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Nouvel avatar du tout sécuritaire actuel, une circulaire du ministre de l’Intérieur, discrètement parue au Moniteur le 24 juillet 2006, fait-elle office de bans officiels des futures fiançailles entre la police et l’école ? Il y est en tout cas question de « partenariats », d’« engagements », de « conventions »…

181007.jpgAujourd’hui, il est demandé à la police locale de créer un point de contact permanent pour les écoles de son territoire, comme première mise en œuvre d’un partenariat engagé. Un grand nombre d’acteurs du monde scolaire s’inquiètent de la présence de plus en plus permanente des forces de l’ordre dans les lieux d’éducation et de leurs missions de plus en plus intrusives.

La police, gestionnaire du décrochage scolaire ?

La circulaire justifie son existence par les récents évènements dramatiques qu’a connus notre pays. Dans ce cadre, elle traite spécifiquement de la violence, de la menace avec violence et de l’extorsion (le « steaming »), de la détention d’armes par les jeunes. L’Intérieur ne s’embarrasse d’aucune précaution pour désigner les fauteurs de trouble : « les jeunes en décrochage scolaire ». La mission première du fameux point de contact sera donc d’obtenir une transmission d’informations relatives à l’absentéisme. Ce qui disqualifie tous les dispositifs pédagogiques d’accrochage scolaire tels que les professeurs, éducateurs, médiateurs, équipe mobile, centres PMS, SAJ ou encore AMO pour ne citer que ceux-là.
Toutefois, et selon la police, il existe encore d’autres déviants qui mettent en danger un environnement scolaire sûr. Ce sont des personnes ou organisations qui ont « un style de vie et/ou une vision « déviante » et qui pourraient influencer les jeunes d’une manière négative ». Il convient d’y mettre le holà en déterminant, d’une manière « claire et conviviale (sic) les procédures de renvoi et de collaboration entre la police et les communautés scolaires ».
La police sort du cadre défini dans la loi sur la fonction de police. Il n’est plus seulement question de prévention d’un délit, mais de la vision policière du déviant et du traitement qu’il conviendrait de lui administrer. Ce dernier est sans doute assez différent des missions officiellement reconnues aux établissements scolaires. L’école a-t-elle à ce point renoncé à son ambition d’éducation dans la différence ? À soutenir et stimuler le développement de toutes les personnalités, de tous les styles de vie ? Notre société acceptera-t-elle que l’école abdique son idéal émancipateur pour se transformer en vulgaire auxiliaire de police prompt à la délation ? La police va-t-elle prendre en charge la mission d’éducation, laissant l’enseignement aux écoles ? L’école est-elle consentante ou n’est-ce encore que le souhait d’un ministre éperdu de politiques sécuritaires ?
Injonction est en tout cas donnée aux forces de l’ordre de mettre en place des partenariats, de prévoir un point de contact permanent permettant le développement de conventions pratiques. Il apparait donc clairement que c’est la police qui est demandeuse et non l’école. Il est même précisé que si la zone [de police] ne connait pas de problèmes dans ce domaine, il est tout de même fortement préconisé de prendre préventivement et de manière proactive certaines mesures et initiatives. Dès lors, il semble bien qu’aucune raison valable ne peut s’opposer à la création de ces points de contact permanents.
Cette circulaire illustre par l’absurde la dérive sécuritaire actuelle et les remèdes dangereux appliqués à des problèmes réels. En effet, comment maintenir l’ensemble des jeunes dans le parcours scolaire, parcours complet qui devrait être synonyme de socialisation et d’intégration réussie dans notre société ? L’action de la police à l’école doit être limitée aux cas de force majeure à la demande de l’école. La police est certes très utile mais n’est pas un acteur éducatif. Si les écoles ont des difficultés, il convient avant tout de renforcer leurs structures d’encadrement propres. Ces fiançailles doivent être rompues pour éviter un mariage contre nature qui verrait, pourquoi pas, un policier au fond de chaque classe…

Réactions de certaines organisations

La plupart de ces organisations dénoncent la différence de logiques de travail et de finalités radicales entre la police et l’école : comment la police pourrait-elle intervenir autrement que sur le mode répressif sur la question du décrochage scolaire ? Et pourquoi stigmatiser ainsi les jeunes décrocheurs, assimilés implicitement à de potentiels délinquants ? Autre exemple : sur quel registre pourrait-elle travailler la question du « style de vie » ? Comment la police pourrait-elle définir la « normalité » ?
Si la visée est vraiment éducative comme le déclare le ministre de l’Intérieur, pourquoi ne pas avoir renforcé l’action et les moyens alloués au secteur Jeunesse et de l’Aide à la Jeunesse… ou à l’école qui travaillent déjà ces questions avec une expérience et un cadre reconnus ? C’est comme si de plus en plus, on demandait à tout le monde de faire un peu de tout, et surtout assez de répressif.
Le Service Droit des Jeunes et la Ligue des Droits de l’Homme s’inquiètent aussi du respect de la vie privée dans ce cadre de travail ainsi défini : quelles informations vont ainsi pouvoir circuler entre l’école et le poste de police, et pour quel usage ?
La Conseil communautaire de l’Aide à la jeunesse dénonce l’absence de fondement scientifique d’une telle politique, alors qu’une récente étude interuniversitaire démontre que la violence telle que combattue par la circulaire est finalement peu présente dans les écoles. Il dénonce aussi le fait que cette circulaire ait été réalisée sans la moindre concertation avec les partenaires concernés.
Le Conseil de la Jeunesse d’Expression française pointe une surenchère sécuritaire liée à des pics d’inquiétude créés par les médias autour de quelques faits divers dramatiques, mais ponctuels. Or, le climat général n’est quant à lui pas des pires en Belgique.
Enfin, la police met sur le même pied des faits de drogues de violence et de vol, mélangeant délits et personnes en détresse.
La Ministre Arena a promis au plus tôt une circulaire qui clarifierait le cadre de travail des écoles. Elle a appelé celles-ci à rester vigilantes quant aux interprétations erronées ou excessives de la circulaire du ministre de l’Intérieur.