Article paru dans le quotidien “Le Soir” du jeudi 08 mai 2003.
Les élections législatives sont imminentes et le petit monde de l’enseignement en Communauté française se sent pousser des revendications collectives bien légitimes.
Les associations de parents associées aux néerlandophones ont donné le ton fin janvier en stigmatisant le manque de moyens criant de l’école.
Le front commun syndical, quant à lui, a rédigé un cahier de revendications mettant au centre ‘un moratoire pédagogique proactif’. Prenant appui sur une étude menée par l’ULg et les FUNDP, les syndicats dénoncent l’écart entre ‘l’Ecole de la réussite’ telle qu’elle a été décrétée dans le fondamental et les résultats sur le terrain. Ils demandent que toute réforme soit avalisée par l’ensemble des enseignants avant d’être mise en application.
L’augmentation des moyens financiers de l’école a fait l’objet d’un vaste marchandage débouchant sur des accords de refinancement en 1999. Les effets sont loin d’être visibles actuellement et il importe de préciser que l’argent frais servira d’abord à boucher les trous d’une Communauté française exsangue. Les marges disponibles le seront en 2005 seulement, si tout va bien.
Notre crainte principale dans le débat financier est qu’on se contente de revendiquer plus de moyens pour l’école pour faire la même chose . Maintes études, plus internationales que communautaires d’ailleurs, ont révélé les profondes inégalités au cœur de notre enseignement. Réduit-on ces inégalités en octroyant davantage de moyens aux écoles décrétées en discrimination positive ? Dans un premier temps, on peut l’espérer avec des moyens conjoncturels, mais après ?
Quitte à faire bondir certains, nous osons affirmer que notre enseignement est moins malade d’un manque de moyens que de leur répartition inefficace et inéquitable. Ces moyens sont distribués avec peu de cohérence, sans que leurs effets soient évalués afin d’ajuster cette répartition aux priorités politiques annoncées !
Nous ne nous lasserons pas de dénoncer les effets pervers de la liberté laissée aux parents de choisir l’école de leur enfant et de celle dont certains établissements usent pour attirer une clientèle scolaire étiquetée dans l’échelle sociale. Cette ségrégation et la piètre qualité qui en résulte pour l’enseignement réservé aux pauvres coûtent cher à la société. En termes de compétences des travailleurs, donc de compétitivité des entreprises et de qualité des services publics. Aux pouvoirs publics, elles coûtent cher en services sociaux et même en répression de la délinquance. À l’intérieur même du système scolaire, il est cher d’organiser un enseignement efficace au sein d’établissements où sont concentrés les élèves dont l’origine sociale est stigmatisée dans la société. Il serait plus économique de favoriser l’hétérogénéité sociale au sein des établissements…
A la course individuelle au meilleur établissement, nous préférerions l’action collective des parents au sein des établissements. D’autant plus que ces établissements seraient socialement hétérogènes et que les familles défavorisées seraient écoutées par les autres parents dans l’association locale. D’accord pour réclamer plus d’argent pour l’enseignement francophone à condition que celui-ci soit employé à faire réussir tous les enfants !
Sur le terrain pédagogique, les syndicats font fort : ‘Plus de réformes sans référendum‘. L’enquête précitée précise qu’une bonne moitié des équipes éducatives ayant répondu au questionnaire ne croit tout simplement pas aux postulats de base du décret de 1995 organisant un apprentissage continu en cycles dans le fondamental (excluant le redoublement notamment).
Les syndicats ont raison de fustiger la manière dont ce décret et ceux qui suivirent (principalement le Décret Missions de 1997) ont été ‘balancés’ dans les écoles :, injonctions paradoxales, manque de concertation avec les acteurs de terrain, manque flagrant de moyens humains et matériels … .
Les syndicats d’enseignants n’ont pas l’habitude de prendre position sur les questions pédagogiques en Belgique francophone. Leur intervention est légitime, car l’amélioration des conditions de rémunération et de travail, qui sont leur raison d’être, n’est pas indépendante du contenu du métier, c’est-à-dire de la pédagogie.
L’idée d’un referendum, par lequel les enseignants exerceraient collectivement un droit de veto sur les reformes pédagogiques, soulève cependant deux questions. Les enseignants peuvent-ils décider seuls du pédagogique ? Et comment organiser l’expression de leur opinion sur ce pédagogique ?
Le choix des contenus et des méthodes d’enseignement concerne l’ensemble de la société. C’est pourquoi il est légitime que la décision en la matière émane de pouvoirs publics élus par l’ensemble des citoyens. Mais la complexité pratique de ces choix justifie que cette décision soit éclairée par une délibération préalable – une concertation – où ceux qui sont le plus directement concernés apportent leur connaissance plus intime des problèmes. Le Conseil de l’Education et de la Formation (CEF) a été institué pour faire vivre cette concertation. Les syndicats d’enseignants y sont représentés, de même que les associations de parents d’élèves et les pouvoirs organisateurs.
Si on veut éviter les réformes à répétition sans considération pour leurs conséquences sur la pratique du métier d’enseignant, les enseignants doivent aussi pouvoir débattre entre eux, à partir de leurs pratiques et expériences différentes, plutôt que de voter dans un référendum pédagogique dont on sait à quel point il peut être démagogique et paralysant. Ce type de « consultation » sans débat risque de renforcer les résistances au changement ou au contraire légitimer a posteriori n’importe quel changement.
Toute réforme pédagogique doit être précédée d’une délibération sur la pertinence des mesures envisagées. Il est nécessaire également que la phase de concrétisation soit accompagnée sur le terrain par des moyens humains et matériels suffisants. Enfin, et dès que les effets de la réforme sont perceptibles, celle-ci doit être évaluée, de façon contradictoire, avec la participation des étudiants et des parents d’élèves autant que des enseignants et des pouvoirs organisateurs. Une réforme pédagogique doit s’envisager globalement et les phases d’atterrissage, d’évaluation et d’ajustement en garantissent la pérennité et l’efficacité.