On joue à touche-touche ?

Bisoux, câlins, doudouces… ces touchers-là sont-ils toujours exempts de violence ? Comment apprendre avec les tout petits à les accepter ou à les refuser ?

7.2.jpg La mère : « As-tu passé une bonne journée à l’école ? »

Célie, 7 ans : « Aujourd’hui j’étais assise à côté de Lucette (son institutrice) et j’ai pu caresser son pantalon ! »

Gilles, enseignant : « Moi j’évite de toucher les élèves, depuis l’affaire Dutroux, on se méfie des hommes ! »

Caroline, étudiante à l’école normale : « Il ne faut pas donner de la tendresse aux enfants, c’est le rôle des parents, nous on ne doit pas se substituer à eux et en plus on risque de faire du favoritisme et des jaloux. »

« Ils risquent de s’attacher à nous, ce n’est pas bon, ils auront du mal quand ils devront se séparer de nous à la fin de l’année. »

« Je ne supporte pas qu’on me touche ! »

« Ma mère a été battue quand elle était enfant, elle a mis un point d’honneur à ne jamais lever la main sur ses enfants ! »

Un coup de pied, un croche-pied, un enfant qui se fait bousculer, un autre se fait empoigner par son manteau pour le faire avancer ; attraper un enfant par le poignet, c’est plus rapide que de prendre le temps de lui donner la main…

Géraldine et Laura, heureuses de se retrouver se tiennent tendrement dans les bras l’une de l’autre…

Ce sont là des histoires banales, quotidiennes à l’école, vécues dans les classes, recueillis au cours des formations… Pour les enfants qui les vivent, ou les subissent, est-ce vraiment banal ?

Pas touche sans tact

De par mon métier (animer les danses collectives traditionnelles, les rondes, les jeux dansés, les jeux chantés), je suis quotidiennement touchée par ce contact physique que l’on nomme le toucher. Aborder ce sujet en formation d’enseignants suscite inévitablement des réactions passionnées et passionnelles. Le toucher nous ramène chacun à notre histoire d’enfant et/ou de parent, réveille des souvenirs remplis de tendresse. Mais cela ravive aussi nos blessures, dues au manque ou à l’envahissement, aux petites et/ou grandes agressions physiques, qui ont laissé des cicatrices plus ou moins lisibles pour notre conscience, qui ont façonné notre manière de toucher, de se laisser toucher ou d’être « touché » par les enfants. Le système d’alarme de notre inconscient s’allume, il vérifie si nos carapaces sont toujours bien en place.

Et si avoir du tact était une qualité qui se développe en même temps que la qualité du toucher ?

Que mettons-nous en place dans ce domaine-là à l’école ? Quelle qualité de tact et de toucher proposons-nous à nos élèves ? Les enfants nous imitent et se nourrissent de qui nous sommes ; quel modèle leur donnons-nous ?

Dans tous les pays du monde, les mamans ont chanté des berceuses pour apaiser leurs bébés, pour apaiser les pleurs, pour apaiser les peurs, pour apaiser le cœur.

Les jeux de doigts, les jeux de nourrices, les comptines à chatouilles… Tous ces jeux répondent aux besoins de toucher et d’être touché, aux besoins de contacts physiques. Ces jeux sont très codifiés. Ces codes agissent comme des repères pour les adultes : qu’avons-nous le droit de faire avec l’enfant ?

Les chansons organisent les limites et les rites. Pour les enfants, c’est sécurisant. Ils repèrent à quel moment arrive chaque geste, quelles sensations leur corps reçoit, ils se préparent aux chatouilles, à être renversés ou projetés en l’air, ils aiment cette caresse de nos doigts sur leurs mains…

« Encore ! » disent nos enfants en riant.

Ils sont confiants, ils savent qu’ils seront accompagnés quand arrivera la bousculade, quand ils sont sur le cheval au nez tout pelé, quand ils deviennent ce bonhomme tout mouillé car le bateau s’est renversé.

Ils se préparent afin de ne pas se faire attraper par la baleine dévorante, ils savent que les chatouilles iront dans la main, ou dans le cou ou dans le dos, selon les chansons. Ils choisissent la chanson qui leur plait. Et parfois ils me disent : « Non, pas ce jeu-là ! » ou « Je n’aime pas cette chanson ».

Le chat près du feu

Les enfants sont assis en cercle. Au milieu du rond, j’ai préparé la couverture du chat. Je demande à Donovan s’il est d’accord de se coucher sur la couverture, comme un petit chat qui dort. Donovan veut bien, ce qui n’est pas nécessairement vrai pour chacun, et dans ces cas-là on choisira un autre enfant. Alors je chante pour lui :
« Seul au coin du feu,
Le chat grogne,
Le chat grogne
Seul au coin du feu,
Le chat grogne
Et dit qu’il pleut. »

Puis, tous ensemble, nous appelons le chat en grattant le sol avec nos ongles : « Minet…te, minet…te, minet…te ».

Alors, « le chat » s’étire et s’approche d’un enfant qu’il choisit. Il lui fait une « doudouce » de chat. (Ben oui ! Vous avez déjà vu comment un chat vient se faire câliner !) Donovan caresse doucement le ventre de David avec sa tête.

David est ravi d’être choisi. Il est l’élu, il a le sourire du Roi David, qui brille jusque dans ses yeux. À son tour, il va se coucher sur le tapis du chat. Nous chantons pour lui. À la fin de la chanson, il choisit Fabrice pour lui faire une doudouce. Fabrice ne veut pas, pour des raisons que j’ignore. Je vérifie si c’est un vrai non en observant la position courbée de son corps et son regard fuyant qui semblent confirmer sa réaction. Je le verbalise : « Tu n’as pas envie ? Tu n’es pas obligé. » David part à la recherche d’un enfant qui a envie. Il est un peu déçu, il se réjouissait tant de faire cette doudouce à Fabrice. Quand Marie accepte, il semble se consoler de ce refus. Marie va se coucher sur le tapis du chat.

Et l’histoire continue. Certains enfants ont besoin d’être rassurés, ce n’est pas facile d’aller, tout seul, au milieu du rond. Au fur et à mesure que les enfants se sentent en confiance et en sécurité, ils prennent de l’assurance, et ils éprouvent aussi de plus en plus de plaisir à donner, et à recevoir ce petit câlin. Sachons que chaque fois que le corps est touché, c’est l’être tout entier qui est « touché ».

Et si on mettait plusieurs chatons sur le tapis ? Les rires se pointent. C’est si bon d’être là, tout serrés sur ce petit tapis. Et on se fait des doudouces et des câlins. Et la semaine suivante on en redemande. Le chat fera une doudouce près du visage, peut-être.

Et nous participons à leurs rires et leurs sourires. Si nous le voulons, nous pouvons même recevoir et donner, comme eux, des doudouces de chat. En toute sécurité.