Ça y est, les bobos bichent : tous les PO veulent leurs écoles à pédagogie active. Tous les déçus de l’école, profs et parents, en croquent. Vive la réac-tivité [1]Selon la méchante expression de Chloé Andries : « Écoles Steiner, pédagogie réac-tive », Médor n° 16, 2019., bonjour les confusions !
On va finir par se rendre compte que la pédagogie est politique. Les méthodes ne se justifient pas par leur efficacité d’apprentissages, mais par leur finalité : quel type de sujet veulent-elles faire émerger dans quelle société ?
En partant du principe que l’école dans nos sociétés a pour fonctions d’instruire, d’évaluer (orienter), d’éduquer et de socialiser, cette typologie peut se construire sur la priorité donnée entre ces différentes fonctions et sur la base des oppositions suivantes : instruire ou sélectionner, émanciper ou conformer, épanouir ou engager.
Pour apprendre, on est toujours actif. Apprendre, c’est reconstruire dans sa tête. Cela peut se faire en étant récepteur d’une pédagogie transmissive ou en étant acteur et, encore mieux, en étant auteur dans un dispositif de pédagogie active. Les différences concernent la posture éducative et les effets recherchés.
La pédagogie transmissive suppose une posture éducative de soumission au savoir. Le savoir est considéré à priori comme la forme supérieure de représentation du réel. Il apparait comme découvert par les chercheurs. Une fois pérennisé, il est transmis par les enseignants. C’est ce qui fonde la hiérarchie des intervenants : chercheurs> enseignants> apprenants. Le maitre sait et les élèves ne savent pas. Le maitre transmet et les élèves se soumettent. Il s’agit de perpétuer un certain type de rapport au savoir à certains modes de production et de transmission du savoir. C’est en cela que l’institution scolaire renforce les rapports sociaux existants. Ce type de rapport au savoir est cohérent avec un certain type de rapport à l’autorité, de rapport aux autres et de rapport au monde.
Cette pédagogie s’accompagne d’une gestion des comportements correspondant à la gestion des apprentissages : l’élève y est objet d’éducation comme il y est objet d’instruction, pour qu’il s’adapte au monde tel qu’il existe, qu’il s’intègre dans les rapports sociaux existants. D’ailleurs, les patrons éclairés s’opposent aujourd’hui à ces pédagogies, soucieux que l’école forme de nouveaux travailleurs capables de créativité, d’autonomie et de coopération.
Les pédagogies actives, au contraire, supposent un rapport de maitrise au savoir. Le savoir est considéré comme ayant été construit collectivement. Si le savoir a été construit, il peut être déconstruit et reconstruit et c’est ce qu’on propose à l’élève. Cela remet en question les rapports de production et de transmission du savoir. Ce rapport de maitrise au savoir peut être proposé de différentes manières selon les pédagogies actives : l’enfant peut être invité à le découvrir seul ou en groupe, par projet ou par situation-problème. Ce type de rapport au savoir entraine un autre type de rapport à l’autorité, de rapport aux autres et de rapport au monde.
Cette pédagogie s’accompagne d’une gestion des comportements correspondant à la gestion des apprentissages : l’élève y est sujet, coauteur de son éducation, pour qu’il participe au monde et à sa transformation. Cette participation peut, selon les pédagogies actives, être plus personnelle ou plus collective, plus sociale ou plus culturelle.
L’école traditionnelle à pédagogie transmissive ne pense guère sa pédagogie. Elle est fortement tributaire de représentations sociales non explicitées, naturelles : l’idéologie du don et du mérite, la nécessité évidente d’une normalisation des comportements, l’adaptation de l’école à la division du travail, le refus des expertises… C’est un ensemble d’habitudes implicites de travail qui s’imposent dans les classes sans remise en question : l’enseignant enseigne et les élèves apprennent s’ils le peuvent.
La fonction cachée de sélection l’emporte largement sur les autres fonctions : on instruit, éduque et socialise pour que chacun reste à sa place. La légitimité de cette sélection repose sur une croyance généralisée en l’égalité des chances et en l’inégalité des ressources individuelles. Désocculter le déterminisme social, et tout s’effondre.
C’est une école qui convenait très bien à la reproduction des rapports sociaux de la société industrielle. C’est ce qui explique qu’elle est aussi bien critiquée par la droite libérale que par la gauche et qu’elle reste défendue par la droite conservatrice. Elle domine aussi les représentations de l’école des familles populaires qui acceptent cette compétition individuelle, en espérant que leurs enfants en sortent gagnants, les exceptions confirmant la règle.
La pédagogie explicite se revendique comme modèle et se théorise [2]Son chef de file actuel est Steve Bissonnette, invité récemment par les universités de Liège et de Mons où son influence est grandissante., en se présentant comme la seule pédagogie vraiment scientifique. Démonstrations statistiques à l’appui, elle s’affirme plus efficace que les pédagogies actives qu’elle présente comme préjudiciables aux enfants de milieux populaires. On pourrait dire que cette pédagogie est par excellence l’anti-pédagogie active. En cela, elle révèle par contraste ce que sont les pédagogies actives. Lire l’encart Dérives pédagogiques.
Elle apparait aujourd’hui comme la seule bonne façon de sauver l’école traditionnelle et l’ordre social : un enseignement efficace, de bons apprentissages des matières scolaires, une régulation stricte de la classe et de l’école. Elle rassure tous les conservateurs et renvoie les pédagogies actives à des rêveries de gauchistes potaches…
L’autosocioconstruction du savoir a été théorisée par le groupe français d’éducation nouvelle [3]En remontant le temps avec des auteurs comme Jacques Bernardin, Odette et Henri Bassis, Henri Wallon, Paul Langevin… (GFEN). L’apprentissage se fait principalement à travers des situations problèmes, un dispositif inventé et travaillé par ce mouvement pédagogique, et souvent galvaudé en dehors de lui. Ce courant remet en question les inégalités sociales et d’apprentissage.
Je cherche donc j’apprends. J’enseigne, donc je conçois. Expliquer dispense de penser ! Tous capables de tout apprendre pourvu qu’on s’en donne les moyens. L’activité de l’élève est mise en avant, une activité de recherche en coopération pour produire du savoir local, pour s’émanciper par le savoir.
Cela suppose pour l’enseignant un travail d’analyse didactique important. Une situation problème ne s’improvise pas. Elle est conçue pour contraindre l’apprenant à surmonter des obstacles épistémologiques et s’approprier le savoir correspondant. C’est très différent d’une pédagogie du projet qui fait confiance aux multiples situations de vie rencontrées pour que tous les apprentissages fondamentaux se fassent naturellement.
Le savoir et la culture sont considérés, non pour leur utilité professionnelle ou sociale, encore moins pour leur valeur d’échange, mais comme leviers de l’émancipation personnelle et collective, comme vecteurs de paix et de développement humain.
C’est la pédagogie alternative la plus facile et la plus difficile à mettre en œuvre. La plus facile parce qu’elle n’exige pas de modifications importantes de l’organisation scolaire ; on peut faire travailler ses élèves par situations problèmes sans déranger ses collègues… La plus difficile, parce qu’elle exige pour l’enseignant un travail de recherches et de conception important. Heureusement, elle reste constituée en mouvement fort où on peut compter sur les camarades pour se coformer [4]GFEN, GBEN, LIEN….
Elle n’a pas d’effets sur le marché scolaire : peu connue des parents, elle n’est pas revendiquée. Pour CGé, elle est une des pédagogies à mobiliser en priorité, pour favoriser la réussite des enfants de milieux populaires.
Le modèle personnaliste met en avant l’épanouissement de l’enfant, son appétence naturelle à chercher et à apprendre. C’est le modèle qui accorde à l’enfant le plus de liberté, jusqu’à une liberté complète comme à Summerhill [5]A. S. NEILL, Libres enfants de Summerhill, mais aussi avec plus de contraintes, des auteurs comme Ovide Decroly, Maria Montesssori, Rudolf Steiner et des expérimentations actuelles à travers les … Continue reading.
L’enseignant importe moins que l’environnement de la classe. Cet environnement propose de multiples portes d’entrée vers la recherche et l’apprentissage. Le plaisir est mis en avant. La priorité est donnée à l’expression et à la créativité, c’est l’idéal de la personne libre et épanouie.
L’enfant y apprend à partir des projets de recherches qu’il mène, encouragés et accompagnés par l’enseignant. Ces projets peuvent être menés seuls, en petits groupes ou en groupe-classe, mais la dimension personnelle l’emporte sur la dimension collective, l’épanouissement personnel sur l’engagement collectif. Les filières et les orientations ont une valeur égale, dans un certain déni des réalités sociales et économiques.
Avec l’hyper valorisation de l’enfance, l’obsession du développement personnel et l’happycratie, c’est évidemment la pédagogie la plus demandée par les parents bobos, celle qui pèse lourd sur le marché scolaire et qui pousse les PO à organiser tout, n’importe quoi et son contraire.
Le modèle institutionnel [6]À travers des auteurs comme Célestin Freinet, Janusz Korczak, Fernand Deligny, Fernand Oury… met l’accent sur le collectif. Si l’environnement importe pour faire naitre des idées de recherche et de projets, c’est le groupe qui va les mener collectivement. L’enseignant est responsable du dispositif, mais il s’efface au profit de l’organisation du groupe.
Il s’agit d’apprendre à s’organiser pour coopérer et progresser ensemble. Les situations de classe comprennent nécessairement de multiples difficultés. Chacune sera l’occasion de pousser le groupe à trouver la meilleure manière d’y répondre, et donc de créer les institutions nécessaires au bon fonctionnement de la classe. La priorité est donnée à la coopération, c’est l’idéal de l’acteur social engagé.
C’est la pédagogie la plus difficile et la plus facile à mettre en œuvre. La plus difficile parce qu’elle exige des modifications importantes dans l’organisation du temps et de l’espace. Avec ses (petites) institutions, elle dérange beaucoup la (grande) Institution. La plus facile parce qu’elle peut accueillir presque toutes les méthodologies : le drill quand c’est nécessaire, les situations-problèmes et les projets. À CGé, nous aimons associer pédagogie institutionnelle et socioconstructivisme.
Si les pionniers du GFEN et Célestin Freinet étaient proches ou membres du parti communiste français (jusque dans les années 60) tandis que Maria Montessori était proche de Mussolini et de Pie XII, ce n’est pas un hasard. Chaque option pédagogique est un choix politique. Entre enseigner pour sélectionner, instruire pour conformer, instruire pour émanciper, éduquer pour épanouir et socialiser pour engager, il faut choisir et donc partiellement aussi renoncer.
La confusion aujourd’hui autour du terme pédagogie active pour des raisons de markéting et de positionnement sur le marché scolaire favorise des dérives préjudiciables aux élèves.
Notes de bas de page
↑1 | Selon la méchante expression de Chloé Andries : « Écoles Steiner, pédagogie réac-tive », Médor n° 16, 2019. |
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↑2 | Son chef de file actuel est Steve Bissonnette, invité récemment par les universités de Liège et de Mons où son influence est grandissante. |
↑3 | En remontant le temps avec des auteurs comme Jacques Bernardin, Odette et Henri Bassis, Henri Wallon, Paul Langevin… |
↑4 | GFEN, GBEN, LIEN… |
↑5 | A. S. NEILL, Libres enfants de Summerhill, mais aussi avec plus de contraintes, des auteurs comme Ovide Decroly, Maria Montesssori, Rudolf Steiner et des expérimentations actuelles à travers les écoles… |
↑6 | À travers des auteurs comme Célestin Freinet, Janusz Korczak, Fernand Deligny, Fernand Oury… |