Rebelle, mais néanmoins compétent

Dans l’école, comme dans l’entreprise, règles et codes peuvent guider l’action quand ils font sens.

Lors de notre weekend d’écriture, je découvre Pierre PIRARD, je prends note. De manière claire, mais sans vantardise, il me raconte sa première vie dans le monde de l’entreprise avec ses valeurs libérales et comment aujourd’hui enseignant, il vit la difficulté d’intégrer les codes et le vocabulaire des compétences dans son acte de « faire apprendre ».

« J’ai une formation et une expérience dans le privé, en droit et gestion commerciale. À 47 ans, je débarque dans l’enseignement. Je reçois la consigne de noter, avec rigueur, les codes des compétences visées pour chacune de mes préparations de cours.

Rigueur = Respect des règles définies

Je connais ! J’aime la rigueur, je me sens rassuré de suivre des règles, qu’elles soient définies par moi-même ou par d’autres. Mais j’ai besoin de les comprendre et de leur donner du sens. J’ai besoin, aussi, qu’elles soient en cohérence avec au moins une de mes valeurs, celles qui me sont données par la société et par le milieu dans lequel je travaille, ou d’autres plus personnelles, liées à ma vie, à mon éducation. Alors je peux les appliquer, même si elles sont difficiles ou en conflit avec mes sentiments.

Comme, par exemple, cet évènement douloureux de ma première vie, dans le monde libéral. Pour conserver la viabilité de mon entreprise, j’ai dû appliquer les règles de l’éthique commerciale : réduire les couts. Dans ce cas précis, il me fallait réduire la charge salariale. Je me suis trouvé alors devant la difficulté de choisir les personnes à exclure, indépendamment de leurs difficultés personnelles, pour ne garder que les meilleurs éléments, c’est-à-dire les plus intéressants dans l’objectif de performance et de rentabilité de l’entreprise. Lourde responsabilité, où mes sentiments personnels ne pouvaient influencer mes choix. J’ai cependant agi en cohérence avec les valeurs que j’avais reçues de mon éducation et celles de l’environnement dans lequel j’avais choisi de travailler. Mes décisions, même si elles ne furent pas confortables, ne m’ont pas empêché de me regarder, en paix avec ma conscience, chaque matin dans mon miroir.

Il y a deux ans, lorsque je suis entré dans l’enseignement, après 25 ans passés dans le privé, je me suis trouvé confronté à des notions tout à fait nouvelles.

Codes de compétences

Dans mon nouvel environnement, il parait qu’il existe un référentiel présentant de manière structurée les compétences de base à maitriser dans chaque domaine des apprentissages parce qu’elles sont considérées comme nécessaires à l’insertion sociale et à la poursuite des études.

Je ne le connais pas ! Je suis un article 20. Sans formation ni titre pédagogique, je ne sais pas ce qu’est ce référentiel, ni à quoi ça sert, ni en quoi cela peut aider les élèves. Ce sont des notions tout à fait nouvelles pour moi.

J’ai cherché à m’informer… On m’a simplement répondu que je pourrais trouver sur internet les compétences liées à mon cours et on m’a aussi rappelé d’en noter les codes sur mes préparations de cours. J’ai trouvé ce référentiel, je l’ai lu, mais n’en ai pas toujours compris le jargon, malgré quelques explications reçues.

Est-ce que noter ces codes a un minimum d’utilité pour les élèves ? En quoi est-ce que ça pourrait m’aider à mieux concevoir mes cours ? Et les autres profs ? Est-ce qu’ils n’inscrivent des codes de compétences dans leurs préparations que pour être en ordre avec l’inspection qui pourrait débarquer dans la classe ? Nous n’avons pas le temps d’échanger à ce propos. Personne ne peut se libérer pour m’expliquer. On ne m’explique pas, mais on me demande de les inscrire avec rigueur !

Rébellion et rassurance

D’habitude dans ma vie, quand je ne comprends pas l’utilité de ce que l’on me demande de faire, quand les valeurs du travail demandé ne correspondent pas à mes valeurs, j’agis souvent en rebelle, je ne respecte pas les consignes données. Dans ce cas, j’aurais tout simplement voulu ne pas noter les codes. Je suis prêt à en assumer, personnellement, les conséquences quelles qu’elles soient : blâme, situation conflictuelle avec la direction, l’inspection…

J’en parle. Mes collègues me font savoir qu’alors le blâme irait à toute l’équipe des profs de ma section. Par solidarité, je choisis donc de restreindre ma rébellion et d’écrire des codes, au petit bonheur la chance, dans mes préparations de cours. Malgré tout, je ne suis pas à l’aise, je reste en conflit avec moi-même entre l’envie de respecter les règles (noter les codes) et le besoin de les comprendre, dans ce cas deux besoins antinomiques.

Je planifie avec beaucoup de rigueur mes cours sur toute l’année scolaire et base mes choix de compétences à atteindre sur l’expérience que j’ai acquise dans le privé.

Heureusement, par ailleurs, mes élèves passent des examens auprès d’un jury extérieur et leur taux de réussite me rassure quant à la cohérence et la justesse de mon action pédagogique en classe. »