L’atelier lecture à l’asbl L’illettrisme, Osons en parler, un groupe d’adultes pour qui l’écrit rime avec cri, un cri de soif, une soif de savoir et d’avoir du plaisir à lire et écrire.
L’illettrisme, c’est une plaie qu’ils ont depuis longtemps travaillé à cicatriser, depuis plusieurs années. Dans ce groupe, il y a Yves, Monique, Parfaite, Séra, Francis et Jacqueline. Ils ont entre 45 et 60 ans, ils sont d’origine belge sauf Parfaite qui vient du Bénin. Avec eux, je chemine depuis une quinzaine d’années.
Mais, aujourd’hui, nous parlons de notre atelier lecture, c’est un article pour TRACeS de Changements, le journal de CGé qui veut dire : changements pour l’égalité. L’égalité, c’est un des combats de ce groupe qui s’est constitué en asbl, en mai 2018. L’égalité pour savoir, pour comprendre, pour être regardé comme tout le monde, c’est-à-dire comme quelqu’un.
Alors, faire un article qui parle de l’association dans ce journal de CGé qui lutte pour plus d’égalité à l’école, ça a beaucoup de sens.
J’accompagne ce groupe au fil de leurs actions et de leurs désirs, pour prendre la parole dans l’espace public, pour faire comprendre que l’illettrisme, c’est une énorme souffrance, que ça peut gâcher la vie, mais que ce n’est pas invincible et qu’il est possible d’apprendre à tout âge. Que c’est même un droit, comme on le dit à l’Unesco, et qu’on peut le revendiquer.
Bref, fin octobre, de nouveau : finies les réunions avec le petit café fort et les gougouilles en chocolat, les projets, les inventions pour sensibiliser… Nada, rien, retour à la case départ.
Alors, j’ai proposé, à tout hasard, de nous retrouver en visio, histoire de ne pas perdre le contact. Cela nous permettait de nous voir presque tous, sauf Jacqueline qui n’a pas de smartphone… « On lui téléphonera pour lui raconter. », dit Séra.
C’est comme ça qu’on a commencé avec Jitsimeet. Mais ce n’était pas formidable : on ne s’entendait pas bien. Alors, nous sommes passés à Zoom, j’ai pris un abonnement.
Yves et Parfaite ont pu l’installer sur leur ordinateur. Séra, Monique et Francis sur leur téléphone. Francis n’arrivait pas à se connecter, c’est encore compliqué aujourd’hui. Comme il travaille la journée à la ville de Verviers, il n’est pas souvent là.
Mais bref, avec Séra, Yves, Monique et Parfaite, ça fonctionnait bien.
J’avais chez moi, depuis quelque temps, ce livre de George Dawson et Richard Glaubman, Life is so good, publié dans la Petite biblio de Payot voyageurs. Je l’avais lu comme ça, d’un coup. L’histoire de cet homme George, né en 1898, au Texas et qui se met à apprendre à lire à… 98 ans. Touché par le personnage, son formateur lui propose d’écrire sa vie. Georges, c’est un sacré bonhomme. À travers ses souvenirs, il nous fait traverser le siècle. Il parle de la pauvreté, de la discrimination entre les Blancs et les Noirs, de son rapport à l’écrit et à la lecture, de ses stratégies pour se débrouiller sans dans un monde où les mots prennent de plus en plus de place… Il y a tellement de choses, dans ce livre, qui me font penser à Séra, Yves, Parfaite, Jacqueline, Monique et Francis.
Alors, le lire ensemble, pourquoi pas… On a le temps et ça nous fera apprendre.
Et, un jour de novembre, nous nous sommes lancés. Le livre en collection Poche fait 323 pages et a 23 chapitres qui font une dizaine de lignes.
Aujourd’hui, ce 2 juin, nous en sommes au chapitre 18. On prend le temps. Lire un livre, c’est se balader, ça fait chercher, regarder des cartes, chercher des mots dans Google…
Nous lisons à voix haute.
On commence par ceux qui ont le plus de difficulté. Nous allons à leur rythme. Quand ça bloque, quelqu’un du groupe donne le mot. Comme dit Parfaite : « Il reste des problèmes, quand je ne connais pas le sens, ça me dérange. » Monique ajoute : « Et comme on se concentre sur comment lire les mots, on a du mal à comprendre ce qu’on lit. »
Alors, on s’arrête, de temps en temps, pour se raconter avec nos propres mots ce qu’on a lu, et pour voir si tout le monde a compris la même chose. Et puis on continue avec un autre participant. Je termine la lecture des trois ou quatre dernières pages.
Notre lecture nous prend environ une heure et demie. Et à chaque fois, on est content de ce bout de chemin supplémentaire avec George. « Ce qui est intéressant, dit Yves, c’est qu’on n’est pas ensemble et qu’on se retrouve derrière l’écran. »
« On aime bien l’histoire de George, dit Séra, je la lis pour la deuxième fois, et je comprends encore mieux son vécu. »
En préparant cet article, voici un petit extrait de notre échange :
Parfaite : « Ça me touche beaucoup, je suis africaine. Lui, il est noir américain. Ça raconte mes origines. »
Monique : « Lire chacun à son tour, c’est bien, on s’aide. J’aime ce livre. C’est intéressant de savoir que l’illettrisme, ça existe depuis longtemps. »
Parfaite : « George ne se plaint jamais, c’est quelqu’un qui se bat. »
Yves : « C’est important de voir comment lui il s’est débrouillé avec ça. Nous ne connaissons pas l’Amérique, ça nous apprend des choses. De voir son courage, ça nous donne envie d’avoir du courage… pour quand il n’y aura plus le covid… »
Cette semaine, nous allons faire notre atelier pour la première fois en présentiel. C’est permis maintenant. Quelle joie de nous retrouver pour continuer ce chemin.
Alors, merci George et son formateur Richard d’avoir écrit cette histoire un jour.
George est mort en 2001, aujourd’hui il aurait 123 ans. Nous avons fait le calcul.
Que dirait-il de cette drôle de période que nous traversons ? Quelle parade aurait-il trouvée ? On pourrait l’imaginer. Et aujourd’hui nous avons écrit comment son histoire nous a permis de résister. N’est-ce pas un bel hommage ? ó