De l’intuitif au réfléchi, le savoir se construit ensemble

Au départ, un défi que chacun résout à sa manière. Peu à peu, une construction collective prend forme pour que chacun enrichisse sa manière de faire grâce à celles des autres.

Dans ma classe primaire, une fois les enfants lancés dans un défi, mon premier travail est de vérifier que les méthodes utilisées amènent à un résultat correct d’un point de vue matière. J’enregistre mentalement les différentes propositions afin d’aider les enfants plus timides à s’exprimer lors de la prochaine étape. À moi aussi d’être claire dans mes attentes : la réponse doit être correcte, la formulation doit être correctement écrite… Mais à moi aussi d’ouvrir mon esprit à la méthode proposée par l’enfant et que je n’avais peut-être jamais envisagée.

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Après une dizaine de minutes, chacun propose sa méthode au groupe. Je veille à ce que chaque parole soit respectée et que chaque proposition formulée garde une trace au tableau. Devenir secrétaire (silencieuse), écrire ce que dit l’enfant, mais sans le répéter, permet aux enfants d’avoir des relations entre eux sans passer par moi. Des questionnements fusent, l’élève doit donner des explications sur le « comment » il a résolu le problème. Au début de l’année scolaire, il faut aller « chercher » les enfants plus timides ou qui ont moins confiance en eux, en leur rappelant qu’ils avaient trouvé la bonne réponse.

Des allers-retours

Très vite, le tableau se trouve riche de plusieurs points de vue sur un même défi de départ. Chaque exemple reçoit le nom de l’élève qui l’a proposé pour répondre au besoin de reconnaissance de « l’inventeur », pour répondre au besoin d’étiquetage nécessaire à une bonne communication dans le groupe (on sait tous de quoi on parle), mais également pour ne pas mettre d’étiquettes formelles trop rapides et qui n’ont pas été assimilées par tous les enfants.

tableau 2
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Chaque élève est alors invité à résoudre un ou plusieurs nouveaux défis du même type, mais cette fois en utilisant les méthodes proposées et exemplifiées au tableau. C’est à ce moment qu’une différenciation est possible (et facile à proposer quand on connait ses élèves). À tous, je peux proposer un défi minimum. À quelques-uns, de manière individuelle ou de manière orale collective, je peux proposer des défis différents : « Toi tu feras un défi avec trois techniques, toi et toi vous ferez les défis ensemble, toi ce sera super si tu arrives à faire seulement deux défis, mais en utilisant toutes les techniques… » La difficulté réside dans l’équilibre qu’il faut trouver entre ce qui permet à l’élève de se dépasser, mais sans mettre la barrière trop haut afin qu’il ne se décourage pas.

tableau 3
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Quand le collectif construit les comportements de l’individuel

Je suis à la disposition des enfants qui m’appellent. Évidemment, ils sont nombreux. Comme partout, nous avons connu les files d’enfants qui attendent au bureau, perdent leur temps et distraient les autres enfants ou les doigts levés qui attendent patiemment ou non que je passe et que je ne vois pas toujours…

En conseil de classe, j’ai soulevé le problème… « Je ne peux accepter cette perturbation de l’ambiance de travail ou cette perte de temps d’apprentissage. » Les élèves en ont discuté et ont trouvé ensemble une solution : chaque enfant inscrit son nom sur une feuille et la décore. Celle-ci est insérée dans un protège-document. Quand un élève a besoin de moi, il dépose cette pochette sur mon bureau et retourne à sa place continuer à travailler. Je passe près de chaque enfant qui m’a ainsi « appelée ».

Quand le collectif résout les problèmes de l’individuel

Il arrive aussi qu’un trop grand nombre d’enfants m’appelle. À ce moment, je demande l’aide « d’assistants ». Parfois, les enfants en difficulté peuvent aller au « marché aux infos », c’est-à-dire s’adresser directement à l’élève qui a proposé la technique. Il y a alors un échange où chacun peut expliquer d’une part et recevoir des explications d’autre part.

D’autres fois, je propose à des élèves, qui ont des facilités à résoudre le défi du jour, de remplacer la résolution des nouveaux défis par une assistance auprès d’un autre élève. S’ils l’acceptent, ce sont les demandeurs qui choisissent l’assistant. Nous avons par ailleurs déterminé les règles de ces dyades : faire exprimer la démarche par le demandeur, relever et faire corriger les erreurs, ne jamais donner de réponse.

Quelques séquences de cours, où je propose des réflexions plus fines à propos de chaque cas, seront à nouveau consacrées à la mise en place des différentes techniques par chacun des enfants. Lors de ces séquences, en fonction des besoins, j’organise différemment les groupes de travail : dyades d’entraide, équipes coopératives, enseignement par sous-groupes, travail individuel en silence…

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tableau 4

À la fin de l’activité ou après quelques séquences du même type, tantôt individuellement par écrit, tantôt collectivement oralement ou par réalisation d’une affiche, chaque élève est invité à exprimer, comment il a vécu les différentes techniques et surtout à évaluer, à titre personnel, leur efficacité (forces et faiblesses).

Les différentes méthodes seront, revisitées, comparées… en plusieurs séquences avant d’apparaitre dans un document de référence individuel. Construire une synthèse (même partielle) avec les enfants quand la matière a été expérimentée et confrontée permet et donne envie à chaque enfant de l’utiliser comme référence. D’autre part, cela permet à l’enfant qui a compris et intégré plus vite de rester chercheur sans être lassé des multiples activités d’« entretien » et de « fixation ».

Si on reprend l’exemple du travail en français, une première synthèse à partir des observations et manipulations a été formulée ainsi : « Il n’y a que trois sortes de groupes nominaux. Ceux-ci sont formés soit d’un déterminant, un nom et un mot (la grande maison) ; soit un déterminant un nom et un groupe de mots avec verbe (la maison où j’habite) ; soit un déterminant, un nom et un groupe de mots (la maison avec un numéro bleu). »

Un enrichissement pour chacun

Dans ce contexte de coopération, chaque enfant étant reconnu en tant que richesse individuelle pour le groupe peut s’ouvrir à la richesse que le groupe lui apporte. La compétition existe, mais elle est régulée naturellement parce que régulièrement chacun peut être fier de ce qu’il a proposé. Il y a des faiblesses, mais elles sont d’abord formulées en tant que difficulté puis prises en compte comme défi de recherche plutôt que comme critère d’exclusion. J’entends les faiblesses des élèves, mais aussi les miennes. Chaque seconde, il me faut être attentive à la température « bienêtre » de la classe, mais également à celle de chacun des élèves. Chaque jour, je passe à côté de la difficulté d’un ou plusieurs élèves, c’est pourquoi nous terminons la journée par cinq minutes de « bilan de la journée » où tout peut s’exprimer : les bons moments, les difficultés rencontrées collectivement ou individuellement et les propositions de solutions.

Chacun, moi y compris, s’enrichit du collectif qui lui-même se nourrit des individualités. La tension réside entre les formes de différences et les forces de cohésion. En fonction des groupes, ces forces seront principalement sociales (règles de vie en groupe), intellectuelles (liées aux apprentissages) ou affectives (liées à un projet créant une identité de classe). Mais la philosophie de coopération vécue en classe restera toujours la base de notre fonctionnement.