Quand une équipe prend forme, contre vents et marées

Une équipe de bénévoles qui crée une école : c’est la saga de la Cité école vivante! Premier épisode pour raconter cette aventure qui a démarré en 2010.

Début des années 2010, sous l’impulsion de la Communauté française, les écoles sont invitées à organiser des temps de conseil où élèves, enseignants, agents CPMS et éducateurs peuvent, ensemble, questionner leur bienêtre.

Dans l’école des fondateurs de la Cité école vivante, au cœur de la cité ardente, à Liège autrement dit, un noyau se forme, sentant qu’élèves et équipe doivent interagir, pour sortir des carcans imposés par les horaires de 50 minutes, par les cours centrés sur une unique discipline, par les rôles assignés, par les appréciations quantitatives consignées dans les cases des bulletins…

« Si on ne peut pas changer cette école, il est peut-être temps d’en créer une autre, non ? »

Et puis, au fils des années, la lourdeur de l’institution école et sa résistance aux changements ont raison de cette cellule bienêtre. Mais les idées sont semées…

Le projet «3A – 4A»

La Cité école vivante qui depuis son origine est centrée sur la valeur du bienêtre, c’est aussi une histoire d’équipe. À la rentrée scolaire de 2012-2013, le petit noyau demande ainsi à constituer l’équipe pédagogique de deux classes, la 3e et la 4e, des années critiques, notamment parce que les représentations de l’enseignement sont très différentes entre lesrégents et leslicenciés… Une douzaine de profs se met en projet : cours interdisciplinaires, projet annuel, temps d’apprentissage verticaux, conseil de classe hebdomadaire avec l’ensemble des profs et des élèves, bulletin sans note, mais avec des commentaires précis sur les acquis d’apprentissage, temps d’accompagnement quotidien pour apprendre à étudier, concertation d’équipe (le vendredi après les cours), négociation des libertés (sortie anticipée en fin de journée et sur les temps de midi), réunions de parents collaboratives, mise au vert d’une journée avec les élèves et les enseignants (et la direction!) pour discuter de la situation de chaque élève, etc.

Ce qui est créé là, c’est une école dans l’école, une équipe dans l’équipe et, à tout bien y réfléchir, ce n’est pas une si bonne idée. Certains semblent trouver le projet menaçant, ou insaisissable. L’équipe 3A-4A est au bout de ses forces… En juin 2013, le projet est arrêté.

Les voyages forment la genèse!

Quelques mois plus tard, consciente dudésespoir de ses forces vives, la direction de l’établissement propose une nouvelle voie de réflexion : les mobilités européennes Erasmus font peau neuve et des équipes d’enseignants peuvent monter un dossier pour obtenir des fonds pour des projets à visée pédagogique. Le dossier s’arcboute sur le besoin d’intéresser les adolescents, de rendre les apprentissages scolaires riches de sens. C’est alors l’expression «accrochage scolaire» qui pointe le bout de son nez, tandis que partout, c’est le décrochage qui prend le dessus. L’idée est d’agir en amont, là où chaque jeune peut construire un autre rapport à l’école, un rapport impliquant,concernant, partenaire…

Le dossier se construit, avec le soutien d’une professeure de l’université de Liège pour aider l’équipe à clarifier son projet quant à la question de l’accrochage scolaire. Il s’agit d’étudier la manière dont les pédagogies actives s’emparent du sujet à l’échelle de toute une école, y compris dans l’enseignement secondaire. Un financement européen pour deux mobilités est sollicité. Le voyage est planifié grâce aux contacts établis avec la Fédération des établissements scolaires à pédagogies innovantes, en France. Une première semaine vise la découverte d’une seule école secondaire, à La Ciota, près de Marseille, le Clef (Collège lycée expérimental Freinet) : il s’agit d’un établissement où cohabitent une filière complète en pédagogie Freinet et le reste de l’école en pédagogie traditionnelle. Ils appellent cela un tube : les élèves qui entrent dans la filière en 6e1, ne la quittent plus jusqu’à la terminale2. Cela rappelle un peu le projet «3A-4A»… La deuxième semaine prend l’option complémentaire : des découvertes courtes et multiples d’établissements innovants. L’espoir est de rencontrer des pistes pédagogiques, depuis des initiatives en classe de maternelle Decroly jusqu’à la structure d’un PIL (Pôle innovant lycéen) visant l’obtention du fameux bac français pour adultes déscolarisés.

Un coup de foudre : le CLE

Le CLE (Collège lycée expérimental) de Hérouville-Saint-Clair a ouvert ses portes en 1980, il a donc plus de trente années d’existence. Mais pour notre équipe qui débarque, c’est incroyable…

Extrait du journal de bord d’une enseignante lors de la visite :

Dans une annexe de laboratoire, assis autour d’une large table, une dizaine d’adultes discute, argumente, explicite, vote. Ensemble, ils organisent les activités et projets de l’établissement. Le fonctionnement de la réunion est familier : demandes de prises de paroles, présidence, secrétaire, ordre du jour, gestion du temps, etc. Ces rôles et objets sont ceux de la pédagogie institutionnelle; notre équipe les applique elle aussi lors de ses réunions. Pourtant au-delà de la forme, quelque chose d’autre semble se jouer ici.

Cherchant à comprendre, les questions fusent. Qui compose cette équipe de direction? Cet établissement dispose-t-il de tels moyens qu’il peut se permettre d’avoir autant d’adultes qui gèrent son fonctionnement? Que signifient toutes ces expressions : GP, concertation, cooptation? L’équipe semble décider dans un climat d’écoute, de respect, de mesure, de vigilance, mais aussi d’habitudes et de routines.

Nous découvrons alors certaines particularités du CLE. Il s’agit d’un établissement autogéré; les enseignants volontaires sont cooptés par leurs collègues pour intégrer le CLE. Ils sont membres de l’équipe. Ils se concertent une fois par semaine pour prendre les décisions (par vote) et faire le point sur les projets (issus de travaux en commissions). Certains sont coordinateurs de cycle, d’autres, gestionnaires des projets pédagogiques, chargés de direction ou responsables des relations extérieures. Ces postes sont attribués par un processus démocratique : définition de fonctions et durée du mandat, candidatures, élection, bilan d’activité; un principe de rotation étant d’application. De plus, tout membre de l’équipe prend en charge différentes activités avec les élèves : des cours disciplinaires, du tutorat3 (rencontre individuelle), des ateliers d’aide au travail, des temps de décloisonnement disciplinaire (TDD), des surveillances de couloir, le service à la cantine. Quelle que soit sa fonction dans l’école, chaque enseignant participe à l’accompagnement d’élèves. « Au CLE, tout est éducatif », nous explique Suzanne.

L’étonnement est à la mesure de la densité des spécialités du CLE. J’avoue être subjuguée par cet établissement scolaire qui offre tant d’occasions à ses élèves et à ses enseignants. « C’est un paradis ici! Impossible de s’ennuyer! », ai-je pensé alors. Plus tard, dépassant la surprise, une question me préoccupe. Être enseignant au CLE, ce n’est visiblement pas pareil qu’être enseignant ailleurs; mais alors, quel est ce métier? Comment l’apprend-on? Les enseignants sont-ils formés aux différents postes dans l’ED (équipe de direction) ou au rôle de tuteur? Comment gèrent-ils toutes ces casquettes, tous ces dispositifs?

Un double refus

Inutile de vous dire que, le petit noyau d’enseignants que ces voyages a le plus touché redouble de motivation à faire changer l’école, à donner plus de responsabilités aux élèves (et aux enseignants), à renouveler les dynamiques de concertation, à décloisonner les enseignements… Le souhait le plus cher reste de mettre en place untube dans l’établissement. Cela semble d’une importance majeure pour les élèves adolescents, parce que toute l’école ne peut pas changer, mais que, d’une certaine manière, une alternative est possible. Alors un argumentaire précis est conçu, les collègues sont informés avec détails (histoire de ne pas faire deux fois les mêmes erreurs) et une rencontre avec le pouvoir organisateur de l’établissement est organisée.

Deux. Il a fallu deux refus (et deux réunions avec le PO) pour qu’on le comprenne. Pour qu’on l’admette. L’on n’y parviendrait pas. Pourquoi? Aujourd’hui, nous l’expliquons par le simple fait que cette école ne voulait pas changer. Elle ne comprenait pas pourquoi s’inquiéter des élèves adolescents est si important, car elle pensait le faire déjà suffisamment. Un PO ne voit pas non plus les élèves, en chair et en âme, en classe. Un PO n’est pas un collectif d’enseignants de terrain, il ne sait pas ce que c’est que donner du sens à des programmes de matières. Un PO, ça vit finalement assez loin de l’école…

Bref, la proposition n’a pas convaincu. Et l’histoire aurait donc pu s’arrêter là, après déjà trois ans de mise en commun d’une conception différente et heureuse de l’école pour ados. On n’est pas passé loin de ce renoncement…

Sauf que… Nos élèves et nos propres enfants aussi, et les nombreux ouvrages ou articles pédagogiques que nous avions lus, et les mille et une mise en œuvre concrètes observées sur les terrains de l’apprentissage, la formation entamée en pédagogie institutionnelle, et les liens créés dans l’équipe (enfin, ce qu’il en restait après ces forts découragements) : tout cela ne s’efface pas…! Et un jour, en salle des profs, l’une de nous a relancé la machine : elle a peut-être osé assumer cet idéalisme tant reproché. «Bon, les gars, on n’a quand même pas fait tout ça en vain. Si on ne peut pas changer cette école, il est peut-être temps d’en créer une autre, non?»