Décret sur le pilotage de l’enseignement en Communauté française (CF) est entré en vigueur début septembre 2002. Un de plus, direz-vous. Pourtant, l’ambition de ce dernier n’est ni plus ni moins que d’assurer la cohérence du système éducatif de la Communauté française, d’en révéler les lacunes et d’y remédier.
Il y a du pain sur la planche. Les derniers résultats de nos écoles à l’enquête OCDE Pisa n’ont fait que confirmer ce que nous savions déjà: notre système éducatif est relativement efficace… et tout à fait inéquitable. Ce comité de pilotage est-il à même de relever ce défi majeur de l’efficacité et de l’équité?
Les objectifs avoués de la Commission qui vient d’être instituée sont entre autres d’accompagner les réformes pédagogiques mises en place, de les contrôler, d’évaluer le niveau des élèves et de remédier aux lacunes que ces évaluations révèleront.
Un mot clé traverse ce nouveau décret: COHÉRENCE! Cohérence en tout premier lieu entre le Décret Missions et ce pilotage en CF qui est là pour en corriger les manquements. Ensuite on peut citer cohérence entre le contenu des programmes et les socles de compétences, cohérence entre la recherche et les besoins de l’enseignement…
Reconnaissons qu’en pointant explicitement tous ces manquements, nos politiques avouent de fait l’état de délabrement et les manques de… cohérence accumulés jusqu’à présent.
En parlant de cohérence…
Tout d’abord, ce Décret s’inscrit clairement dans la lignée d’un tas d’autres visant à asseoir l’appareil étatique dans sa mission de régulation, d’homogénéisation et dans ce cas-ci d’évaluation des politiques éducatives.
Or, la liberté d’enseignement est et reste bel et bien inscrite dans la Constitution belge avec ses corollaires bien connus: ‘pilarisation’ de notre système éducatif, autonomisation des politiques des différents réseaux et dualisation poussée à l’extrême.
Il n’est pas cohérent de vouloir réguler un système sans remettre en cause la liberté de choix des réseaux et le choix laissé aux parents de l’établissement scolaire de leurs enfants. En clair, on ne pourra harmoniser autant d’acteurs, avec leurs logiques propres voire contradictoires, leurs acquis et privilèges sans remettre fondamentalement en cause la manière dont le système scolaire est organisé. Il ne suffira pas de coucher quelques intentions sur papier pour convaincre les enseignants que la réalité a changé.
En jouant au poker…
La capacité de la Commission pour le pilotage de l’enseignement d’améliorer la cohérence du système éducatif est d’autant plus improbable qu’elle reproduit jusque dans sa composition la ‘pilarisation’ des institutions. Cela passe par les différents pouvoirs organisateurs, les représentants syndicaux, des chercheurs en pédagogie issus des universités, des inspecteurs, l’administration et les représentants des associations de parents. On prend les mêmes et on continue à distribuer les mêmes cartes pour le même jeu.
Pourquoi ne pas avoir étendu la composition de cette commission à des représentants non apparentés à l’un ou l’autre réseau (mouvements associatifs, ONG, mouvements pédagogiques…)? Le pilotage de l’enseignement ne concerne pas que les acteurs précités. À nouveau, nous devrons remettre notre sort entre les mains des ‘experts’ et des représentants des piliers…
Les profs sont donc pratiquement absents… L’article 11 stipule qu’on leur demandera leurs avis… Quand, comment, sur quel mode représentatif, à la limite pourquoi, on n’en sait trop rien. Mais cela fait “bien” de mettre ce genre de disposition dans le document. Pourtant, il n’est plus à démontrer que des réformes et encore moins des décrets ne peuvent s’opérer sans l’adhésion des acteurs de terrain.
En conclusion, beaucoup de doutes quant à la concrétisation d’un tel outil. Au passage, allez expliquer aux citoyens comment le morcellement des responsabilités éducatives entre quatre cabinets ministériels aux intentions et concrétisations bien divergentes trouve sa place dans ce nouveau puzzle.
Entre temps, la pénurie continue à faire ses ravages et les mesurettes prises n’y feront pas grand chose. La CGE continue à redire que des chantiers plus vastes doivent être ouverts et principalement celui du métier d’enseignant.
Prenons l’exemple de la ‘contre-réforme’ du premier degré. Tout le monde semblait se féliciter, lors de la rentrée, de l’introduction d’une année de remédiation entre la première année du secondaire et la deuxième. La réalité est tout autre: les chefs d’établissement doivent ‘bricoler’, injecter du NTPP, alourdir le travail des équipes éducatives et tout cela sans les moindres moyens. L’injonction faite aux enseignants est de pratiquer la ‘pédagogie différenciée’: qui sait de quoi on parle exactement? Les formations spécifiques n’ont pas été prévues et chaque enseignant fait avec les moyens du bord.
Arrêtons de prendre les enseignants pour les bonnes à tout faire de réformes en tout genre pensées pour eux. Le métier doit davantage se professionnaliser: cessons par exemple de parler de la ‘vocation des enseignants’. Avant de se lancer dans des évaluations de programmes des compétences ou autres, avant de placer un pilote au-dessus de l’école, il y a urgence à ne pas délaisser les acteurs de terrain et à reconstruire avec eux leur place dans la société. Il y a urgence à déterminer de quelle école on parle encore.