Première séance, découverte du groupe et premières approches. Les élèves ne sont pas en groupe classe, ils ne se connaissent pas entre eux, je ne leur ai jamais donné cours même si je suis professeur dans le même établissement.
Après un petit jeu pour découvrir les prénoms, je leur demande si certains ont déjà assisté à un spectacle d’ombres, puis je leur distribue un dossier que l’on survolera rapidement sur l’origine de cet art, les légendes qui l’entourent, les pays qui l’ont mis à l’honneur. Ensuite, je divise le groupe en trois. J’ai prévu trois activités d’une demi-heure et chacun des sous-groupes devra s’y investir.
Silhouette du visage : une lampe puissante, des feuilles blanches, des crayons et de la gouache noire. L’un des jeunes se met entre le faisceau de la lampe et la feuille, pendant que l’un de ses camarades fait le contour de l’ombre projetée. Les silhouettes sont ensuite peintes en noir et mises à sécher.
Ombromanie : une tablette est mise à disposition et les élèves ont deux liens à visionner où l’on peut voir des personnes faire des silhouettes avec leurs mains. Ils reçoivent trois livres avec des illustrations d’animaux et s’entrainent à faire un passage par deux, derrière un écran illuminé. Je souhaite qu’il y ait une entrée des personnages, une petite occupation de la toile et une sortie. Pas de paroles, éventuellement des bruitages et une musique de fond peuvent venir soutenir.
Virelangues : les élèves sont invités à feuilleter l’album Pinicho oinichba de Thierry Dedieu. « Pie niche haut, oie niche bas… » chaque phrase est illustrée en grand et en noir et blanc. Ils reçoivent alors plusieurs feuilles avec des virelangues et des idées d’illustrations en ombres chinoises. Je leur demande de choisir une des phrases, de l’illustrer assez simplement et de s’entrainer ensuite à la prononcer tout en manipulant la ou les silhouettes fabriquées. Ils reçoivent du scratch et des bâtonnets pour les faire tenir.
Fin de séance, je reprends toutes les productions. Chacun est invité à compléter son carnet des apprentissages avec la consigne : quelle technique ai-je préférée ? Pourquoi ?
Deuxième jour d’atelier. Rappel des prénoms. Distribution des silhouettes, chacun découpe le visage qui a séché et le colle sur une feuille blanche. Je reprends les productions et on s’essaie à un jeu de devinettes : qui est qui ?
Je demande à chacun de retrouver son sous-groupe de la veille, je donne quinze minutes pour se mettre au point par rapport aux virelangues et aux ombres avec les mains et, ensuite, présentation des productions au grand groupe. J’ai apporté un grand castelet pour les ombres manuelles et un plus petit en bois pour l’autre activité.
Belles trouvailles chez certains, rires lors des bafouillements des autres, plaisir de montrer, surprise des spectateurs. On entre dans de petits jeux, on engrange les audaces.
Vient alors le conseil de la production finale. Que voulons-nous représenter ? Des fables, des contes, des poèmes, des chansons ?
Des contes. Allons-nous voyager à travers le monde, nous centrer sur un pays, un continent ?
On décide de voyager en Orient.
Lors d’un autre atelier avec un autre groupe, nous avions décidé de partir d’albums pour enfants et nous avions donc invité des classes de maternelles. Avec ce groupe-ci, nos invités seront deux classes de 4e primaire.
Pour alimenter visuellement notre imaginaire, nous regardons la vidéo d’un conte extrait de Dragons et princesses de Michel Ocelot. Tout y est en ombres découpées sur différents fonds lumineux.
Nous terminons la séance par la question plus réflexive : comment je me sens par rapport au projet ? Quelle est une de mes forces que suis capable d’apporter au groupe ?
Les ombres chinoises en papier sont devenues pour moi une passion. Au fil des mois, je me suis construit une petite bibliothèque avec de très beaux ouvrages. Certains sont tellement précis (découpe au laser) qu’ils nous éloignent de ce que nous pourrons réaliser ensemble, mais je trouve important de partager avec eux ces petits chefs d’œuvres. La consigne est de se mettre par deux et de feuilleter l’ouvrage pendant quatre minutes maximum et puis de le passer aux voisins.
Ensuite, je divise la classe pour former des sous-groupes de trois personnes et je distribue aléatoirement des silhouettes prédécoupées et plastifiées par mes soins. Différents thèmes : animaux des bois, monstres, enfants… Chacun reçoit un castelet et un décor, mais pas de lampe. D’une part parce que je n’en ai pas suffisamment pour tout le monde, mais aussi parce que je souhaite que chaque groupe soit centré sur son travail et pas sur celui des autres.
Première consigne : faites défiler les personnages sur un fond musical de votre choix pendant une minute maximum.
Deuxième consigne : choisissez une émotion parmi celles proposées pour chaque personnage et faites une saynète pour la faire découvrir aux autres. Pas de mots, seuls les bruitages sont permis.
Le temps de présenter aux autres, de répondre à la question du carnet des apprentissages : quel album ai-je préféré ? Pourquoi ? Qu’ai-je appris dans le travail de groupe lors des saynètes ?
Et la séance est terminée. Ainsi se boucle la première semaine.
J’ai eu plusieurs jours pour sélectionner des contes orientaux qui pourraient se prêter à une représentation visuelle. J’en ai présélectionné une quinzaine. Sur une feuille, j’ai noté les titres et un résumé succinct.
Pour cette deuxième semaine, j’arrive en classe avec des livres de contes. Je les invite, individuellement, à noter chaque conte proposé après que j’en ai fait une brève présentation. De 1 à 10 ou avec des smileys ou en leur attribuant des étoiles.
Je leur propose, ensuite, de se regrouper en sous-groupes de trois personnes au choix et de comparer leur sélection. Des décisions se prennent : La lune et le miroir, Nassredine et son âne, Le champ des génies et les babouches d’Abou Kacem.
Je demande à chaque sous-groupe de dégager le schéma actenciel de l’histoire. Ensuite, de lister les lieux, les personnages, les objets importants à la compréhension du récit. Ils doivent se distribuer les rôles. Et, enfin, pour se dégager du texte, le reformuler avec leurs mots, en essayant d’avoir un discours le plus direct possible, avec douze mots clés pour se rappeler ce qu’ils trouvent important.
Certains n’obéissent pas à la consigne, ils reformulent le texte par écrit. Cela leur prend beaucoup de temps à cette séance et aux suivantes pour finalement peu s’approprier le texte. À refaire, je serai plus intransigeante : je reprendrai les textes originaux, les obligerai à se représenter les choses mentalement et à dégager davantage les moments clés et leur succession dans l’histoire.
Certaines personnes des sous-groupes se spécialisent dans le dessin. Comme support, la plupart ont les images de l’album choisi, mais pour tous, j’ai aussi sélectionné, par histoire, des images qui pourraient convenir. Certains ont besoin d’un coup de pouce pour les illustrations, pour d’autres ça roule.
Fin de semaine, je veux entendre chaque sous-groupe présenter le conte, sans décor ni personnages, à l’ensemble de la classe. Je donne alors la parole au public : quels points positifs avez-vous observés, quelles critiques assorties de propositions pouvez-vous leur adresser ?
La semaine a filé et il ne nous reste plus que deux séances avant la représentation finale.
Lundi, on plastifie tous les personnages, on leur attache un morceau de velcro. Les élèves répètent avec un castelet et une petite lampe. Ils sont divisés dans plusieurs locaux pour ne pas se gêner mutuellement. Quelques absences par-ci par-là viennent un peu ralentir le travail des sous-groupes. Dans celui où ils étaient quatre élèves et non trois, j’ai demandé à l’un d’entre eux de faire un décor général avec un palais digne des 1001 nuits qui sera allumé dès l’arrivée de notre jeune public et plantera le décor général de la représentation. Une autre a accepté de faire une introduction plus générale comme si les cinq contes étaient des narrations de Shéhérazade pour maintenir le roi en haleine et lui conserver la vie sauve une nuit de plus.
Mardi, répétition générale, chaque sous-groupe présente à la classe sa réalisation. Certains sont encore hésitants, pour d’autres, je vais terminer moi-même les personnages qui manquent pour une compréhension plus aisée.
Et puis, lever de rideau. Un groupe ne présentera finalement pas, un membre étant absent. C’était ce même groupe qui n’avait pas voulu passer par les mots clés et qui avait vraiment du mal à se détacher de sa prise de notes écrite.
Dans l’ensemble, tous se sont prêtés au jeu, certains allant jusqu’à travestir leur voix pour incarner tel ou tel personnage. Les silhouettes réalisées étaient de toute beauté. Certains ont même imaginé des changements de décor pour faire visualiser l’avancement du champ du pauvre paysan. Le public était ravi et est même resté pour manipuler à son tour les personnages et découvrir l’arrière du décor.
Neuf séances passent finalement super vite et j’ai encore d’autres idées à tester.
Dans la manipulation de personnages déjà faits : donner le titre d’un sketch, quelques minutes de réflexion et représentation. Ou donner un proverbe qui sera la chute de l’histoire ou faire tirer une carte avec trois mots bizarres qu’il faudrait introduire et que le public tenterait de deviner.
Un jeu chapi-chapeau avec toutes des expressions comprenant le mot ombre : faire de l’ombre à quelqu’un, suivre quelqu’un comme son ombre, lâcher la proie pour l’ombre, ajouter une ombre au tableau…
Un atelier d’écriture pour imaginer une histoire ou du moins un épisode à partir d’un tableau en ombres chinoises comme dans l’album Excentric City de Béatrice Coron.
Explorer l’ombre d’objets comme le fait Vincent Bal, un cinéaste belge. Il prend un objet du quotidien et avec l’ombre projetée, il invente un dessin.
Il y a moyen aussi de travailler les ombres faites avec le corps, mais là, il faut bien penser le dispositif d’accrochage du drap et la puissance du spot pour que cela soit réalisable.
Pour ma part, l’investissement des différents groupes me prouve que cela peut être intéressant à proposer à des jeunes, même à des ados. Le plaisir et la reconnaissance du jeune public sont une motivation qui me pousse à recommencer et qui récompense les efforts des différents sous-groupes.
Les apprentissages d’organisation, de précision, de reformulation, d’oralisation, de travail en équipe me semblent également très importants et riches de sens lorsqu’ils sont menés dans le cadre d’une tâche socialisable. ó