L’Epique a démarré à Liège il y a quatre ans. Depuis sa création, des membres nous ont quittés, d’autres nous ont rejoints. Pour cette rentrée 2013-2014, nous serons six à nous retrouver tous les mois et demi pour réfléchir sur nos pratiques, dans cette équipe qui s’est choisi ce nom-là.
EPI ? Ca pousse où, ça ?
Une équipe de pédagogie institutionnelle, c’est un groupe de praticiens qui se constitue en vue d’un travail d’échange, d’analyse, de production ou d’organisation. Il s’agit de répondre à l’injonction de Fernand Oury : « Ne restez pas seuls ». En tant que pratique minoritaire, la PI ne peut compter que sur l’organisation volontaire de ses acteurs pour se soutenir mutuellement au quotidien et sur la durée.
Epique est ce qu’on appellera parfois un « épi de base », au sens où celles et ceux qui s’y rassemblent cherchent avant tout à partager leurs expériences, à les analyser ensemble, à avancer dans l’élaboration d’une éthique professionnelle. Comme dans la plupart des épis de base, nous sommes actifs dans des établissements différents, voire dans des niveaux ou secteurs d’activité différents : enseignement obligatoire et supérieur, éducation permanente, etc.
Le témoignage de Sandrine à son entrée dans l’équipe en septembre 2013 nous donne une bonne indication d’un des moteurs à rejoindre et faire fonctionner un épi : « J’ai suivi un stage de PI durant les vacances d’été.
J’aimerais commencer à mettre des choses en place dans mes classes mais je ne sais pas comment m’y prendre. Dans mon école, les collègues se montrent très frileux lorsqu’on aborde le sujet de la pédagogie. Je ne peux pas compter sur eux pour m’épauler dans cette démarche. Lorsque j’ai appris qu’il existait un EPI dans la ville où j’exerce, je n’ai donc pas hésité à le rejoindre. ».
Depuis le début, nous pratiquons l’analyse d’une situation concrète, que l’un de nous a vécue en classe. Tous les membres de l’Epique ne sont pas forcément des praticiens aguerris de la pédagogie institutionnelle. Les situations abordées n’ont pas forcément eu lieu dans des « classes PI ». Mais nous réfléchissons à comment la PI pourrait nous aider et aider nos élèves, nous permettre d’améliorer nos pratiques quotidiennes…
Depuis deux ans, nous travaillons selon le même procédé. D’abord, un thème est choisi pour l’année. En 2012-2013, nous avions décidé de travailler sur « une situation que nous estimons insatisfaisante dans laquelle quelqu’un (élève, groupe, collègue, …), à l’école ou dans un autre contexte de formation, prend / ne prend pas une initiative ». Chacun a écrit un texte relatant une situation vécue en classe, ou dans toute autre situation de travail en collectif, et l’ a présenté au groupe. Un seul texte est choisi par l’équipe et sera l’objet du travail commun pour les séances suivantes.
Lors de la première séance, nous faisons connaissance avec le texte choisi ainsi que son contexte. Ensuite, durant trois séances, nous tentons d’analyser ensemble la situation, tout en cherchant à voir en quoi elle fait écho pour chacun.
Une des méthodes de travail est l’écriture de rebonds : chacun, ayant entendu le texte, écrit ce à quoi il lui fait penser ou ce qui l’interroge, tant dans la situation décrite que dans sa propre expérience.
Une autre est la discussion de groupe s’appuyant sur la grille de l’Entraînement Mental. Issue de l’éducation populaire, cette méthode est un moyen tout à la fois systématique et souple d’analyser une situation problématique (ou « insatisfaisante »), en nous invitant à nous poser toute une série de questions.
Au bout des 3 ou 4 séances, nous nous efforçons de rassembler nos analyses dans un écrit que nous partageons, si nous le souhaitons, via le Bulletin intérieur (BI) du Ceépi, avec d’autres praticiens et d’autres équipes de PI en Belgique et en France.
A la fin de l’année scolaire, on fait le bilan. Voici les témoignages des membres d’Epique, ce qu’ils retiennent et ce qu’ils retirent de cette année :
Nicolas : « De manière générale, ce que j’en retire, c’est de maintenir une activité commune de prise de distance critique par rapport à mon propre quotidien : sortir le nez du guidon, et se contraindre ensemble à relever la tête pour envisager les enjeux plus larges de nos ouvrages quotidiens.
Ce qui, je crois, permet cela, c’est notamment : la régularité des réunions, la ritualisation des ordres du jour, la définition de méthodes de travail, l’attention portée par chacun au cadre de travail et à la parole de chacun, en bref : le soin accordé à nos propres institutions.
Épique est aussi, pour moi, un aide-mémoire : pour me rappeler régulièrement qu’il est possible de travailler sereinement en équipe et de produire collectivement en limitant autant que possible la violence. Cela m’oblige à tendre vers cela dans les équipes de travail auxquelles je participe au quotidien. »
Audrey : « Ce que m’apporte en général ma participation à cet épi, c’est le plaisir d’échanger sur nos expériences heureuses ou moins dans le milieu éducatif (plus spécifiquement l’enseignement où cela est plutôt rare !)
C’est aussi le travail en équipe qui est précieux pour moi, ne pas rester seule… dans un métier finalement plutôt solitaire devant nos classes.
Le fait d’écrire sur ses propres pratiques est assez enrichissant. Sans y être poussée dans l’épique, je ne prendrais pas le temps de le faire. Cela m’aide pourtant à progresser, à comprendre mieux mes difficultés, même si on ne travaille pas mon texte.
Enfin, la richesse de faire partie d’un réseau (avec Cgé, épi belge, français, Rpé) qui a envie et agit pour faire bouger les choses… »
Coralie : « d’un point de vue pratique, notre lieu de réunion (une classe de Haute Ecole) était très approprié et le rythme, les horaires n’étaient pas contraignants. Notre groupe est très hétérogène et plein de bonnes idées.
A propos du thème et des situations traitées, je les ai trouvées cette année très enrichissants. Le cas d’un autre membre pourrait tout à fait s’appliquer à moi dans ma vie d’enseignante « traditionnelle » et je trouve que les pistes de solutions peuvent donc nous être utiles à tous. J’apprécie beaucoup notre manière de travailler et je trouve que le thème abordé était particulièrement riche et intéressant. J’aurais toutefois aimé travailler sur une situation « satisfaisante » dans la prise d’initiative. Nous ne l’avons encore jamais fait et je pense que cela pourrait être tout aussi enrichissant. »
Françoise : « Je trouve très riche de partager mes difficultés professionnelles avec une équipe qui n’est pas forcément celle de mon lieu de travail. Cela me permet de mieux prendre distance, de me décentrer. J’ai un réel intérêt à travailler en collectif sur les situations insatisfaisantes rédigées par mes ‘camarades’ ou par moi. Les analyses qui en ressortent, l’identification des problèmes, les pistes de solution proposées sont toujours sources de transformation pour ma pratique professionnelle. Se donner comme but de production de publier dans le BI ou ailleurs reste un beau défi, donne plus de sens à notre travail d’équipe ; c’est également une source de fierté. »
Benoît : « L’épique, c’est surtout le plaisir de partager, de se comprendre (ou pas…) et de se compliquer. Cela fait du bien d’exprimer ce qui ne va pas et de pouvoir en parler avec des gens qui sont là pour écouter, s’entraider, se conseiller. Chaque participant est utile à l’autre. Notre méthode est rigoureuse et permet de prendre de la distance. L’analyse réflexive est tournée vers l’avenir. Les situations traitées permettent d’avancer, de mieux comprendre ses faiblesses, d’améliorer ses pratiques professionnelles, de se sentir mieux dans son métier. »