Visite dans une école citoyenne

Mes professeurs m’avaient proposé
de réaliser mon dernier stage
dans une école pour pouvoir y
tester la pédagogie institutionnelle
avec une des enseignantes.
Après quelques contacts, nous
apprenons que toute l’école
a adopté un fonctionnement
d’« École citoyenne ».

L’expérience me semblait de plus en plus riche,
je me réjouissais de ce stage ! À la première
journée d’observation, en entrant dans le bâtiment,
une grande banderole m’indique que
j’arrive effectivement dans une « École citoyenne
». Aussi, dans chaque local, dans chaque couloir
et sur quelques portes, une même affiche : des couleurs
vives en fond, puis quatre mains de peau différentes se
tenant mutuellement et solidement les poignets, certainement
le symbole de la force de l’école : la diversité,
la mixité. Une phrase est écrite sur chaque poignet, on
peut alors lire les quatre lois de l’école. Je me suis alors
demandé comment l’application de ces lois se mettait en
place.

Le conseil citoyen

Le conseil citoyen est la base et le résultat du fonctionnement
en école citoyenne. Ce conseil est composé
de trois enseignants responsables, d’autres enseignants
volontaires, des élèves élus par leurs camarades comme
représentants des élèves par degré, les délégués de
classes et des ceintures noires. Les ceintures noires
sont des élèves qui ont rempli une série de critères correspondants
à leur attitude et à leur comportement,
ils sont alors considérés comme étant « citoyens », les
ceintures s’obtiennent d’année en année quand l’élève
prouve qu’il a un comportement citoyen. Les ceintures
noires ont alors le droit de venir au conseil quand ils
le veulent, sans avoir été élus. La direction ou la sousdirection
participe le plus souvent possible au conseil.

Un membre de l’équipe des éducateurs est toujours
bienvenu pour relayer les informations. Une chaise est
aussi toujours réservée à une personne de l’école qui
voudrait assister au conseil pendant minimum un mois.
J’y avais également ma place, je l’avais demandée pour
mon stage et les membres avaient tous accepté.

Le conseil a quatre missions. La première, c’est promulguer
les lois. Ce sont donc ses participants qui se
chargent de leur sélection et de leur affichage. La seconde
mission, c’est d’élaborer des projets dans l’école,
la troisième est d’accueillir les nouveaux et les visiteurs.

À ce moment, on entend souvent les plus grands prendre
la parole et expliquer que le conseil est un espace de discussion
et de décision, qu’ensemble ils accueillent les
nouveaux membres du personnel, qu’ils organisent des
projets selon une liste établie en début d’année et qu’ils
rencontrent des élèves déviants qui n’ont pas respecté la loi et qui acceptent de chercher une réparation. Ce qui est la quatrième mission du conseil citoyen : gérer
les transgressions.

Les transgressions

Il y a donc quatre lois affichées partout dans l’école,
des projets en cours pour améliorer la vie scolaire et
une envie de confiance entre élèves et enseignants,
pourtant… quelqu’un va transgresser une loi. Si un éducateur
ou un enseignant, ou même la direction constate
qu’un élève transgresse une loi, il va rédiger un rapport
d’incident qui décrira les faits. Si l’élève reconnait les
faits, on lui proposera de rencontrer le conseil citoyen.

S’il ne veut pas, son cas sera immédiatement redirigé
vers le règlement d’ordre intérieur où on envisagera
plutôt une punition, à la place d’une réparation. Les
rencontres pour les transgressions s’organisent le lundi
après-midi, pendant le conseil citoyen. J’ai assisté
à une transgression pendant mon mois de stage. Dans
le rapport d’incident, l’élève est accusé d’avoir craché
sur le terrain de foot. La loi numéro 4 est transgressée :
« Tenir notre école propre c’est important, car nous y passons
la plupart de notre temps. » C’est la directrice qui
énonce les faits puis demande au garçon si c’est exact.
Il dit oui. Une enseignante lui demande en quoi ce n’est
pas citoyen et ce qu’il ferait s’il a encore besoin de cracher,
une prochaine fois. L’élève répond timidement. La
directrice lui demande ce qu’il propose comme réparation.

Il répond comme s’il s’y était préparé : « Je vais
balayer le réfectoire après le temps de midi, tous les jours
pendant une semaine. » La directrice accepte, car ça
correspond bien à la loi 4. Elle demande si un élève du
conseil peut vérifier s’il fait bien son travail. Une élève,
camarade du garçon, se propose. La rencontre a duré 10
minutes.

Absentéisme

La coordinatrice du conseil citoyen s’étonne du
nombre d’absence à chaque conseil et veut comprendre
pourquoi certains élèves ne viennent plus. Les plus
grands sont presque toujours là, ce sont un peu eux
qui mènent la barque. Il y a une gêne et certaines personnes
ont voulu en savoir plus. Deux élèves du conseil
(de 5e ou 6e) sont passés dans les classes pour rencontrer
chaque membre du conseil de manière individuelle
et leur poser des questions sur ce qu’ils aiment ou non
dans la participation à ce conseil. La coordinatrice a

« Peuvent-ils
vraiment décider et
discuter de tout ? »

récolté toutes les réponses et trois réponses reviennent
souvent :

• la relation avec les profs est gênante, car au conseil,
tout le monde est mis à égal et on discute avec eux
comme s’ils n’étaient pas vraiment profs. Ça fait un
peu collabo ;

• juger un pair quand il est en transgression, alors que
c’est peut-être notre ami, ça ne le fait pas. Surtout
que nous-mêmes, on n’a pas un comportement
exemplaire ;

• le lundi en 8e heure, c’est lourd, on n’a pas envie d’y
aller.

Les situations sont délicates, le projet n’en est qu’à ses
débuts, encore beaucoup de questions se posent.

Naissance des écoles citoyennes

Dans le but de diminuer une certaine violence, discrète
mais quotidienne, dans les écoles, dans le but aussi
d’apprendre aux élèves ce que sont des droits et des devoirs,
ce qu’est la citoyenneté, ce qu’est la démocratie…

En se basant sur la déclaration universelle des droits
humains et sur le décret missions des écoles, le mouvement
d’institutions et d’écoles citoyennes (le MIEC)
s’occupe aujourd’hui de promouvoir en Belgique un
type de fonctionnement citoyen. Un même modèle
dans chaque institut qui s’inscrit dans le projet : des
lois élaborées par les élèves, un conseil de citoyenneté
composé essentiellement d’élèves, des projets, plus de
vie, plus de confiance, plus de parole et d’écoute.

Une citoyenne ou une école civique ?

Lorsqu’on observe les critères à atteindre pour devenir
bon citoyen dans l’école et donc devenir ceinture
noire, il s’agit plutôt d’une série de comportements et
d’attitudes de bonne conduite pour être poli et respecter
l’autorité des adultes. Selon moi, être citoyen c’est
d’abord connaitre et comprendre la loi, les règles, les
valeurs, ses droits et ses devoirs pour pouvoir agir en
connaissance de cause et en privilégiant un intérêt collectif
plutôt que personnel. Être citoyen responsable,
c’est utiliser son pouvoir de décision et d’organisation
du vivre ensemble. Ici, vu la liste de critères pour être
un bon citoyen dans l’école, il y a effectivement un
projet d’intégration des valeurs de l’école. Il y a aussi
une volonté de connaissance des règles et des lois vu
qu’elles sont affichées partout dans l’école. Mais ce qui
est le plus dérangeant, c’est que les élèves ceintures
noires n’ont pas de réel pouvoir et que devenir bon
citoyen dans l’école ne passe pas par une implication
particulière dans l’organisation du vivre ensemble dans
l’école ni par une certaine prise de pouvoir et de liberté
d’action.

Des lois ? Vraiment ? Et pas les mêmes pour tous…

Une loi est normalement une prescription qui sert à
protéger et diriger l’ensemble du groupe. Ici, les quatre
lois ressemblent plus à des affirmations et des valeurs
« Garder notre école propre, c’est important. » Si je ne la
garde pas propre, je ne vais à l’encontre de rien au final.

Ces quatre lois ne sont pas formulées comme de vraies
lois, comment l’élève pourrait-il alors faire la différence
entre un principe, une valeur et un règlement à suivre ?

Il y a aussi une certaine contradiction car un principe
de base à respecter, si on veut enseigner la citoyenneté à
nos élèves, c’est que la loi soit la même pour tous. Or, il
est impossible de rédiger un rapport d’incident envers
un enseignant, un éducateur ou la direction.

Définition des rôles et statuts

Comme on l’a vu dans les réponses des élèves pour
expliquer l’absentéisme au conseil citoyen, les élèves
se sentent un peu « collabos ». La définition des rôles
et statuts des enseignants dans leur place au conseil
citoyen est floue, ce qui crée un sentiment de gêne pour
les élèves. Ce manque de clarté dans la définition et la
conception des rôles et statuts empêche la confiance de
s’installer dans les relations.

Pratiques démocratiques ?

Parole des citoyens prise en compte dans les décisions
: les élèves sont considérés comme citoyens en
devenir et sont représentés au conseil citoyen qui se
charge de l’élaboration des projets. Baser l’activité politique
sur des textes fondamentaux :
l’école citoyenne respecte le modèle
préétabli par le MIEC qui lui-même
se base sur le décret mission des
écoles (1997) et la déclaration universelle
des droits humains (1948).

Tournante dans les responsabilités :
élections annuelles des élèves et engagement des enseignants
pour deux ans. OK pour tout cela, mais ce qui
pose problème, pas seulement dans cette école, mais à
peu près partout où l’on tente de faire de la politique
avec des enfants, ce sont les sujets traités. La politique
avec les enfants n’est pas la même qu’avec les adultes.

Et pourquoi pas ? Tous les sujets aussi complexes et
sérieux soient-ils sont exploitables avec des enfants et
des adolescents. Or, ici comme dans beaucoup d’autres
institutions, faire de la politique c’est aménager l’environnement.

C’est mettre plus de poubelles et changer
la musique de la sonnerie, c’est pouvoir faire les rangs à
l’intérieur quand il pleut… Quel est le réel pouvoir que
la direction donne aux élèves ? Peuvent-ils vraiment
décider et discuter de tout ?