5e secondaire, étudiante en général section sciences-math. Élève de niveau moyen, calme et sans aucun souci jusque-là. Et pourtant, ça n’a pas suffi à devoir éviter de justesse un coup de poing qui portait la promesse du « KO ».
Durant les vacances d’été, j’ai l’occasion de rendre visite à ma grand-mère en Algérie et au reste de ma famille. Je ne les ai plus vus depuis des années et c’est une occasion à ne pas manquer. Venir vivre en Belgique à 10 ans a supposé de laisser derrière soi plus qu’un lapin en peluche.
Le seul « hic » de ce voyage, c’est la date de retour qui va me faire manquer les deux premiers jours de la rentrée. Une maman qui hésite à me laisser partir, mais une adolescente persuadée qu’elle peut… Ben oui, Matthieu a pu le faire l’an dernier sans problème.
Malgré l’hésitation, le voyage se fait, tout roule jusqu’au moment où je reçois un appel de maman : « Louiza, je suis désolée mais à l’école, ils disent que tu as manqué la rentrée et que tu es renvoyée de l’école. » Le choc ! « Quoi ? Mais comment c’est possible ? Tu leur as expliqué ? Mais Matthieu de ma classe a fait pareil l’an dernier. Mais comment je vais faire ? J’ai plus d’école ? »
Ma maman me dit qu’elle va essayer d’arranger ça et me dit aussi que le directeur de l’école a proposé d’aller voir dans les écoles techniques et professionnelles, qu’elles accepteront de me prendre sans problème. Mais je ne comprends pas. Si je peux encore m’y inscrire, pourquoi je ne peux pas retourner dans mon école où je vais depuis mes 12 ans, avec tous mes amis, mes habitudes, mon univers.
Retour d’Algérie dans l’angoisse. Je n’ai pas envie de faire de la mécanique, moi ! Et je les ai vues ces écoles, c’est la foire tout le temps. Pour moi, c’est pas ça une vraie école.
Après des coups de fil dans les hautes sphères où maman a pu faire jouer ses modestes relations et un refus absolu de m’inscrire en professionnel, j’ai pu réintégrer l’école.
Sur le temps de ces négociations féroces, le directeur avait trouvé le temps de convoquer ma petite sœur de 15 ans et de lui dire que si les règles ne me convenaient pas, il était certain qu’il y avait encore de la place pour moi en Algérie. Comme si on avait quitté notre bout de désert par plaisir.
Oui, j’ai compris la limite, Monsieur. Elle n’est pas là pour me construire mais bien pour me détruire. C’est quoi le truc ? Pourquoi tout ça ? Pourquoi, deux semaines après cet épisode, l’hypocrisie ambiante me donne envie de vomir. Parce qu’à l’école, on décide de faire une minute de silence pour Bijoux, une élève congolaise qu’on projette de renvoyer dans son pays faute de papiers. J’ai pas eu ma minute de silence moi !
On dirait bien qu’on a tenté de me poser une limite mais, pas de bol, bien que je sois visiblement immigrée, j’ai un papa médecin et une maman belge qui maitrise l’enjeu que peut représenter une école pour sa fille.
C’est littéralement de la résistance. « Louiza, les maths ce n’est pas fait pour toi, tu as déjà doublé à cause de ça ». J’ai fait cette option math malgré les réticences, mais je ne mesurais pas l’enjeu de toutes ces embuches. Encore un épisode qui résonne en moi à mes 28 ans mais avec, entretemps, des cours de sociologie en faisant un arrêt sur mon pote Bourdieu et là, c’est la révélation ! L’école reproduit les inégalités sociales.
Oui j’ai résisté, mais ce qui me torture encore aujourd’hui, c’est de me demander ce que je serais devenue si je n’avais pas eu les armes pour résister. J’ai envie de leur dire : « Bien essayé ! » Mais je pense à tous ceux qui n’ont pas les armes, qui ne savent même pas qu’elles existent et qui, en les cherchant, s’écrasent pour la plupart comme des moineaux contre une vitre, une vitre transparente, mais d’une violence inouïe.