Une petite expérience, menée avec des institutrices et instituteurs en formation continuée, nous amène à soulever quelques questions délicates sur la fiabilité et la qualité de notre information.
L’expérience
Interpellés par les résultats des classements internationaux des systèmes scolaires (voir encadré), les instits ont cherché à savoir comment Monsieur ou Madame “tout le monde” avait reçu cette information: ” Le triste bulletin de l’école francophone”, “PISA[1]PISA?
Une enquête internationale organisée par l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique). De plus en plus de pays y participent: 32 en 2000, 57 en 2006. Tous les … Continue reading: une “cata” francophone?” ou encore “Notre école fabrique des cancres”. Voilà quelques titres qui donnaient le ton en presse écrite, en décembre dernier. En TV., les Unes soulignaient lourdement que les flamands auraient de bien meilleurs résultats que nos enfants.
Une cinquantaine de personnes (hors enseignants) furent contactées. La moitié ne pouvait plus rien dire de précis à propos de ces évaluations ou ne manifestait aucun intérêt pour la chose.
Parmi les souvenirs, le plus précis et le plus répandu n’étonnera pas: ” L’école flamande a des performances nettement supérieure aux nôtres!” (6 fois). L’influence de la télé, sans aucun doute. Parmi les autres “infos” rassemblées: les pays nordiques seraient en tête de tous les classements (4 fois) et pêle-mêle: notre système est inégalitaire; il faut changer les méthodes, restaurer l’autorité, réinvestir dans l’éducation ….
Rien de surprenant à ce que les classements et le mauvais classement de la Communauté française frappent le plus les imaginations et gardent une place dans les souvenirs (d’une minorité), deux mois à peine après les titres alarmistes des médias. Nous vivons dans un monde où le quantitatif règne en maître. On n’arrête pas de nous inonder de palmarès, de “tops”, d’audiences records, de chiffres … qui le plus souvent cachent la complexité de la réalité qui, seule, permet de sortir des simplismes et des “nyaka”. En effet, comme nous allons le découvrir, les chiffres (en particulier les moyennes) occultent les situations les plus délicates, bien plus intéressantes. Mais à force de nous abreuver de chiffres d’audiences, de gains, de températures moyennes, de records en tous genres … le risque est grand d’oublier l’essentiel: la qualité, la nuance, le respect …
La réalité est tout autre!
A noter en premier lieu que ces fameux classements de Pisa ont suscité les mêmes réactions en France, en Suisse, en Allemagne et même … en Communauté flamande! L’inquiétude et les “on doit faire mieux”. Quand ce n’est pas “La France, élève médiocre de la classe!” du très sérieux journal “Le Monde”. Consolation? Si peu!
La réalité, la vérité des chiffres? Les chercheurs [2]Toutes les citations sont extraites de la synthèse de l’équipe de recherche de l’Université de Liège (sous la direction de D. Lafontaine) chargée de l’enquête Pisa en … Continue reading ont tenté de la dégager des résultats bruts, des classements et des moyennes. Avec un avertissement solennel (peu entendu): ” L’un des dangers des enquêtes internationales est de braquer les projecteurs sur les classements et sur la place occupée par un pays dans le classement. Or, il faut garder à l’esprit que les écarts entre les pays proches dans les classements sont minimes”. Cela veut dire que, entre le 10è et le 20è, le classement est très serré et que, on le sait, il y a une marge d’erreur telle que tout cela est vraiment peu significatif. Mais ça frappe, ça parle aux gens, ça donne des titres accrocheurs!
Les chercheurs ajoutent: “les différences au sein de chaque pays sont bien plus prononcées que les différences entre pays. Ainsi, si l’on compare les résultats des 5% des élèves les plus forts à ceux des 5% des élèves les plus faibles, on observe, dans tous les pays sans exception, des différences bien plus grandes que la différence entre le pays le mieux classé (la Finlande) et le pays le moins bien classé (le Kyrgystan)”. Voilà qui relativise sérieusement la valeur du palmarès et qui suggère une piste vraiment intéressante à creuser. Mais quel JT., quel quotidien a relevé et mis sous les projecteurs cette conclusion des chercheurs? Trop compliqué? Allons donc! Attention: à force de traiter les gens comme des ignares ….
Suivons donc cette piste. Qu’en est-il des différences entre les “plus forts” et les “plus faibles” en Communauté française? Là, c’est la “cata”: nous sommes les champions de la dispersion, de l’écart entre les 5% “très forts” et les 5% “très faibles”! Nous fabriquons un peloton de queue très “faible” ET très important!! Voilà notre tout gros problème. Maigre consolation: notre système produit aussi un peloton de tête tout à fait honorable … Cela non plus on ne vous l’a pas dit.
Dès lors, et en toute logique, les universitaires n’hésitent pas à définir la priorité des priorités: ” Réduire la proportion d’élèves très faibles -particulièrement en lecture et en sciences- constitue donc le principal défi pour notre système éducatif”. Voilà ce qui devrait être dit, répété et claironné en titres, en Une et en détails dans les pages intérieures des journaux dits de “référence”. De manière à ne pas affoler tous les parents et surtout à soutenir les décideurs quand ils prennent des options courageuses, comme donner “plus et mieux” à celles et ceux qui ont moins.
Mises au point
On peut encore préciser que les flamands sont, eux aussi, très inquiets de la dispersion de leurs résultats. Qui vous l’a dit? Personne. Bon, c’est moins grave que chez nous, mais ils ne sont pas fiers et ils ont déjà pris des mesures pour que ça change.
La Finlande est championne toutes catégories … avec la Corée du Sud. Par contre, les autres pays nordiques ne brillent pas. Mais, une fois de plus, il y a lieu de s’interroger. Les systèmes éducatifs, culturels et sociaux de la Finlande et de la Corée sont très différents, voire en totale opposition. Donc, pas de potion magique! Il ne suffit pas d’adopter le système finlandais … et que Dieu préserve nos enfants du système coréen!
Enfin, pour ne pas être trop long, une question délicate: quels sont les critères utilisés et qu’est-ce qu’on évalue? Dans le cas qui nous occupe: les cultures scientifique et mathématique, ainsi que la compréhension à l’écrit. C’est intéressant, mais il y a tant d’autres “missions” de l’école à ne pas oublier. Plus qualitatives, elles ne se prêtent sans doute pas à ce genre d’enquêtes “mammouth”, mais elles requièrent toute notre attention si nous voulons que l’école prépare des filles et des garçons “pour demain”. Capacité à travailler en équipe, à mener à bien un projet, une recherche documentaire, à communiquer clairement ses résultats, à assumer des fonctions de délégués, etc.
Autant de thèmes intéressants pour des “Mise au point”, des “Controverse” ou, mieux, pour des magazines qui traiteraient sérieusement et en profondeur les questions d’éducation. Ce qui demande du temps et des journalistes “dédicacés” à ces sujets. L’enjeu est de taille et de service public!
Une question pour la route: ce que nous apprend cet article lié à l’école ne serait-il pas transposable au traitement médiatique de la plupart des sujets qui relèvent des sciences humaines, sociales et même économiques? En tout cas, quel que soit le sujet abordé, méfions-nous des titres réducteurs et accrocheurs! Méfions-nous aussi des approches quantitatives et des classements.
Jacques LIESENBORGHS
Notes de bas de page
↑1 | PISA? Une enquête internationale organisée par l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique). De plus en plus de pays y participent: 32 en 2000, 57 en 2006. Tous les élèves de 15 ans sont susceptibles d’être évalués en cultures scientifiques et mathématiques ainsi qu’en compréhension à l’écrit. En Communauté française, en 2006, un échantillon représentatif de 2.890 élèves, issus de 97 écoles, a été soigneusement sélectionné. L’ambition de Pisa est d’évaluer la préparation des jeunes à entrer dans la vie adulte. |
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↑2 | Toutes les citations sont extraites de la synthèse de l’équipe de recherche de l’Université de Liège (sous la direction de D. Lafontaine) chargée de l’enquête Pisa en Communauté française. |