4 Promotion active

D’où vient la pédagogie explicite, qui la promeut, avec quels arguments?

Actuellement, pour le monde francophone, c’est une équipe québécoise qui porte haut et fort la pédagogie explicite avec Steve Bissonnette, Clermont Gauthier et Mario Richard. Ils sont les partenaires privilégiés de l’équipe de l’UMons : Marc Demeuse, Marie Bocquillon et Antoine Derobertmasure qui ont créé une formation et un certificat en pédagogie explicite et de certains professeurs de l’ULiège dont Ariane Baye pour le soutien au comportement positif.

« Ils considèrent que la pédagogie explicite est la seule efficace et équitable, et c’est prouvé scientifiquement… »

Il faut leur reconnaitre une force d’action et d’influence certaine. Ce courant s’implante de manière inégale, mais progressivement, dans toutes les universités francophones belges, même si d’autres courants s’y opposent. La direction du Pacte leur a confié plusieurs missions de recherches et d’accompagnement dans les écoles, ainsi que la supervision des travaux des consortiums, une supervision qui s’est avérée très tolérante. Le Segec (enseignement catholique) semble le promouvoir de manière privilégiée[1]bit.ly/3UhJCvz, même si l’UCLouvain est sans doute une des universités qui y résiste le plus[2]Voir par exemple : H. Draelants et S. Revaz, L’évidence des faits. La politique des preuves en éducation, PUF, 2022 ou Chr. Maroy, L’école québécoise à l’épreuve de la gestion axée … Continue reading, avec l’ULB où Bernard Rey, entre autres, propose des analyses critiques intéressante[3]Voir entre autres B. Rey & V. Carette, Enseignement et apprentissage dans le secondaire, L’Harmattan, coll. « Les sciences de l’éducation aujourd’hui » ou encore une offre de … Continue reading .

C’est Barak Rosenshine qui est à l’origine de la méthode et de son étiquette. Dès les années 1970, il tente d’identifier les gestes de l’enseignant efficace à travers des observations dans les classes. De ces observations, il déduira un profil type de l’enseignant efficace, puis il dirigera des recherches expérimentales pour vérifier la plus grande efficacité de la pédagogie explicite en comparant deux groupes, des enseignants formés à la méthode et d’autres non formés à cette méthode.

EBE

L’argument de vente est donc double : la pédagogie explicite est la seule efficace et équitable, et c’est prouvé scientifiquement. Ils considèrent que la validation qu’ils apportent est la seule scientifiquement valable, à savoir : d’une part l’essai randomisé contrôlé et d’autre part, les métaanalyses qui reprennent et synthétisent toutes les recherches répondant à leurs critères de scientificité. Ce courant de preuves par les faits s’appelle l’EBE (evidence based education ou éducation basée sur les preuves).

Pour un essai randomisé contrôlé, les participants à la recherche sont versés aléatoirement dans un groupe contrôle ou un groupe expérimental. Une mesure des performances visées est effectuée dans les deux groupes avant et après l’expérimentation. Dans le groupe expérimental et pas dans le groupe témoin, l’intervention consiste à modifier volontairement un nombre restreint d’éléments tout en estimant tous les autreségaux par ailleurs. Si les résultats après l’expérimentation sont significativement supérieurs dans le groupe expérimental par rapport au groupe témoin, c’est la preuve que les éléments volontairement modifiés devraient être prescrits et généralisés pour tous les enseignants et à toutes les classes.

Les métaanalyses consistent à établir un relevé et une synthèse de toutes les recherches répondant à une question similaire. Les critères de prise en compte de cette métaanalyse sont d’une part, la méthodologie utilisée (uniquement les essais randomisés contrôlés) et d’autre part, la proximité des objets de recherche.

La pédagogie explicite se revendique clairement et est d’ailleurs le contenu le plus présent de l’EBE, evidence based education, qui s’inspire de l’EBM, evidence based medecine, tous deux liés à l’EBP, l’evidence based policy, c’est-à-dire une politique basée sur les faits, les faits mesurés et mesurables, que ce soit en matière de santé publique et d’éducation, mais aussi de lutte contre la pauvreté, de choix économiques, de prévention de la délinquance…, ce qui avait amené Sarkozy à vouloir prévenir la délinquance dès la maternelle grâce à un carnet de comportement individuel.

NPM

Il y a une certaine logique politique dans tout cela. À partir des années 80, on considère que l’État-providence a échoué et qu’il est temps de lui substituer un autre État, un État qui ne va plus excuser et compenser les faiblesses d’un nombre croissant de ses membres (chômeurs, malades de longue durée, délinquants…), mais au contraire les responsabiliser pour qu’ils deviennent acteurs de leur réinsertion et responsabiliser les institutions qui doivent s’en occuper (services sociaux, hôpitaux, écoles…).

Pour mener cette politique gestionnaire, l’État va recourir à la recherche scientifique qui pourra dire quelles politiques mener, quelles mesures efficaces prendre pour optimiser les dépenses publiques, et cela de manière neutre et objective, désidéologisée. Les choix ne sont plus politiques, mais techniques. C’est ainsi que le NPM (new public management) mènera des EBP, des politiques basées sur les preuves, dont l’EBE et dont l’enseignement explicite.

On comprend alors mieux l’engouement des pouvoirs publics : on va enfin pouvoir mener des réformes efficaces, équitables et efficientes, l’efficience mesurant le rapport couts/bénéfices. Et c’est ce qu’ont fait très tôt les pays anglo-saxons, ce que fait le Canada et la France, la France, où le très (il)libéral[4]L’illibéralisme est un régime politique qui instrumentalise les outils démocratiques pour renforcer le pouvoir du (des) dirigeant(s) et des dominants : c’est le cas de V. Orban, de Poutine, … Continue reading ministre J.-M. Blanquer a mis sur pied un «Conseil scientifique de l’éducation nationale» ne réunissant que des experts de la même orientation, dont un Belge (Marc Demeuse, UMons) et qui promeut (prescrit?) cette même démarche[5]bit.ly/3MxoQGB.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 bit.ly/3UhJCvz
2 Voir par exemple : H. Draelants et S. Revaz, L’évidence des faits. La politique des preuves en éducation, PUF, 2022 ou Chr. Maroy, L’école québécoise à l’épreuve de la gestion axée sur les résultats. Sociologie de la mise en œuvre d’une politique néolibérale, PUL, 2021.
3 Voir entre autres B. Rey & V. Carette, Enseignement et apprentissage dans le secondaire, L’Harmattan, coll. « Les sciences de l’éducation aujourd’hui » ou encore une offre de formation continuée intitulée Vers une pédagogie plus explicite.
4 L’illibéralisme est un régime politique qui instrumentalise les outils démocratiques pour renforcer le pouvoir du (des) dirigeant(s) et des dominants : c’est le cas de V. Orban, de Poutine, d’Erdogan, de Trump, mais aussi de manière moins évidente de l’évolution de la France de Macron
5 bit.ly/3MxoQGB