Vote à 16 ans : que fait l’école ?

La sortie d’un référentiel en sciences humaines – favorisant une transversalité entre histoire, géographie, sciences économiques et sociales – pourrait préparer les jeunes à voter à 16 ans aux élections européennes.

La Première, ce lundi 31 mai, à propos du vote à 16 ans pour les prochaines élections européennes : tous les jeunes interrogés disent être intéressés par cette initiative mais avouent ne pas être « prêts » à jouir de ce droit. Ils ajoutent que l’école ne fait rien pour les y préparer.

Que pourrait faire l’école, alors que, pour la 1e fois, une formation en sciences économiques et sociales est prévue dans le futur Tronc Commun ? Comment l’école contribuera-t-elle, avec les nouveaux référentiels dont celui des sciences humaines, à la préparation de cet exercice de la démocratie.

En prenant les enfants et les jeunes au sérieux
L’intérêt des jeunes est réel. Ils désirent participer à la vie publique. Et pas que localement ! Ils sont parfaitement conscients des grands enjeux actuels. Les enfants, intuitivement et avec un niveau de formulation propre à leur âge. Les jeunes, avec parfois la rancœur d’avoir déjà été leurrés : comment s’informer sans être trompés, comment améliorer les conditions de vie et lutter contre les inégalités, comment reconstruire la démocratie, comment faire société en respectant les communautés, … ? Ce qui revient aussi à se demander comment mieux poursuivre les 17 objectifs du développement durable sur lesquels la Belgique (et ses entité fédérées) s’est engagée dans le cadre de plusieurs accords internationaux ?
Toutes ces questions, ils se les posent, mais ils ne demandent pas forcément des réponses toutes faites à l’école. Ils demandent surtout que les enseignants se posent des questions avec eux, pour se mettre ensemble en recherche, débattre, proposer des pistes, accepter et gérer les divergences, proposer des actions, … L’école transmet trop de vérités à mémoriser.

En instruisant le débat
Prendre les élèves au sérieux, ce n’est pas seulement ouvrir le débat et accepter la diversité d’opinions. Les prendre au sérieux, c’est surtout travailler la méthodologie de l’investigation, la qualité de la démarche de recherches en sciences humaines, la hisser à un niveau comparable à celle des sciences dites « dures », et se doter de la maîtrise d’informations essentielles et des concepts intégrateurs.
Comment prescrire tout cela dans un référentiel ? Avec une méthode qui combine rigueur scientifique, débat épistémologique, demande sociétale et impératifs didactiques. Un collectif de personnalités diverses, issues des Universités, des Hautes Ecoles et de la société civile y travaille de sa propre initiative. Nous espérons que ce travail sera reconnu et qu’il sera entendu. Que propose-t-il ?

En (re)fondant les sciences humaines et leur enseignement
Ce collectif souhaite d’abord favoriser une certaine transversalité entre les différents domaines des sciences humaines : histoire, géographie, sciences économiques et sociales. Il ne s’agit pas d’imposer une intégration, mais simplement de permettre aux enseignants du tronc commun de traiter d’objets d’études communs (comme les migrations, par exemple) et de les éclairer grâce aux différentes disciplines.
Il insiste sur l’importance d’un réel apprentissage et d’une réelle pratique de la démarche de recherches scientifique, dans toutes ses composantes : observation, questionnement, recherche documentaire, entretiens compréhensifs, collecte et représentation de données, formulation et validation d’hypothèses…
Il propose une vision de l’histoire et de la géographie qui ne soit plus une simple justification du réel actuel. Ainsi, il est parfois plus éclairant de mesurer les conséquences de l’arrivée du monothéisme chrétien dans les sociétés antiques, que d’essayer d’y voir la genèse du monde contemporain. Cela permet de s’interroger sur la place de la religion dans le monde actuel. Comme il est plus pertinent de s’interroger sur les causes multiples de l’installation et de la disparition de Cockerill à Liège plutôt que les justifier par les seuls facteurs naturels. Dans ces deux disciplines, il s’agit d’articuler facteurs et acteurs dans l’espace et le temps, pour comprendre comment s’opèrent ou se subissent des choix individuels et collectifs.
Pour les sciences économiques et sociales, disciplines neuves en primaire et dans le tronc commun, une didactique reste à inventer. Ne ratons pas cette occasion ! La tentation est grande d’en faire une éducation civique et financière alors qu’il s’agit ici aussi de pratiquer des disciplines mobilisant des méthodes scientifiques.

Sans faire de l’école un vase clos et aseptisé
Un travail important doit être consacré à la formation de nos représentations sur les identités, les genres, les statuts socio-économiques, les origines culturelles, les âges et les générations, nos rapports à l’Autre, et au monde, … en étant conscient de la manière dont elles se forment et évoluent. Pour cela, il est nécessaire de faire place à des rencontres multiples de l’altérité : entretiens, visites, enquêtes…
Les sujets « chauds » ne peuvent être évités : inégalité, chômage, droit d’asile, spéculation, fiscalité… Le caractère oxymorique du développement durable et l’articulation de ses quatre piliers, économique, social, environnemental et participatif, doivent être travaillés. Les grandes doctrines politiques, libéralisme, socialisme, humanisme démocratique, écologie politique, gauche radicale, droite extrême… devront progressivement être comparées et comprises.
Enfin, la question de la régulation doit être débattue, plus ou moins d’Etat, plus ou moins de libertés, de sécurité, d’égalité, de responsabilité, de respect des intérêts privés et du bien commun… et comment arbitrer entre ces valeurs concurrentes ? Comment et jusqu’où réguler les relations entre employeurs et travailleurs, entre producteurs et consommateurs, entre institutions financières et citoyens, entre générations actuelles et générations à venir…
Voilà des apprentissages passionnants. Ne ratons pas cette opportunité car cette occasion ne se renouvellera pas avant de nombreuses années.