie sont des enfants qui ne font pas d’activités externes à part l’école. Ils n’ont pas l’habitude de ce que je leur demande. Je travaille beaucoup à structurer le groupe. Quand je propose un jeu, un chant, une danse, je sens qu’il faut leur apprendre les bases, apprendre à travailler en équipe aussi. Chaque enfant est tourné sur lui et les rapports sont souvent violents: on crie, on se donne des coups pour régler les conflits. Installer d’autres rapports et quelques règles demande beaucoup de temps avant de passer à l’activité proprement dite.
Ils ont aussi des problèmes de concentration et ne tiennent pas dans le temps; ils ne se sentent pas capables, renoncent vite devant les difficultés. Il faut beaucoup les regarder, les encourager, les pousser… Mais quand il y a réussite, ils s’ouvrent. Je ne veux pas crier cocorico, mais il y a vraiment quelque chose qui se passe. Ce manque de confiance en eux, je le sens aussi chez les parents. Fatigués, énervés, peut-être eux-mêmes dévalorisés, ils parlent de manière négative de leur enfant: «Oh, lui, vous savez, ça ne vaut pas la peine. Il n’y arrivera pas.»
Ce travail est très solitaire, mais on s’habitue. Il n’y a pas de lieu pour parler de ce que j’ai mis en place, personne ne vient me poser de question. Il y a juste, Joëlle, une de mes collègues en maternelles qui travaille dans la même direction que moi. Avec les autres, on ne parle pas boulot. J’ai essayé une ou deux fois d’organiser une activité avec d’autres surveillantes mais j’ai abandonné, elles ne sont pas prêtes à prendre ou suivre des initiatives parce qu’il y aurait des préparations… Nous avons bien trois ou quatre réunions par an, animées par la chef éducatrice, mais la plupart du temps, c’est lamentable. Tout le monde s’en fout et se demande pourquoi ces heures de travail en plus. Il est impossible d’entamer une discussion de fond.
Notre chef éducatrice est cependant une aide solide. Elle soutient les initiatives et fait tout ce qu’elle peut pour les rendre possibles: soulever les interdits, réserver un bus ou un local, organiser les remplacements.
Je peux dire que j’aime mon métier et je trouve, sans prétention, qu’on peut faire du bon boulot. Mais je suis une exception dans ma position d’enthousiasme. Beaucoup se plaignent des enfants et des conditions de travail: horaires coupés, carence de matériel, statut,… sans chercher à ce que ça se passe mieux. Nous pourrions certainement faire beaucoup plus si nous étions un meilleur groupe.
Essayer
Certaines initiatives, d’ailleurs, sont bloquées. À midi, je m’occupe d’une cinquantaine d’enfants, dans un réfectoire qui en regroupe 300, serrés comme des sardines. C’est le moment le plus dur, dans lequel il n’y a pas grand-chose à inventer, si ce n’est distribuer la soupe non consommée aux enfants sans réel pique-nique! J’en ai fait la demande à la direction, qui m’a dit non parce que ce n’était pas juste vis-à-vis des enfants qui payaient. Je le fais quand même, avec cette bonne vieille idée que quand on a quelques légumes dans le corps, c’est mieux.
Il faut dire aussi que nos conditions de travail se sont dégradées au moment où la commune a décidé des restrictions budgétaires dans l’enseignement. Nous avons perdu la possibilité de faire des heures supplémentaires rémunérées, notamment en remplacement des instituteurs absents (les enfants sont maintenant répartis dans les autres classes) et lors de certains congés scolaires. Nous ne pouvons plus partir avec les enfants en camps de vacances. Nous n’avons plus de budget pour acheter du matériel: ce dont nous estimons avoir besoin doit sortir de notre poche. Il faut donc encore en mettre un peu plus de nous-mêmes, et les différences s’agrandissent.