Mécanicien et carrossier devenu enseignant, Willy Keuwez travaille dans une école qui a fait le choix de la CPU. Critique à l’égard de ce système qui impose un calendrier ne correspondant pas à la réalité du terrain, il tente de mettre les élèves en situation réelle en recréant un garage au sein même de l’école.
Rencontre.
Lorsque j’arrive à Thuillies, un petit village non loin de Thuin, dans le Hainaut, Willy KEUWEZ m’attend devant sa maison. Sa voiture, une Ford sport rouge avec une ligne bleue au milieu, ressemble à une voiture de rallye. « Tu sais dans ce métier, faut être passionné, sinon ce n’est pas la peine. » Carrossier formé sur le tas par son père, Willy KEUWEZ a alors à peine 16 ans. Sa formation de mécanicien, il l’obtiendra en cours du soir, quelques années plus tard. Aujourd’hui, il a quitté le garage pour l’atelier d’une école de la région de Charleroi. Mais malgré sa nouvelle casquette d’enseignant, Willy se considère avant tout comme un carrossier. « Ce sont les clients qui m’ont fait arrêter le boulot au garage », dit-il alors qu’il allume déjà sa deuxième cigarette. Mais à l’écouter, on a du mal à le croire. La passion pour le métier et, du coup, l’envie de transmettre à la génération suivante semblent l’avoir amené à pousser la porte d’une école, il y a quelques années maintenant.
« Au début, quand je me suis lancé dans l’enseignement, cela n’a pas été facile. », confie-t-il. « Je suis carrossier, mais j’ai appris grâce à mon père sur le terrain.
Par exemple, quand il faut faire une recharge à l’étain (lorsque l’on restaure un véhicule ancien, par exemple), moi je savais la faire, mais j’aurais été incapable d’expliquer pourquoi. Or, les élèves demandent pourquoi. » Du coup, il lui a fallu se former afin de pouvoir offrir des réponses aux questions des élèves. Cette réalité a amené Willy KEUWEZ à penser qu’il faut maintenir un enseignement théorique et des ateliers à l’école, tout en augmentant le temps passé par l’élève sur le terrain, entre les mains d’un professionnel.
Alors quand on lui parle de la réforme du qualifiant, et, en particulier de la CPU, il ne semble pas convaincu. « On a commencé le système imposé par la CPU en 5e mécanique uniquement. Dire si c’est mieux qu’avant ou pas ? En tous cas, ça prend beaucoup de temps et j’ai un peu peur. En fait, la CPU nous impose de diviser l’année scolaire en quatre parties. Quand ils rentrent en 5e, ils ont d’abord la première partie, à savoir le nettoyage du véhicule ». Par nettoyage il faut entendre le fait de monter les plaques, vérifier les extincteurs, contrôler l’éclairage, etc. Suit alors la deuxième phase (les petits entretiens), la troisième s’attaque aux gros entretiens (et ce inclus l’électricité) et, enfin, la dernière porte sur l’embrayage et les courroies de distribution. Jusque-là tout va bien. En fait, pas vraiment. « Les premiers mois, ce n’est pas évident. Le nettoyage, quand tu fais ça pendant deux mois les élèves sont chauds, c’est intenable. » Du coup ? « Nous on suit le truc de la CPU, mais après trois semaines de nettoyage, on prend du boulot en plus pour eux. » Du boulot en plus ? « En 5e mécanique, ils sont douze. Le matin, j’amène ma voiture à l’école et je la prépare, donc j’enlève les plaques et tout ça. Ensuite, ils sont deux à s’occuper du nettoyage de ma voiture. Mais pendant ce temps, les 10 autres élèves bossent comme s’ils étaient réellement sur le terrain dans un garage. On a des clients, souvent des connaissances, qui amènent leur voiture à l’atelier de l’école. Pour mettre les élèves en situation réelle d’un garage, on en désigne un qui s’occupera des fiches de travail et un autre qui sera magasinier pour la journée. Une fois les fiches de travail distribuées, les élèves se mettent au travail. » Si Willy et ses collègues respectaient la CPU, deux mois plus tard, les élèves n’auraient encore jamais été mis en situation concrète de travail, mais s’occuperaient toujours du nettoyage d’un véhicule. « Surréaliste » ajoute-t-il.
Et pourtant, à la fin des deux mois ils doivent évaluer. « On organise une journée d’évaluation. Et c’est la même chose à la fin de chaque module. Sauf pour le dernier, où c’est un jury extérieur qui est appelé pour évaluer les jeunes. » Mais en fin d’année, le jeune n’est pas évalué sur la totalité de sa formation : « Ils font le gros entretien et c’est tout. Sauf s’ils ont raté un module en cours d’année, alors ils sont appelés à le repasser. » (…) « Puis, en CPU, ce n’est pas évident de faire du différencié. Ils ont deux mois pour apprendre à préparer un véhicule. Bon, c’est trop. Mais par contre pour l’entretien complet, c’est aussi deux mois, mais il y a beaucoup plus de choses à apprendre. Du coup, certains élèves maitrisent déjà après un mois, mais d’autres, deux mois plus tard, ne savent toujours pas faire le gros entretien. Et bien pour ceux-là, il n’y a rien de prévu, tu ne sais plus rien faire pour eux, car ils doivent passer l’évaluation. Donc tout ce temps perdu pour la partie “préparation” aurait pu être mis à profit pour la partie “entretien”. »
Willy, les grosses mains tachées par plus de 40 ans de travail dans un garage, s’allume alors une nouvelle cigarette. « En fait, ceux qui ont conçu la CPU n’ont rien inventé. Ils n’ont fait que prendre le métier de mécanicien qu’ils ont séparé en modules. Le nettoyage on le voyait déjà avant, mais dans un cadre plus global, pas seul et, surtout, pas pendant deux mois ». Aussi, il met en garde. « À partir de deux mois, ils peuvent arrêter l’école, car ils sont qualifiés afin d’être préparateurs de véhicule. Chez nous, ils ne s’en vont pas, car on ne leur dit pas. Mais s’ils décidaient de tenter leur chance, ils pourraient le faire. Il faut des préparateurs de véhicules dans un garage, mais de là à faire ça toute la journée, toute sa vie… » Un point qui amène le prof de mécanique à dire que c’est là l’avantage d’avoir un prof d’atelier qui était dans l’industrie ou dans un garage avant. « Le prof qui ne vient pas du métier, il ne connait pas tout ça. Si on pouvait n’avoir que des profs du métier qui ont travaillé dans le privé, je te jure que ça marcherait du tonnerre. Et nous, on demande depuis 5 ans de mettre les élèves en stage beaucoup plus que ce qu’ils font maintenant. En 6e, ils ont deux semaines, ce n’est rien du tout. Les élèves ne se rendent pas compte de ce qu’on demande dans un garage, dans la réalité. Huit heures dans une école pour un petit entretien, mais dans un garage si tu fais ça le patron te dit “dégage !”. La théorie c’est bien, mais entre la théorie et la pratique, il y a un monde. » Du coup, il plaide pour un partenariat plus fort entre les écoles et de petits garages. « Tu sais, me dit-il, s’il manque des carrossiers c’est la faute des patrons. Des carrossiers, il en manque, il reste que des vieux comme moi. Mais les patrons de garages, lorsqu’ils viennent voir les élèves, ils disent : “T’as vu c’est pas top ce qu’ils font”. Moi je leur demande alors pourquoi ils ne prennent pas un jeune pour le former. Ils me demandent si moi je le prendrais ? Bien sûr ! En deux ans, tu ne peux pas former un carrossier, surtout qu’ils n’ont pas assez de stages. On en a besoin et on ne les prend pas, alors, on les retrouve au chômage ou occupés à mettre en rayon, au Colruyt. »
Faut-il, comme d’aucuns semblent souvent le faire, mettre en cause la vétusté ou l’inéquation du matériel scolaire avec celui du monde du travail ? « Là, je ne suis pas d’accord. Le matériel est au top en carrosserie, on est super bien équipé. Il équivaut d’ailleurs à ce que l’on trouve dans un garage. Puis, lorsque, pour l’une ou l’autre chose on ne dispose pas du matériel nécessaire, on se rend dans un centre de formation de la Communauté française. À titre d’exemple, en carrosserie on a été une semaine à Francorchamps où ils ont appris à travailler le polyester. À l’atelier, on n’aurait pas pu le faire, car on ne l’utilise pas en automobile. Mais en allant là-bas, ils se sont rendu compte que dans pour une partie du secteur automobile, c’est l’avenir. » Willy remet moins en cause le matériel que la formation des professeurs d’atelier. « L’enseignement, avec dix gamins derrière toi, je parle de l’atelier, je considère que c’est 10 ouvriers derrière moi comme quand j’étais au garage. Dans un garage, le chef d’atelier est là si l’ouvrier ne s’en sort pas. Lui, il doit pouvoir le faire. Et bien, à l’école, c’est pareil. Il faut savoir lui montrer, car le dire c’est facile, mais le faire, c’est autre chose. Tous les profs devraient passer une dizaine d’années en garage pour pouvoir travailler ensuite dans une école, car sinon ça ne va pas, le décalage est trop grand. »
Le prof de mécanique souligne aussi le manque de liens entre la formation pratique et les cours généraux. « Les élèves détestent se rendre aux cours généraux. Le problème, c’est l’inexistence d’un lien entre les cours généraux et la pratique. Le prof de math est venu me trouver pour me demander ce que j’aimerais qu’ils connaissent. J’ai dit qu’il serait intéressant pour eux de connaitre la règle de trois, le calcul d’un pourcentage ou encore de savoir qu’un centimètre équivaut à dix millimètres. C’est important de savoir calculer lorsque l’on travaille avec des produits comme de la peinture. Puis, toutes ces peintures et ces produits qu’on utilise sont nocifs, ils pourraient les voir et les analyser en science et en technologie. Mais non, les liens sont inexistants. Du coup, ils continuent à lire VOLTAIRE en français et ils s’en tapent. » Le même VOLTAIRE disait pourtant dans sa correspondance que « Rien ne se fait sans un peu d’enthousiasme »[1]Lettre au Comte D’ARGENTAL dans le cadre de l’affaire CALAS…
Notes de bas de page
↑1 | Lettre au Comte D’ARGENTAL dans le cadre de l’affaire CALAS |
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