La Déclaration de politique communautaire est arrivée !

Faire de la politique autrement, ça aurait pu commencer là, en s’abstenant d’en remettre une couche [1]La couche, ce sont les quatorze pages de la DPC sur l’EO., en s’abstenant de vouloir imprimer sa marque, en se mettant simplement au service de la concrétisation de l’accord survenu au terme de quatre ans de travail intensif avec les acteurs de l’enseignement.

Un accord qui poursuit deux ambitions fortes : améliorer la qualité de l’enseignement et réduire les inégalités scolaires. Un accord qui débouche sur un vaste plan d’action systémique étalé sur quinze années — donc sur trois législatures — et qui ne produira tous ses effets ou ne montrera ses limites qu’à cet horizon-là… Ça aurait eu de la gueule et ça aurait signifié à tout le monde que quelque chose s’était passé dans notre petite Belgique francophone.
Vous me direz que la Belgique est ainsi faite, que la constitution de majorités exige toujours des coalitions qui amènent au pouvoir des formations politiques avec des visions différentes qui doivent dégager des compromis. Mais ne peut-on décider, à l’instar de ce qu’ont fait d’autres pays par volonté que des changements aboutissent [2]Une réforme qui n’est pas menée à son terme ne peut porter ses effets., de retirer l’école de ce champ de compromis ?

Une interrogation de fond

Les trois partis sont-ils d’accord sur ce qu’ils veulent produire comme changement ? Une interrogation qui vaut pour tous et particulièrement pour le MR. L’histoire des réformes non abouties [3]Décret mission, Contrat pour l’École et puis des mesures plus « bottom–up » prises par les ministres Cdh. montre, contrairement à ce que le MR pense, qu’on ne peut réduire les inégalités scolaires sans modifier fondamentalement la fonction de l’enseignement obligatoire [4]Jusqu’à quinze ou seize ans, selon les pays, pour passer de l’injonction paradoxale de faire réussir tout en sélectionnant et triant à la seule mission de faire apprendre tous les enfants. et sans traduire cette nouvelle volonté dans tous les aspects de notre système scolaire.
Et ceux qui veulent ce changement, perçoivent-ils toutes les conditions à rassembler et à tenir pour y arriver ? Rogner le tronc commun, orienter au sens de séparer, tout faire pour restaurer une plus grande liberté de choix d’écoles pour les parents va dans la direction opposée. On sait combien le quasi-marché scolaire pousse les écoles à se distinguer et produit la ségrégation scolaire [5]Ségrégation sociale comme pédagogique..
Et donc, pas sûr que les compromis politiques à la belge permettent de porter une telle réforme ? Il appartiendra aux acteurs qui ont signé le Pacte d’en juger.
Pourquoi la DPC reprend-elle explicitement toute une série de mesures comprises dans le Pacte et en omet-elle une multitude d’autres ? Que faut-il comprendre ?

Le décret inscriptions est mort, vive le décret inscriptions !

Là, la créativité des politiques laisse sans voix : abroger tout et s’engager dans le même paragraphe à redécréter en introduisant autant de régulation et de mixité dans les écoles.
On prend les acteurs de l’enseignement et les électeurs pour des cons ! Il y a forcément un des deux groupes qui se fait avoir dans l’affaire. Chaque parti fait croire à ses électeurs qu’il a été entendu et fait l’économie d’un débat sur la nécessité de réguler et déségréguer les écoles. Or, ce sont des conditions indispensables pour donner un socle de compétences commun à tous les élèves de quinze ans. N’aurait-il pas été plus honorable d’assumer ensemble que ce décret est loin d’être parfait — et même de proposer de l’améliorer — et de convaincre la population de la nécessité d’aller dans ce sens ?

Faire plaisir au MR, à quel prix ?

Cette obsession du MR d’une orientation professionnalisante nécessaire et urgente à réimposer avant la fin du tronc commun est non seulement aberrante, mais révèle le non-accord du gouvernement sur le fond de la réforme. Pourquoi ne répond-on pas au MR que le besoin de cours manuels sera satisfait, et pour tous, avec la dimension polytechnique du tronc commun ? Avant quinze ans, ce n’est pas l’heure de l’orientation professionnelle [6]En 2014, 13 349 élèves orientés en 3P. En 2017, il y en a 25 % en 6P, 6 % en alternance et 48 % d’entre eux sont sortis sans aucun diplôme (sauf le CEB s’ils l’avaient)., c’est le temps de mettre en place des bases solides qui devront permettre d’apprendre plus ultérieurement, quel que soit le métier visé. Même les entreprises le disent. Pourquoi laisse-t-on le MR affirmer des contrevérités ? Et l’alternance qui devrait pouvoir être choisie à quinze ans. Pour qui ? Pour ceux qui sont en difficultés à l’école ? Qui peut oser prétendre que c’est une solution ? Les chiffres sur ce que produit la formation en alternance à Bruxelles sont jalousement gardés parce qu’ils ne sont pas brillants. En 2018, malgré une sélection des élèves à l’entrée, seuls 63 % sont allés au bout de leur année, ce qui ne veut pas dire qu’ils l’ont réussie… et le comble, 30 % d’entre eux n’avaient pas de patron parce que leur formation de base était insuffisante aux dires de ceux-ci… Où est le sens ? Où sont les apports de ces mesures ?

Et en vrac

Au fil des quatorze pages, voici les traces qui nous font craindre que les formations politiques ayant rédigé la DPC ne soient pas prêtes à basculer d’un système discriminant à une école où tout le monde apprend.
Il y a la question des moyens budgétaires. Est-ce que la budgétisation des mesures prévues sur quinze ans et comprenant une revalorisation barémique du salaire des enseignants est contestée ? Si oui, le plan de transformation de l’école est compromis. Si c’est juste contrôler budgétairement que ça va bien se dérouler avec les prévisions de dépenses [7]Les dépenses sont les investissements supplémentaires nécessaires aux améliorations. et d’économies [8]Les économies sont les retours prévus à la suite des améliorations apportées qui devraient permettre de réduire le redoublement et l’orientation massive dans le spécialisé., est-il nécessaire de l’indiquer comme ça ?
Comment les politiques n’ont-ils pas pensé que postposer la réforme de la formation initiale des enseignants après tout le travail qu’elle a nécessité, à un rythme effréné pour les organismes de formation ne pouvait que passer pour du mépris ?
Le gouvernement encouragera la construction et la rénovation d’écoles qui organisent l’ensemble du tronc commun. Encouragera ? Cela veut-il dire qu’on pourrait encore construire une école sur un autre modèle ? Mais à quoi joue-t-on ? Comment ne pas lire que le basculement dans une autre organisation de l’école n’est pas suivi par les responsables politiques ?
Le gouvernement s’engage à garantir à chaque enfant un potage gratuit à l’école. Ça mérite d’être salué, car c’est un levier important pour la santé d’un nombre croissant d’enfants issus de familles vivant dans la grande pauvreté.
Il y aurait beaucoup de choses à dire encore, mais je vais m’arrêter là. Il faudra revenir rapidement sur la suite du tronc commun et sur la réforme de l’enseignement qualifiant où des enjeux se dessinent entre les régionalistes qui veulent le cheviller aux besoins des entreprises de leur territoire et l’Institut wallon de formation en alternance et des indépendants et petites et moyennes entreprises (IFAPME) qui semble vouloir grignoter des compétences de l’école… Il faudra veiller à réaffirmer la mission éducative du système scolaire pour les jeunes de quinze à dix-huit ans et les conditions de sa réalisation [9]Voir la question de la CPU : tinyurl.com/tln9m95.
Pour conclure, cette DPC peut être interprétée comme un recul. Trop vite déclarée ? Et par des négociateurs croyant bien faire, mais peu au fait des enjeux multiples et incontournables liés à l’école ? Est-ce révélateur d’un recul par rapport aux ambitions du Pacte ?
Pour qu’on puisse y croire encore, les partis devront rapidement clarifier.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 La couche, ce sont les quatorze pages de la DPC sur l’EO.
2 Une réforme qui n’est pas menée à son terme ne peut porter ses effets.
3 Décret mission, Contrat pour l’École et puis des mesures plus « bottom–up » prises par les ministres Cdh.
4 Jusqu’à quinze ou seize ans, selon les pays, pour passer de l’injonction paradoxale de faire réussir tout en sélectionnant et triant à la seule mission de faire apprendre tous les enfants.
5 Ségrégation sociale comme pédagogique.
6 En 2014, 13 349 élèves orientés en 3P. En 2017, il y en a 25 % en 6P, 6 % en alternance et 48 % d’entre eux sont sortis sans aucun diplôme (sauf le CEB s’ils l’avaient).
7 Les dépenses sont les investissements supplémentaires nécessaires aux améliorations.
8 Les économies sont les retours prévus à la suite des améliorations apportées qui devraient permettre de réduire le redoublement et l’orientation massive dans le spécialisé.
9 Voir la question de la CPU : tinyurl.com/tln9m95