Entre le discours et la réalité, les différences ne sont pas celles que l’on croit. Que l’approche soit flatteuse ou condescendante, l’enseignement technique n’est jamais vraiment valorisé. Et si on le laissait se mettre en valeur ?
On peut, légitimement, douter de ce que l’enseignement technique soit un enseignement de qualité. Beaucoup de discours officiels le présentent comme tel, mais toutes les mesures administratives concourent à retarder la possibilité pour un élève de s’y inscrire. Ce n’est d’ailleurs souvent que l’échec dans certains cours généraux qui y amènent finalement les élèves. Je n’argumenterai pas longtemps pour convaincre qu’un échec en mathématique ou en français n’est pas le signe nécessaire et suffisant d’un don particulier pour l’électronique. Certaines sections de l’enseignement technique font d’ailleurs particulièrement appel à certains chapitres ardus en mathématique et personne ne peut aujourd’hui se passer d’une connaissance adéquate de la langue maternelle.
Il y a un fossé entre les annonces flatteuses et les mesures concrètes. L’histoire distincte des cols bleus et des cols blancs a marqué les esprits et a laissé des traces dans la mémoire collective. Les choses ont changé, mais la perception des métiers a été figée. La méconnaissance de ce que sont les métiers techniques aujourd’hui, la confusion entre les filières qui mènent directement à des emplois de qualité et celles qui ne donnent pas de compétences exploitables sont des raisons à ces préjugés négatifs tenaces.
L’enseignement technique, n’est pas un enseignement plus facile, c’est un enseignement qui parfois, met aussi en évidence d’autres formes d’intelligence, d’autres matières. En y concentrant les élèves qui ont connu des échecs, on donne l’impression que le niveau y est plus faible. Malgré cette concentration, une grosse majorité d’entre eux retrouvera le gout du travail et quittera l’école avec un métier en main.
Une école secondaire ne doit jamais oublier qu’elle est une école. Enseigner ne peut se faire sans éduquer. Nos sociétés, qui méconnaissent les rites de passage de l’adolescence vers l’âge adulte payent très cher le manque d’investissement dans l’accompagnement initiatique du jeune. Trois piliers fondent les bases morales et les valeurs du jeune. La famille d’abord, l’école, ensuite, et ce que j’appellerais « la rue » enfin.
Le premier pilier n’est plus que rarement le monolithe solide et se présente souvent comme une mosaïque dont les parties ne sont pas nécessairement en harmonie. Le second pilier, dans un enseignement technique, s’apparente dans le meilleur des cas au compagnonnage où les maitres exemplaires et compétents sont autant des modèles professionnels, qu’humains. Ils peuvent, si les enseignants comprennent ce rôle, se substituer partiellement aux familles et contrecarrer l’influence négative du troisième pilier, « la rue ». Ce dernier, composé des copains, des films, d’internet et tout ce qui peut toucher et séduire et qui ne vient ni de la famille ni de l’école peut être la meilleure ou la pire des choses. La meilleure, si les expériences qui y sont faites sont entourées et guidées ; la pire, si le jeune y est confronté seul.
Ne voir que la qualité technique serait faire de l’école secondaire technique un centre de formation. Ces centres qui sont des solutions pour des adultes accomplis qui veulent parfaire des compétences techniques ont seulement là tout leur sens. L’enseignement secondaire doit former des hommes et des femmes et les compétences qu’on leur apprend sont autant de moyens pour les former en les éduquant.
Les écoles supérieures de musique s’appellent des « conservatoires ». Le nom est honnête. Il est effrayant, mais honnête. Nos écoles ne s’affichent pas comme des pôles de résistance au changement et pourtant… le monde a changé, qu’ont-elles changé ?
L’école technique n’a pourtant pas le choix, elle doit changer. Le châssis de fenêtre à simple frappe et à simple vitrage n’a plus rien à voir avec le système à triple frappe, coupure de pont thermique qui supporte un triple vitrage. Les performances sont sans communes mesures, la façon de les fabriquer a profondément changé. Pour être mécanicien automobile, il y a trente ans, il fallait connaitre la mécanique et un peu l’électricité. Aujourd’hui, il faut être très fort en informatique, fort en électronique, fort en électricité et s’y connaitre en mécanique. Les métiers ont le même nom, mais là où l’on mettait un ingénieur pour 4 contremaitres et 80 exécutants, on a aujourd’hui un ingénieur pour 6 techniciens de haut niveau et une dizaine d’exécutants, ces derniers ayant souvent été remplacés par des machines. Le monde a changé, et l’enseignement, fréquemment, a suivi ces changements alors qu’il aurait fallu les précéder.
Une école technique de qualité est une école qui dialogue avec les entreprises, qui, sans s’inféoder, négocie, écoute, anticipe les besoins de demain tout en restant avant tout une école qui éduque.
Il faut convaincre les parents que l’emploi épanouissant est là. Les métiers techniques d’aujourd’hui sont nombreux, bien payés, et sont loin des conditions de travail de forçat.
Il faut séduire les jeunes en leur montrant comment ils peuvent se servir de leur intelligence pour acquérir des compétences qui leur permettront de créer.
Il faut valoriser les enseignants qui s’aventurent dans ce monde et qui acceptent de se remettre en question chaque année, qui acceptent d’être des éclaireurs et non des suiveurs.
Il faut créer des ponts avec les entreprises. En aucun cas, il ne faut se contenter de répondre à leurs demandes. Il faut que les jeunes soient préparés à s’adapter et non pas seulement formés. Il faut qu’ils aient la liberté du choix de l’emploi que seule la formation intelligente peut donner.
Il faut accompagner les élèves jusqu’au premier emploi parce que le délai entre la fin de la formation et le premier emploi en lien avec cette formation doit être le plus court possible.
Il faut une formation intelligente.
« Tout débute par l’intelligence. L’intelligence est notre première liberté. À moins d’exercer notre intelligence de façon audacieuse et soutenue, nous sommes condamnés à nous mouvoir dans de fausses alternatives et à nous contenter de fausses libertés. Tout choix imposé est, en réalité, une absence de choix. »[1]“Luc-Olivier D’ALGANGE” in Philosophie pratique, n°13
Une bonne orientation est le secret de la réussite scolaire et d’une vie professionnelle épanouissante.
Passer du temps à visiter des écoles, des entreprises ; à rencontrer des hommes de métier n’est pas une perte de temps, mais bien l’investissement le plus rentable qu’une famille puisse faire pour aider ses enfants à réussir. Certains élèves viennent s’inscrire en disant « je veux aller en troisième technique ». Quand la personne qui fait l’inscription demande : « dans quelle option ? » Ils répondent « qu’est-ce que vous avez ». Donner alors une liste d’options, c’est dévaloriser complètement le choix, c’est faire fi de toute liberté, de toute intelligence, de tout choix. C’est condamner le jeune à un échec pratiquement certain. Face à une telle attitude, on ne peut que commencer un long dialogue destiné à expliquer. Seule la connaissance peut mener au choix.
Plus importants que jamais, plus respectables qu’on ne croit. Comment se faire valoir si l’on est incapable d’écrire, comment évoluer librement sur un marché de l’emploi mondial si l’on ne parle qu’une seule langue, comment avoir pour perspective la formation permanente si les bases mathématiques et scientifiques ne sont pas bien maitrisées ? Pourtant, ces matières devront être approchées autrement. L’élève qui dans des épreuves transversales se rend compte de l’intérêt de toutes ces matières pour valoriser ses compétences métier, sera tenté d’investir dans ces cours. Une approche livresque lui apparaitra aussi absurde que de lire les pages d’un bottin téléphonique quand on ne cherche pas le numéro de téléphone de quelqu’un.
Ne croyez en aucun cas sur parole celui qui, dirigeant une école, vous incite à y inscrire vos enfants. Allez vérifier sur place. L’école technique n’est pas la panacée, les élèves ne peuvent pas tous y trouver leur bonheur. Allez visiter avec vos enfants ces écoles qui offrent des options si différentes, interrogez les élèves qui s’y trouvent, vérifiez l’adéquation du matériel présent avec les techniques d’aujourd’hui, mesurez l’enthousiasme et les compétences des enseignants. Mais si vous voyez les yeux d’un enfant s’allumer en découvrant un atelier, vous aurez trouvé ce qui lui permettra de gagner fièrement sa vie tout en étant heureux.
Notes de bas de page
↑1 | “Luc-Olivier D’ALGANGE” in Philosophie pratique, n°13 |
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