Travailler encore

Travailler 38 h (ou 40 h) par semaine, sur
son lieu de travail ? Une utopie dans le milieu
enseignant ? Peut-être pas, si on cherche les
avantages à rester sur son lieu de travail plutôt
que de rentrer chez soi, s’occuper des tâches
ménagères et des enfants (et je ne pense pas
qu’aux enseignantes) pour reprendre ensuite,
seul, un travail de correction et de préparation.

Je suis institutrice primaire
depuis plus de 20 ans et
je suis toujours restée sur
mon lieu de travail jusque
18 h, environ. Pas par stakhanovisme, mais parce que je
trouve cela tellement plus agréable !

D’abord parce que j’ai travaillé
pendant une dizaine d’années dans
le secteur marchand. Si certains
jours, des problèmes professionnels
me couraient encore dans la tête,
une fois rentrée chez moi, j’ai, par
contre, souvent trouvé très confortable
de rentrer chez moi sans plus
devoir penser au « boulot ».

TRAVAILLER DANS SA CLASSE

Ensuite parce qu’une part importante
(mais pas la plus importante) de mon
travail consiste à organiser
ma classe ; l’organiser
pour que les enfants
puissent accéder facilement
aux référents dont
ils ont besoin, l’organiser
pour que les enfants
puissent être le plus possible
autonomes dans la
classe, l’organiser pour soigner le
cadre dans lequel les enfants vont
pouvoir apprendre. Il s’agit, par
exemple d’organiser le « petit magasin
» pour que les enfants puissent
gérer eux-mêmes le remplacement
des crayons, des gommes, des marqueurs
et des bâtons de colle usés
ou perdus sans que je doive m’en occuper.

Ou encore d’afficher les panneaux
qui reprennent les sons de
manière lisible par chaque enfant
de la classe (il est parfois nécessaire
de doubler l’affichage), de changer
la place des plantations pour pouvoir
ajouter à ses côtés un aquarium
ou une cage, d’essayer les différents
endroits où on pourra placer les
trois chaises sur lesquelles on vient
s’assoir pour résoudre un problème.

Tant de détails qui paraissent sans
importance et qui conditionnent
pourtant le bon déroulement d’une
journée d’école et ma bonne humeur
à 15 h 30 quand les enfants
quittent la classe !

TRAVAILLER AVEC LES AUTRES

Ensuite parce qu’il y a des débats
qui doivent avoir lieu collectivement,
avec tous les enseignants.

Pendant les rares heures de concertation
collective organisées pendant
le temps de prestations des enseignants
à l’école (60 h par an, c’est
mieux que rien, mais c’est aussi très
peu), de nombreux sujets de discussion
émergent, mais n’aboutissent
pas, faute de temps. Il nous est arrivé,
par exemple, en décembre, de
postposer au mois de mars, une discussion
sur l’attitude à avoir quand
des enfants arrivent en retard. Tous
les temps de concertation collective,
jusqu’au mois de mars, étaient
déjà trop chargés ! Beaucoup de
collègues, comme moi-même, nous
sommes insatisfaits, mais peu identifient
qu’ils pourraient gérer leur
temps autrement. Constater que
nous n’agissons pas toujours correctement
avec les élèves parce que
nous n’avons pas eu le temps d’en
discuter est une sensation très désagréable
pour la majorité d’entre
nous !

Il y a aussi le travail collectif,
les réalisations que chaque enseignant
ne peut mener à bien, seul,
dans sa classe : publier un journal
d’école, organiser des rencontres
avec les parents, organiser une
après-midi de rencontre entre tous
les élèves de l’école, mettre au point
le réseau informatique de l’école,
mettre à disposition des élèves des
espaces et du matériel de jeu pendant
les récréations… Dans chacun
de ces exemples, un réel travail,
bien concret et pratique, à réaliser
ensemble, dans un même lieu,
est nécessaire. On peut toujours
essayer de s’en sortir seul, chez soi
ou dans l’école ! Mais c’est tellement
plus difficile et frustrant quand on
constate qu’il nous manque tel matériel
ou telle expertise d’un(e) collègue !

Il y a aussi (et surtout) les discussions
pédagogiques. Quand
« ça coince » avec un élève, quand
j’hésite entre plusieurs manières
d’aborder l’un ou l’autre contenu,
quand je constate des difficultés
chez beaucoup d’élèves dans un
domaine bien particulier, quand je
me sens dépassée par la quantité
de recherches en éducation que je
voudrais pourtant connaitre, quand
je suis mise au courant par une (ou
un) plus jeune collègue d’une de ses
difficultés, j’ai alors besoin de temps
pour discuter avec un ou des collègues
concernés. La plupart de ceuxci
rencontrent aussi les mêmes difficultés
et ont envie de mieux faire
leur travail. Mais mettre autour de
la table quelques enseignants, pendant
1 heure ou 2, reste souvent mission
impossible tant les contraintes
temporelles de chacun et chacune
sont différentes.

RÊVE INACCESSIBLE OU RÉALITÉ PROCHE ?

On entend souvent que les enseignants
ne peuvent rester dans leur
école parce qu’ils ne disposent pas de
locaux adaptés. Ce qui est peut-être
vrai aujourd’hui dans l’enseignement
secondaire. Mais dans l’enseignement
fondamental, nous avons pour
la plupart notre classe (et donc notre
bureau, nos armoires). Là où je travaille
(et l’indice socioéconomique
de mon lieu de travail est 1), chaque
classe est équipée d’un ordinateur
relié à internet et à des imprimantes.

La photocopieuse reste accessible
jusque 18 h. La bibliothèque de l’école
rassemble de nombreux ouvrages pédagogiques,
tant théoriques que pratiques,
et le percolateur fait du bon
café… Alors, je me mets à rêver à un
jour, plus trop lointain, je l’espère, où
chacun et chacune de mes collègues
prendront le même plaisir que moi
à prester l’entièreté de son temps de
travail à l’école !