Il apparait évident, aujourd’hui, que le cours d’arts plastiques vise l’expression personnelle, l’ouverture culturelle et l’inventivité. S’il en est ainsi, alors le cours d’arts plastiques a (devrait avoir) toute sa place dans la formation des enfants et des adolescents, mais il n’en a pas toujours été ainsi, et les modèles ont la vie dure !
L’enseignement et l’apprentissage des arts plastiques à l’école, comme toutes les disciplines, ont évolué au cours de leur histoire. Je vous propose de lire cette évolution épistémologique par le biais de paramètres qui pourraient constituer les principaux paradigmes de l’enseignement-apprentissage des arts plastiques. Les paramètres que je propose d’aborder sont : les finalités de cet enseignement (les buts éducatifs), les moyens utilisés (méthodes pédagogiques, didactiques), le rapport au savoir, le rapport au pouvoir, l’évaluation et le statut de l’erreur. J’emprunte à Isabelle Ardouin la terminologie des paradigmes de la discipline[1] I. Ardouin, « Du dessin aux arts plastiques », in M. Develay, « Savoirs scolaires et didactiques des disciplines », ESF, 1995..
Au début du XXe siècle, l’école se développe au sein de la société industrielle. Il s’agit de faire des élèves de « bons exécutants », le modèle dominant est la transmission du savoir et celui-ci est prédéterminé, unique et dit « objectif ». Les finalités de l’enseignement des arts sont de former le « bon » gout des élèves et d’en faire des exécutants. Si ceux-ci sont invités à s’exprimer librement, les contenus et les méthodes annulent cette dernière intention. Ils apprennent des techniques pour elles-mêmes et le principe d’imitation est prôné. Nous ne parlons pas encore d’arts plastiques, mais du cours de dessin avec ses règles et ses normes (la perspective notamment). Aucune réflexion n’est abordée quant au sens de l’art, aucun lien n’est fait avec les courants artistiques qui se développent au même moment (Cubisme, Dadaïsme, Futurisme, Surréalisme, etc.). La part de l’élève est quasi inexistante, on lui demande de faire et de copier, il est un simple récepteur des valeurs académiques dictées et doit se soumettre au maitre, lui-même soumis aux maitres classiques, et aux normes d’une société conservatrice. Il doit s’adapter à l’école et aux modèles comme l’individu doit s’adapter à la société. L’erreur de dessin est sanctionnée, souvent entourée d’un trait rouge.
Mai 68 marque une rupture forte : la révolte est culturelle, sociale et politique. Influencée par les pédagogies libertaires (par exemple, lire « Libres enfants de Summerhill », de A. S. Neill) et non directives (« La non-directivité », C. Rogers), la conception de l’école va changer. Il s’agit de remettre l’enfant au centre de l’apprentissage, nous sommes dans un modèle du développement personnel. L’enfant est une « personne » qui peut se développer selon ses besoins, en ayant accès aux différentes sources du savoir, le maitre n’en étant plus le seul détenteur. Des modèles démocratiques se développent au sein de l’école (disons de certaines), le rapport au pouvoir change, les paroles sont entendues, la participation prônée, l’organisation et la gestion de la classe se collectivisent. L’enseignement des arts trouve une place nouvelle dans les écoles, on parle d’arts plastiques au côté de l’enseignement de la musique, et en lien avec d’autres disciplines comme l’audiovisuel ou la danse. Des options artistiques se créent dans le secondaire. Les finalités annoncées sont d’une part, de comprendre les phénomènes visuels, d’autre part, de développer la créativité, et enfin, de proposer une culture artistique. L’expression plastique, la pensée divergente, l’histoire et les théories de l’art sont au cœur de l’enseignement de cette discipline. Les activités artistiques ont maintenant des spécificités propres et peuvent revendiquer, en réaction contre l’académisme, un rôle structurant pour l’épanouissement de la personne. Mais nous sommes dans le mythe rousseauiste, selon lequel l’enfant se développe naturellement en fonction de ses propres besoins, avec le postulat que l’enfant est créatif par nature. Peu de choses sont donc pensées en termes de construction des savoirs sur le plan méthodologique. Les modèles anciens ont la vie dure, ils sont encore très présents dans la classe (on fait à la manière de…), et lorsqu’ils sont abandonnés, la dérive est occupationnelle, le cours d’arts plastiques est alors vu comme simplement récréatif. Isabelle Ardouin dit : « Les arts plastiques promettent ce qu’ils ne donnent pas encore. »
Bien que n’étant pas proposé par Isabelle Ardouin, il me semble important de faire écho à ce qui se passe dans l’enseignement des arts dits « appliqués », sans doute plus connus sous des labels tels le design (design industriel, design graphique, design textile, d’espace, etc.) ou la communication (publicité, communication visuelle, photographie, etc.). Des champs de formation qui existent en parallèle de ce qui fut nommé « Beaux-Arts » (peinture, sculpture, etc.).
Dans l’enseignement de ces disciplines professionnalisantes, « il ne s’agit bien souvent plus d’instruire l’élève, ni d’épanouir l’enfant, ni d’occuper les jeunes, mais de développer l’apprenant (futur professionnel). Les savoir-faire sont valorisés, les mises en situations problèmes, les activités de recherche, la pédagogie du “contrat” sont privilégiées. Ce qui est caractéristique de ce modèle pédagogique, c’est la primauté de l’apprenant comme individu, sujet de sa propre formation, mais à l’intérieur de problèmes qu’on a définis pour lui, qu’il n’a pas posés et dont il ne maitrise pas les conditions sociales d’existence. Le contexte institutionnel n’existe pas : les problèmes se posent neutres et techniques et doivent être résolus par des experts neutres et techniques. Il s’agit de former un travailleur autonome par rapport à ses méthodes de travail, mais non par rapport aux finalités de ce travail. »[2] J. Cornet, « Faire école, un sport de combat », Couleur Livres, 2015, P 96.
Dans ce modèle, les futurs professionnels des arts apprennent leur métier tel qu’il est défini par des corporations dominantes, et sont soumis au dictat des employeurs privés qui établissent leurs normes, précisent leurs besoins et les dictent à l’école. Ceux-ci accueillant les élèves en stage se positionnent ainsi comme acteurs de la formation et participent à leur évaluation, se centrant bien plus sur les compétences et les erreurs professionnelles que sur la pensée divergente ou critique.
Il s’agit ici de socialiser et de construire l’intelligence. L’enseignement des arts plastiques rompt avec l’idée de la progression technicienne et de l’accumulation de savoir-faire. L’apprentissage des notions se fait sur un mode socioconstructiviste, et un rapport est étroitement entretenu entre la classe et le monde de l’Art. Des artistes viennent, en classe, pour animer des workshops, les élèves exposent et entretiennent un rapport critique vis-à-vis de ce qui leur est proposé à voir. L’erreur n’est pas sanctionnée, elle est une étape nécessaire à la construction des savoirs. Dans la démarche de création, l’erreur est une opportunité pour produire du nouveau, de l’inattendu, l’accident est exploité, le hasard dompté. Savoirs et savoir-faire sont réconciliés et prennent autant d’importance dans la formation. Ils sont utiles l’un à l’autre, ils sont issus l’un de l’autre. L’élève est amené non seulement à créer, mais à développer un discours critique et cohérent, tant sur sa démarche que sur sa production. Les attitudes sont au centre de l’enseignement des arts plastiques : on vise à ce que l’élève élabore son propre univers et son propre horizon artistique, par une attention particulière portée à la prise de risque, à la connaissance de son intuition, à l’autonomie, au respect, à la pensée divergente, à l’observation, à l’ouverture d’esprit et de recherche… Des problématiques plastiques sont posées comme questionnements ouverts et l’évaluation prend des formes formatives, l’évaluation est l’apprentissage, les repères (plutôt que des critères) sont élaborés en classe et l’élève est invité à se dépasser et à dépasser les règles et les codes.
Ces paradigmes se sont développés dans une logique historique selon trois axes essentiels :