La force de l’ensemble

Le mariage des idées est toujours supérieur à leur juxtapostition.

Dans ma classe verticale, qui rassemble des élèves de 8 à 12 ans, être à l’écoute de ce que les élèves ont à dire apporte à la classe une richesse de contenus et de démarches supérieures à tout ce que l’enseignant ou les élèves auraient pu proposer seuls. De plus, la création, la confrontation et l’organisation des idées amènent l’élève et l’enseignant à vivre une société (scolaire) plus propice à l’affirmation positive de soi-même et au respect des limites imposées par la présence de l’autre.

Au pays des compléments circonstanciels

Je propose une histoire. « C’était l’anniversaire de grand-père. Nous avions coutume de nous réunir. La famille était au complet. Grand-père trônait. Tante Marcelle a présenté un énorme gâteau surmonté de sept grandes bougies. Grand-père les a soufflées. »

J’encourage les enfants à la critiquer :
• Ça n’a pas l’air marrant son anniversaire.
• C’est pas une histoire, c’est juste un résumé : on ne sait pas où ni comment s’est passé son anniversaire. Il n’y a pas de problème.


Je propose aux enfants de se réapproprier l’histoire. Ils ne peuvent pas changer le texte déjà écrit, mais peuvent y ajouter des éléments permettant de connaitre les circonstances de cet anniversaire. Libre à eux de le faire de manière humoristique, classique, dramatique…

Après une petite dizaine de minutes, je propose aux enfants qui ne s’en sortent pas différents compléments qu’ils peuvent injecter ou non dans l’histoire :
• aussi loin que remontent mes souvenirs ;
• toujours ;
• parce que, du temps de son vivant, c’était grand-mère qui nous réunissait ;
• dans la salle à manger ;
• dans une ambiance chaleureuse, mais dépourvue d’originalité ;
• évidemment ;
• tandis que l’oncle Georges faisait sauter le bouchon d’une bouteille de champagne…

Après une demi-heure, des élèves ont envie de partager leur histoire. Ils la lisent au groupe. Après chaque histoire lue, j’invite les élèves à relever les compléments qui ont été ajoutés. Je les écris au tableau. Nous nous retrouvons avec une banque très riche de compléments. Tout de suite les élèves relèvent que certains d’entre eux, utilisés par différents enfants, sont mis à différents endroits de la phrase.

Je propose alors de les classer parce que connaitre le chemin permet de réutiliser ses acquis, alors que les réponses en elles-mêmes ne seront que très peu réutilisables lorsque le contexte change ! Les élèves ont imaginé trois classes et quatre sous-classes :

schéma
Capture_d_ecran_2011-02-02_a_16.31.25.jpg

Cette carte des compléments « de circonstances » reste affichée pendant plusieurs semaines et aide les enfants à enrichir leurs textes dans le cadre des activités hebdomadaires de production d’écrits.

Au fur et à mesure des activités d’écriture, les élèves enrichissent également la carte en ajoutant les compléments de but et de circonstances. Devant la difficulté de les construire, ils observent, classent, comparent…
Il n’y a qu’un mot et c’est toujours un mot invariable (il ne s’accorde jamais).
• Il y a un groupe de mots, mais il y a aussi un mot qui introduit le groupe.
• Ce ne sont pas les mêmes mots qui introduisent les groupes autour d’un nom (de, en, sur, au-dessus de, à côté de, avant de, pour…) et les groupes autour d’un verbe conjugué (parce que, pour que, que, lorsque, avant que…).

Aucune étiquette n’est formulée parce que les enfants, à ce stade, n’en ont pas besoin. Plus tard, soit en 6e année seulement, des étiquettes sont proposées : groupes nominaux prépositionnels, propositions subordonnées, adverbes, prépositions, conjonctions de subordination… Les concepts ayant été construits, confrontés, manipulés et « résumés », ils se mémorisent mieux par des courtes étiquettes.

Des projets individuels à l’organisation collective

Un jour, un enfant me dit s’ennuyer pendant la leçon parce qu’il n’apprend rien. Je lui demande alors ce qu’il aimerait faire pour apprendre, en sachant que je ne serai pas disponible, car je m’occupe du groupe en apprentissage. Il me dit : « J’ai envie de faire une maquette. » Je lui propose de faire un plan de son projet et de lister le matériel et les différentes étapes nécessaires à sa réalisation. Et je reprends l’activité avec la classe.

Plusieurs jours passent sans que l’enfant ne se manifeste. Mais un jour, à nouveau, pendant une activité de calcul, il me demande s’il peut commencer son projet. Je lui propose de faire quelques exercices, ciblés les plus difficiles, prévus pour l’activité en cours. Il les réussit, alors je le laisse s’isoler dans le fond de la classe pour se lancer dans son projet. Il travaille très calmement. Au moment de la récréation, les élèves de la classe se regroupent autour de lui pour qu’il montre ce qu’il est en train de faire. Certains élèves se révoltent :
Ce n’est pas juste. Toi, tu t’amuses et nous, on travaille.
• Je savais déjà faire les calculs alors j’ai demandé si je pouvais faire autre chose.
• C’est facile ça !
• Non, j’ai dû faire un plan de mon projet et expliquer comment j’allais le réaliser. En plus Madame m’a demandé d’écrire mes démarches sans faire de fautes d’orthographe.
• Moi, si je pouvais, je ferais une peinture, comme ça je ne devrais pas écrire parce que je n’aime pas ça !
• Faire une belle peinture ce n’est pas facile non plus… Je vais à l’académie, si tu veux, je pourrais te prêter des livres.
• Ça ne vaut pas la peine, je n’aurai jamais la possibilité de faire un projet.


Nous reprenons le travail de classe. Comme une maladie contagieuse, le virus du projet personnel se propage. Dès qu’un élève a fini correctement les exercices demandés, il me demande s’il peut se mettre en projet. Les idées sont très variées : préparer un gâteau au chocolat, préparer un exposé sur les Égyptiens, coudre un petit sac, inventer un jeu, présenter un livre à la classe, construire un bateau, écrire une histoire, faire un livre, peindre comme Mondrian….

Après à peine deux semaines, la gestion des cours devient problématique. Je convoque donc le cercle de parole. « Je ne sais plus gérer mes cours et les élèves qui sont à la leçon n’ont plus l’ambiance de travail nécessaire à leurs apprentissages. Quelles solutions proposez-vous ? »
• Ne plus faire projets personnels. (3 voix sur 24)
• Prévoir un temps spécifique pour l’activité en projets personnels. (17 voix sur 24)
• Organiser l’espace de la classe différemment. (20 voix sur 24)
• Pouvoir faire projet personnel quand on veut. (5 voix sur 24)


Quelques commentaires :
• Je n’ai pas d’idées. J’aime pas projet personnel.
• Tu peux venir travailler avec moi, si Madame est d’accord qu’on travaille en groupe.
• On ne peut pas faire n’importe quoi, n’importe quand, sinon ce n’est pas une vraie solution au problème que Madame a relevé. Les élèves qui doivent faire des exercices n’auront pas le calme nécessaire ou Madame ne sera pas disponible parce qu’elle doit aussi aider les élèves en projet.
• Vous dites que vous savez ce que vous faites, alors vous n’avez pas besoin d’elle !
• Si, parce qu’on ne sait pas toujours comment résoudre un problème ou comment trouver les informations qui nous manquent ou comment écrire ce qu’on veut exprimer…
• Moi aussi j’ai des problèmes pour rédiger mon exposé, on pourrait demander une leçon pour apprendre ?

Dorénavant, un après-midi par semaine est consacré aux projets personnels et l’espace de la classe a été organisé pour offrir des lieux fonctionnels et propices à la réalisation de travaux en mini-groupes. Mes exigences sont : aller au bout de son projet et laisser des traces soignées des différentes étapes de sa réalisation.

Aujourd’hui, la vapeur est inversée. Ce n’est pas parce qu’on s’ennuie dans les apprentissages traditionnels qu’on se met en projet, c’est parce qu’on ne savait pas faire quelque chose dans le cadre de son projet qu’on se met en apprentissage. Les leçons par lesquelles se fixent les apprentissages sont vécues de manière traditionnelle, c’est-à-dire que je propose un sujet, les élèves manipulent, extraient de la matière et font des exercices avant de se l’approprier en la synthétisant. Cependant, ces activités ont plus de sens, car le « pourquoi apprendre ça » a surgi et été établi ensemble, bien avant le choix de donner tel ou tel cours.

De plus, les cours deviennent aussi un lieu où les enfants peuvent apprendre à gérer leur affectif, vivre positivement le relationnel et enfin gérer le collectif de manière plus responsable et participative.