Aller voir ailleurs si on y est

Septembre 2018, inquiets des nombreux nœuds apparus dans les chantiers du Pacte, quelques militants de CGé, en compagnie de journalistes et de chercheurs, ont pris le large pour voir comment des réformes éducatives imposantes ont réussi à s’installer ailleurs.

Nous partons en Flandre, aux Pays-Bas, en Suède et en Finlande. On y cause entre autres des choix de société qui ont présidé aux changements scolaires, des façons d’aménager un tronc commun d’enseignement, du pilotage des écoles, du travail collaboratif, de la différenciation en classe. Un programme aussi léger qu’un beefsteak de renne…
Une chose cruciale : une réforme éducative réussie doit être soutenue par une vision cohérente et assumée de ce que la société attend de l’école[1]Fred Mawet, « Sélectionner ou faire apprendre »,. Avec des incontournables, comme l’utilité d’instaurer un tronc commun par zones successives, de réviser ses programmes à intervalles réguliers, ou d’associer les contrats d’objectifs à un financement différencié des établissements.
Paradoxalement, ce qui va le plus attirer mon regard n’a rien à voir avec les chantiers ouverts par le Pacte.

Qu’est-ce qui frappe ?

L’école publique de Kirkkojärvi, en Finlande, se retrouve dans une flopée de reportages télévisés et d’articles. Ses élèves ne sont pas différents des nôtres et, contre toute attente, les rares séquences de cours observés par nous (très magistrales, étonnement) ne brillent pas par leur grand intérêt pédagogique. Ce qui est marquant, ce sont les espaces et les temps que son architecture, ses ressources et les dispositifs mis en place font exister. L’école est ouverte et comporte peu d’étages : pas besoin de grimper huit volées d’escaliers pour passer d’une classe à l’autre. À l’entrée, des banquettes circulaires pour retirer ses chaussures, ici tout le monde se déplace en chaussette. Les intérieurs sont en bois chauds, l’éclairage est tamisé. La taille des lieux est liée à l’âge des élèves, les espaces de la section primaire sont plus petits. La couleur des murs indique le chemin. Les salles de classe sont vitrées, voire carrément ouvertes. Les espaces qui les entourent ne sont pas de simples couloirs, ce sont des halls autour desquels les classes s’organisent, avec des espaces pour l’affichage, des lieux pour se défouler, etc.
Les enseignants disposent de locaux pour s’isoler, d’autres pour travailler à plusieurs ou pour rencontrer les élèves, de salles communes… Chaque espace répond à une fonction possible du métier qui fait écho à ce qu’exprime leur horaire alternant temps de présentiel, de concertation, de travail interdisciplinaire, etc.
Et si les toilettes en disent long sur l’école, ici, elles sont communes (profs et élèves), unisexes et d’une propreté incroyable.

Soigner les temps et les lieux

Rien n’est anodin, l’affaire n’est pas seulement esthétique, mais éthique. Ces espaces disent quelque chose de ce qui est attendu et de la considération portée. L’école de Kirkkojärvi est le fruit d’une réflexion pour contribuer au bienêtre de ses habitants et de faciliter les apprentissages.
On parle de l’importance de l’interdisciplinarité, de l’engagement, de la bienveillance ou de la disponibilité vis-à-vis des élèves, mais est-ce ce à quoi invite spontanément le cadre horaire, les outils et les locaux des écoles belges ? Prendre les élèves au sérieux, encourager leur autonomie et leur mise en recherche à travers des projets ambitieux, d’accord, mais le cadre n’encourage-t-il pas plutôt un rapport de soumission à la connaissance, de conformisme à la règle ?

La Finlande et nous

Cette école finlandaise est sacrément cohérente tant sur le fond que sur la forme, mais on n’est pas en Finlande ici. Alors quoi ? On abat (presque) tout et on reconstruit ? On engage des architectes finlandais ? On leur laisse le monopole du bienêtre ? Sans être aussi radical, de nouvelles écoles se construisent régulièrement chez nous. Il n’est pas vain de se demander avec quelle intelligence elles sont conçues et dans quelle mesure leurs structures servent les apprentissages. L’enjeu engage également une politique des ressources — pensons à la grille horaire du tronc commun ou aux manuels scolaires —, pour ne pas faire dépendre la réduction des inégalités scolaires de la seule vertu des personnes. Il concerne la manière dont une équipe peut agir collectivement pour soigner les espaces et temps dont elle dispose, en ayant conscience de leurs effets et en évitant au minimum l’hypocrisie d’un discours qui contredit le cadre et fait abusivement porter le poids de l’effort ou de la faute sur les individus. Tant qu’il y aura en tout cas des écarts aussi flagrants sur le sujet chez nous, le pédagogue devra toujours agir d’une certaine manière malgré ou contre l’école.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Fred Mawet, « Sélectionner ou faire apprendre »,