À l’arrière d’un local de classe, mes élèves sont debout en silence. Je suis face à eux, détendue, la voix posée pour les emmener pendant quinze minutes dans un espace de sérénité. Nous voilà prêts à commencer notre randonnée. Nous marchons en cercle. Nos pieds sont en contact avec le sol, un sol rempli de cailloux. Des grands. Des petits. Arrêtons-nous pour en ramasser un. Faisons basculer le poids du corps sur une seule jambe. Ramassons ce petit caillou en inspirant, levons-le bien haut au-dessus de la tête et puis en soufflant fort, jetons-le loin, loin, très loin de nous…
J’ai commencé ma carrière d’enseignante en 2002 dans une école en encadrement différencié au centre de Bruxelles. J’étais désireuse d’exercer mon métier dans un milieu difficile, m’y sentant utile. Très vite, les difficultés de mes élèves de cinquième et sixième m’ont incitée à chercher des stratégies pour les aider à apprendre de façon plus efficace. Comment soutenir la concentration nécessaire aux apprentissages chez des élèves qui arrivent en classe le matin déjà fatigués et sans avoir pris de petit déjeuner ? Des élèves dont l’intérêt principal n’est pas l’école, qui n’apprennent pas leurs leçons, qui gèrent mal leurs frustrations et qui éprouvent de grandes difficultés à exprimer leurs émotions ? Malgré le travail méthodologique et pédagogique développé lors de ma formation initiale, je n’arrivais pas aux résultats que j’estimais devoir atteindre avec chacun de mes élèves. C’est ainsi que j’ai découvert les bienfaits de la sophrologie.
J’ai enfin pu aider plus efficacement mes élèves tant du point de vue pédagogique qu’émotionnel. Chaque fois que nous revenions en classe, je pratiquais un retour au calme en organisant une séance de sophrologie pendant cinq à dix minutes. C’était devenu un rituel. Une fois par semaine, j’essayais de mener une séance plus complète de vingt-cinq à trente minutes. Certes, il n’y a pas eu de miracles. Ces enfants n’allaient pas se coucher plus tôt, ils ne mangeaient pas mieux, mais la vie scolaire était beaucoup plus agréable. Convaincue par la démarche et ses effets positifs chez les élèves, j’ai décidé de m’inscrire à une formation pour devenir sophrologue. Ce que j’apprenais aux cours du soir en psychologie et avec mes lectures m’ont aidée à résoudre les conflits et à aider les élèves à gérer leurs frustrations. En parallèle, je suivais aussi une formation en promotion sociale d’orthopédagogie pour les enfants éprouvant des difficultés d’apprentissage. En 2009, on m’a proposé de travailler dans l’enseignement spécialisé de type 8. J’ai foncé avec l’envie d’y apporter ma sauce. D’emblée, j’ai mis en place des démarches identiques à celles que j’utilisais dans l’enseignement ordinaire, mais grâce au nombre plus restreint d’élèves par classe, j’ai eu la possibilité d’individualiser davantage les apprentissages.
Je travaille toujours dans l’enseignement spécialisé, mais à trois quarts temps. N’étant plus titulaire de classe, mon travail consiste à organiser des séances de sophrologie, de yoga et de méditation en demi-groupe ou en séances individuelles selon les besoins. Les séances en demi-groupes se déroulent comme suit : chacun des enfants s’installe sur son tapis de yoga et on dérouille le corps, c’est-à-dire qu’on mobilise chaque articulation pour le détendre. Puis on pratique une série d’exercices qui ont pour objectif de favoriser la concentration, de (re)booster l’énergie du corps, d’apaiser l’esprit et de préparer l’élève à accueillir plus efficacement ce qu’il apprend. Depuis l’an passé, je termine chaque séance en plaçant les élèves deux par deux pour une séance de massage réciproque. J’ai décidé d’introduire, petit à petit, la pratique du massage avec mes élèves, car j’ai constaté que le toucher se fait de plus en plus rare. J’observe que soit on ne se touche pas, soit on se touche mal, c’est-à-dire de manière brusque. Ce moment de la séance est devenu un espace privilégié. Tout en douceur, je m’assure du respect de chacun. Les enfants adorent ce moment et l’attendent avec impatience !
Les séances individuelles sont un peu différentes parce que, avec l’instituteur et/ou avec un membre du paramédical (kiné ou logopède), nous ciblons un objectif. Les objectifs peuvent être divers : apprendre à respirer à la suite à un problème de bégaiement, apaiser les angoisses, faciliter la concentration et l’attention, calmer les frustrations, apprendre à prendre conscience de l’autre en tant qu’individu et non comme objet, etc.
Je suis ravie de faire ce travail et je remercie la direction de me donner la possibilité de pratiquer de telles démarches. À ma propre satisfaction et à celle de la majorité de mes collègues s’ajoute l’effet positif sur les élèves. Cela ne résout pas toutes les difficultés parce que certaines difficultés vécues par les élèves dépassent le cadre scolaire. L’environnement souvent peu propice que les élèves expérimentent en dehors de l’école nécessiterait de travailler de manière systémique, c’est-à-dire avec la possibilité d’agir sur les différents aspects de la vie de l’enfant. Mais cela ne relève plus du rôle de l’école et par ailleurs, celle-ci n’en a pas les moyens.
En agissant sur l’espace qui est celui de l’enseignant, c’est-à-dire l’école et la classe, je constate que les moments de relaxation et les prises de conscience, quels qu’ils soient sont véritablement bénéfiques pour tous mes élèves, pour les plus fragiles en particulier et par ricochet, sur la société dans laquelle ces enfants sont appelés à vivre. Ils deviennent ainsi plus autonomes et responsables sur le plan émotionnel et relationnel. Quelle chance de pouvoir expérimenter une telle démarche !