Il y a une tendance à établir une certaine uniformité entre ceux qui marchent normalement et ceux qui ne n’y arrivent pas. Le chant des sirènes de l’inclusion de tous pour le bien de tous — bien entendu ! — en fait partie.
Àl’heure actuelle, il existe des institutions où des jeunes viennent chercher refuge pour ce qu’on dénomme phobie ou décrochage scolaire.
Cette dénomination, assez récente, élimine le sens crucial du symptôme, défini par Freud et Lacan comme ce qui cloche dans l’existence et qui est éminemment singulier.
Comme le rappelle Guillaume le Blanc[1]G. Le Blanc, « L’inévaluable – Actualité de Canguilhem », La Cause freudienne, n° 57, 2004., le pouvoir médical a pris une grande extension dans différents domaines — notamment le scolaire — puisqu’il y aurait la possibilité d’évaluer chaque être humain selon le fonctionnement du cerveau ou en fonction du comportement, qui seront dits normaux. Cette nouvelle science a une idéologie : celle d’évacuer la vie psychique de chacun parce qu’elle est inévaluable.
La phobie ou le décrochage scolaire ne sont peut-être pas plus répandus qu’auparavant, mais ce qui est sûr, c’est que les sentiers de traverse que chaque enfant pourrait emprunter se réduisent au profit de la prise en charge médicale. Selon celle-ci, il est possible d’évaluer ce symptôme, réduit à l’étiquette phobie scolaire. Ainsi, c’est déjà une façon d’inclure le pour tous dans le discours courant.
Des institutions accueillent donc ces jeunes avec la perspective qu’il faudra tôt au tard les remettre sur le chemin de l’école. Ce qui est à priori louable. Lorsqu’on considèrera ces jeunes comme à nouveau aptes en termes cognitifs et comportementaux, on les y poussera — ce qui pourra occasionner des bouffées d’angoisse pour certains, signe de notre ignorance de la vie psychique qui ne se cantonne ni au comportement ni à la cognition.
Sous prétexte de lutter contre la ségrégation et pour l’inclusion de tous, nous restreignons donc les possibilités d’invention de chacun dans son rapport au monde et dans sa façon d’apprendre. Pour certains, l’apprentissage des connaissances scolaires n’est en rien problématique, mais l’institution scolaire classique ne leur permet pas de trouver un abri à ce qui les tracasse, que ce soit du côté des relations aux autres, du regard ou encore de ce qui est interprété comme une injonction vociférante. Pour d’autres, l’apprentissage se fait par des voies différentes que celles de l’enseignement qu’ils ont rejeté, car ce lieu a été traumatique pour eux. D’autres encore ne peuvent retourner à l’école tant la pression de la demande de l’Autre (parent ou institution) qu’on pourrait traduire par Sois dans le rang ! est oppressante.
Si donc un retour à l’école est possible, ce dernier n’est sans un détour : un détour lié à la vie psychique dont la temporalité est bien plus complexe qu’une chronologie linéaire.
Voilà donc un paradoxe de taille : là où pour inclure et donc loger tout le monde à la même enseigne, des enfants sont poussés à l’extérieur de l’enceinte des institutions dites spécialisées où ils étaient auparavant accueillis, supprimant ainsi un espace refuge — l’extériorité que cette institution spécialisée pouvait incarner en tant que lieu où chacun pouvait trouver à se séparer de ce qui l’encombrait, ou tout au moins à s’en distancer.
Notes de bas de page
↑1 | G. Le Blanc, « L’inévaluable – Actualité de Canguilhem », La Cause freudienne, n° 57, 2004. |
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