De Porto Alegre à Qatar

Résistance contre la marchandisation de l’École

Le Forum Mondial pour l’Éducation, qui s’est tenu à Porto Alegre (Brésil), du 24 au 27 octobre 2001, marquera l’histoire des systèmes éducatifs. Pour la première fois, l’offensive libérale contre l’École trouve face à elle une résistance à la mesure des enjeux, c’est-à-dire une opposition internationale.

Tenir bon !
Tenir bon !
La ville de Porto Alegre, capitale du Rio Grande Do Sul, état le plus méridional du Brésil, avait déjà été au centre de l’attention en janvier 2001. La ville avait en effet pris l’initiative d’organiser un grand Forum Social Mondial, au moment précis où les idéologues de la mondialisation marchande se réunissaient à Davos. Ce fut un évènement formidablement mobilisateur. Mais certains avaient regretté, à l’époque, que l’éducation n’ait pas été retenue comme l’un des grands thèmes de cette rencontre.

Pourtant, s’il est un secteur où l’offensive libérale avance à grands pas, c’est bien l’éducation. Dans un contexte économique marqué par l’exacerbation des luttes concurrentielles, par la « dualisation » des marchés du travail et par une demande de main d’œuvre plus flexible, plus « adaptable », les milieux économiques dirigeants réclament à cor et à cri que l’enseignement se restructure en profondeur.

S’adapter et payer

Il faut, disent-ils, abandonner les systèmes éducatifs publics ou semi-publics, au profit de réseaux d’établissements autonomes et en situation de forte concurrence, qui pourront plus facilement « s’adapter aux indispensables changements requis par le rapide développement des technologies modernes et les restructurations industrielles et tertiaires »[1]ERT, Éducation et compétence en Europe, Étude de la Table Ronde Européenne sur l’Éducation et la Formation en Europe, Bruxelles, février 1989..

Il faut également que le « capital humain » soit plus flexible et plus « diversifié ». Le savoir est devenu « un produit périssable »[2]Edith Cresson, Putting our knowledge to work, Harrogate, mars 1998., disait Edith Cresson. L’important, désormais, est de faire acquérir par les futurs travailleurs et consommateurs un certain nombre de compétences qui leur permettront de s’adapter à un environnement de production et de consommation en perpétuelle mutation.

Enfin, les détenteurs de capitaux lorgnent avec toujours plus d’envie en direction de ce formidable marché potentiel qu’est l’éducation : 2 000 milliards de dollars de dépenses annuelles de par le monde. Soit plus du double du marché de l’automobile. L’année dernière, la célèbre banque d’affaires américaine Merril Lynch avait consacré une étude de 300 pages aux perspectives de l’Education Business et, plus particulièrement, de l’enseignement payant sur l’internet. Un marché qui devrait atteindre 54 milliards de dollars d’ici l’an prochain[3]Le Monde, 2-3 juillet 2000..

En conclusion, le très sérieux organisme international de contrôle de l’économie capitaliste, l’OCDE, n’hésite pas à écrire que « la mondialisation – économique, politique et culturelle – rend obsolète l’institution implantée localement et ancrée dans une culture déterminée que l’on appelle l’École et en même temps qu’elle, l’enseignant »[4]OCDE, Analyse des politiques d’éducation, Paris, 1998..

L’un des signes récents les plus tangibles de cette volonté de « marchandiser » l’école, est la volonté clairement exprimée par l’OMC et par certains de ses pays membres, de libéraliser le marché mondial des « services éducatifs », dans le cadre de la renégociation de l’Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS). Cette renégociation, initialement prévue à Seattle en 2000, puis à Doha en novembre dernier, aura finalement lieu dans les locaux genevois de l’OMC, à l’abri des caméras et des manifestants.

Un droit inaliénable financé par l’État

C’est dans ce contexte et pour résister à cette offensive libérale sur l’enseignement que la mairie de Porto Alegre, via son Secrétariat Municipal de l’Éducation (SMED) et celui de la Culture (SMC), a organisé un nouveau Forum mondial, centré cette fois sur les questions d’éducation. « Les éducateurs du monde entier souhaitent intervenir de manière plus importante lors du prochain Forum social mondial, en créant des espaces de dialogue afin d’attirer l’attention des gouvernements et des peuples du monde sur la lutte pour une éducation qui garantisse à tous l’accès non seulement à la connaissance mais aussi, et fondamentalement, à la dignité d’être citoyen ».

Le Forum mondial de l’éducation (FME) s’est ouvert le 24 octobre sous les applaudissements de plus de 15 000 éducateurs, enseignants, syndicalistes, chercheurs, responsables à divers titres du monde de l’enseignement. Ils étaient réunis là parce qu’ils « se prononcent pour une éducation publique pour tous comme un droit social inaliénable, garanti et financé par l’État, et qui ne doit jamais être réduit à la condition de marchandise et de service, dans la perspective d’une société solidaire, radicalement démocratique, égalitaire et juste ».

Si la majorité des participants étaient évidemment brésiliens, des délégations étaient présentes en provenance de très nombreux pays. De France, par exemple, des syndicats comme la FSU, des mouvements pédagogiques comme le GFEN (Groupe français d’éducation nouvelle) et des associations comme Attac avaient fait le déplacement, parfois en force. On regrettera d’autant plus que d’autres pays aient été si peu présents. C’était malheureusement le cas de la Belgique. Seuls l’Appel pour une école démocratique et un délégué du ministre Nollet avaient fait le déplacement.

Le temps de la résistance

Le FME fut pourtant, au-delà de la qualité et de la quantité des exposés (4 séances plénières et 12 débats thématiques, avec au total plus de 83 conférences, sans parler des ateliers, expositions et stands en marge du programme officiel), une formidable occasion de rencontrer ceux qui, dans le monde entier, partagent notre combat pour la défense d’un enseignement public, démocratique, contre l’offensive libérale. Comme le disait Atilio Boron du Conseil Latino-Américain de Sciences Sociales, « Quand on en arrive à expliquer les sciences de l’éducation dans un stade de foot devant 15 000 personnes, c’est que le travail commence à porter ses fruits ! » Et c’est en effet le sentiment majeur qui s’imposait à tous les participants : après 20 années de reculs, de défaites, sur le front de l’enseignement et ailleurs, le temps de la résistance s’annonce enfin.

Le vendredi 25 octobre, avant dernier jour du Forum, un défilé « pour la paix et pour l’éducation » a réuni plus de 35.000 personnes dans les rues de Porto Alegre. Les manifestants clamaient leur opposition aux opérations militaires en Afghanistan et réclamaient que leur pays cesse de se soumettre aux diktats budgétaires du FMI.

La charte finale adoptée le lendemain condamne notamment « la marchandisation de l’éducation qui permet aux pays du Nord, profitant de leur position dominante, d’attirer les cerveaux des pays du Sud au travers d’une immigration sélective ». La Charte poursuit : « L’éducation, condition nécessaire au dialogue et à la paix, joue un rôle majeur dans la lutte contre la globalisation néolibérale, dans la mesure où les espaces divers et collectifs au sein desquels elle peut exister sont des lieux de discussion, de vie et de partage. (…) Ainsi, contre l’affirmation des forces du capital selon lesquelles l’école publique est dépassée, nous réaffirmons sa puissance et son mouvement permanent dans la réinvention du quotidien de nos sociétés et dans sa propre transformation, comme résultat de l’action des exclus. »

De même, « la lutte pour des changements dans le monde du travail, dans la perspective d’une professionnalisation durable et de l’accès de tous à l’évolution scientifique et technologique (…) exige une plus vaste connaissance humaniste, technique, scientifique, éthique et esthétique. »

D’ores et déjà, il a été décidé que les travaux continueraient lors du prochain Forum Social Mondial, à Porto Alegre, en janvier 2002.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 ERT, Éducation et compétence en Europe, Étude de la Table Ronde Européenne sur l’Éducation et la Formation en Europe, Bruxelles, février 1989.
2 Edith Cresson, Putting our knowledge to work, Harrogate, mars 1998.
3 Le Monde, 2-3 juillet 2000.
4 OCDE, Analyse des politiques d’éducation, Paris, 1998.