Jeune logopède, j’ai accepté un travail en intégration sans vraiment savoir où je mettais les pieds. Je me suis vite aperçu que le travail d’intégration allait bien au-delà de ma simple fonction de logopède.
L’intégration permet à un élève inscrit dans l’enseignement spécialisé de fréquenter une école ordinaire. Quatre périodes par semaine, celui-ci est accompagné par un membre de l’école spécialisée : un professeur, un logopède ou un psychologue. Dans mon cas, il s’agissait d’accompagner une douzaine d’enfants dans trois écoles. Ma fonction ne consistait plus simplement à rééduquer les élèves, mais à contribuer à leur intégration dans l’enseignement ordinaire : les rendre autonomes dans leurs apprentissages, les aider à développer des stratégies compensatoires liées à leur trouble, leur apprendre à s’organiser, mais aussi à avoir de bonnes attitudes rela-tionnelles. Je me suis préparé à ce nouveau travail en réfléchissant aux différentes interventions, en classe et en individuel.
Les premiers mois, j’ai fait la connaissance des élèves : qui sont-ils au-delà du trouble, quels sont leurs besoins. J’ai créé du matériel adapté à leurs besoins, appris à collaborer avec la quinzaine d’enseignants concernés par le projet et à appréhender le fonctionnement des trois écoles. Cette nouvelle organisation m’a permis de lier plus fortement ce que je travaillais avec les élèves en séance de logopédie avec ce qu’ils apprenaient en classe. La fierté des élèves d’être retourné dans l’ordinaire les motivait à s’investir dans ce que je leur proposais. J’étais confiant.
Très vite sont apparues les premières difficultés : pas si simple de se faire une place dans la classe sans être le stagiaire du professeur ou son assistant, à ses yeux et à ceux du groupe classe. Pas simple non plus de se retrouver dans une classe comptant trois élèves intégrés et donc parfois trois accompagnants différents en même temps. Difficile aussi de trouver des moments pour collaborer avec les autres accompagnants de l’élève alors que nous sommes tous dans deux ou trois sites et que les professeurs de l’ordinaire n’ont pas le temps. Pas simple de créer une relation avec l’élève que l’on ne voit qu’en classe et épisodiquement…
Très difficile pour moi de réaliser que certains élèves n’avaient aucun trouble diagnostiqué, mais des difficultés liées à la langue de scolarisation, des difficultés sociales et familiales. Au fil des années, je me suis senti démuni face à ce système scolaire qui ne répond pas de manière structurelle aux besoins de tous les élèves, et qui préfère, par manque de moyen ou de formation, envoyer certains élèves dans l’enseignement spécialisé où seraient les spécialistes.
Je pense que l’intégration peut être victime de son propre fonctionnement. Il existe, par exemple, une possibilité de mutualiser les périodes d’accompagnement. Certains élèves plus autonomes ont besoin de moins d’heures d’accompagnement. Dans ce cas, l’école spécialisée peut n’accorder qu’une heure, les trois autres sont alors mises dans un pot commun. L’idée était de pouvoir redistribuer ces heures aux élèves qui en ont le plus besoin : au lieu de quatre périodes, l’élève en grande difficulté pouvait en avoir cinq ou six. Toutefois, petit à petit, ces périodes d’accompagnement sont devenues des heures de réunions, de concertation ou de travail à domicile. Lorsqu’en juin, j’ai demandé qu’un de mes élèves ait une heure en plus l’année suivante, on m’a répondu qu’il n’y en avait pas suffisamment, que les heures du pot commun avaient servi à d’autres missions…
Autre effet pervers, c’est que ces heures dépendent du nombre d’élèves en intégration. Je pense à un des élèves que j’ai accompagnés, il n’avait pas de trouble et n’aurait pas dû être orienté dans l’enseignement spécialisé. Dès sa première année d’intégration, il a été autonome, mais le responsable des intégrations a refusé d’arrêter ce suivi. Ni l’élève, ni le parent, ni l’accompagnant n’ont été écoutés. Est-ce que la machine intégration avait besoin de ces heures pour continuer à prospérer ? Se servir des moyens de l’intégration pour d’autres buts que l’intégration des élèves m’a poussé à quitter mon travail. J’étais dégouté.
L’intégration répond à un vrai besoin lors du passage du spécialisé à l’ordinaire, dans ce sens, elle a toute sa place dans notre enseignement. Toutefois le caractère général des décrets et des circulaires offre une trop grande marge d’interprétation, du coup sa mise en place dépend grandement des personnes et de leurs intentions.