Donner accès à la culture scientifique : pas si simple !

« Les jeunes n’aiment pas les sciences! Les filières scientifiques sont désertées par les jeunes, particulièrement par les filles! » Ces propos, on les entend encore aujourd’hui. Pourtant, depuis longtemps, de nombreuses sociétés savantes, plus ou moins ouvertes au grand public, existent en Belgique et depuis une vingtaine d’années, des initiatives ont été prises dans chaque université francophone.

Je rencontre Anne Bauwens et Martine Vanherck qui, chacune, travaille dans une cellule de diffusion des sciences et des technologies [1]https://bit.ly/40C9RzG, l’une à l’UCLouvain (Scienceinfuse), l’autre à l’université de Liège (Réjouisciences). Elles ont accepté de me parler de plusieurs dérives dans les discours aujourd’hui dominants, sur la science.

Et voici le «Printemps des Sciences»

En 2000, les doyens des facultés des sciences des différentes universités francophones constatent une érosion des inscriptions en première candi (premier bac aujourd’hui), alors que le nombre des étudiants inscrits dans les universités augmente, voire explose dans d’autres filières (communication, sciences humaines…). Ils alertent la ministre de l’Enseignement supérieur (Françoise Dupuis, à l’époque) qui regroupe des experts, organisent des journées d’étude et des colloques. Une des conclusions de ces travaux est qu’il n’y a pas de fête des sciences en Fédération Wallonie-Bruxelles alors que cela existe dans d’autres pays. Il est donc décidé d’organiser cette «Fête des sciences » : ce sera le « Printemps des Sciences ». Les universités travailleront alors en réseau interuniversitaire; il n’est pas question d’organiser une série de portes ouvertes, mais bien un moment de diffusion de la culture scientifique et technique.

« Le stéréotype du savant fou est encore parfois véhiculé… »

Une unité de diffusion des sciences se crée dans chaque université et le secteur se professionnalise : des permanents sont engagés, des rencontres entre les universités ont lieu, des partages de bonnes pratiques sont organisés.

Une fête… mais encore?

Le partage des connaissances scientifiques avec le grand public rassemble énormément d’acteurs, beaucoup de bonne volonté et de très nombreuses initiatives, mais sans qu’il n’y ait une formation organisée, contrairement à la France, où, pour professionnaliser le secteur, des masters en communication scientifique existent. Cette absence de formation occasionne parfois des biais qui sont corrigés avec le temps par le travail réflexif lié aux actions de terrain.

Dans les années 2000, il fallait rendre la science sexy, fun, attractive, la présenter comme un jeu. Mais la science, c’est aussi des concepts, des apprentissages, de la rigueur. Le stéréotype du savant fou est encore parfois véhiculé, alors qu’il est nécessaire de démystifier le scientifique, d’en faire un professionnel comme les autres.

À présent, pour donner le gout des sciences, il faudrait encore montrer le côté utile de la science, son utilité dans la vie quotidienne. Sans nier cet aspect, faire de la science, c’est aussi toucher au plaisir esthétique, au plaisir de la découverte, à l’émerveillement.

Et dans les activités proposées lors du « Printemps des Sciences », Anne Bauwens avoue que, pendant une période, ils ont été très soucieux de proposer de nombreux ateliers qui montrent ce lien avec la vie quotidienne, telle que la chimie moléculinaire.

Et si le problème était ailleurs?

En 2000, le discours dominant était la désaffection des jeunes pour les sciences, en partant de la préconception que les jeunes n’avaient pas le gout des sciences. Un certain nombre de mesures ont été prises pour lutter contre ce phénomène. Mais ce qui posait réellement problème, c’était le nombre d’inscrits et le nombre d’échecs dans les filières scientifiques de l’enseignement supérieur. Ce n’était donc pas le gout, ou pas, pour les sciences, mais bien les inscriptions, ou pas, dans les filières scientifiques et l’obtention d’un diplôme, ou pas.

Comment arriver à attirer les jeunes dans les filières scientifiques et à les y garder jusqu’à l’obtention d’un diplôme? Aucune étude n’existait sur le sujet. Aucune donnée chiffrée ne permettait d’étayer les différents propos tenus par les décideurs et relayés par les médias. Par contre, d’autres études, plus tardives, ont montré que les jeunes n’ont pas de dégout des sciences; au contraire, ils en auraient une vision très positive.

Alors, ce n’est sans doute pas le gout des sciences qu’il faut travailler, mais d’autres aspects, encore à rechercher, telles que la rigueur, la préparation adéquate aux études scientifiques, le sentiment de se sentir compétent en science…

Les animations scientifiques qui montrent que la science, c’est drôle, ça fume, ça explose… ont fait beaucoup de tort. Martine se rappelle une enquête réalisée auprès des étudiants de première année en biologie où plusieurs affirmaient avoir choisi ce cursus parce qu’ils aimaient bien les dauphins… Le risque que ses étudiants se démotivent avant la fin de leurs études (dans lesquelles ils ne verront sans doute aucun dauphin…) est grand.

Mais la question a encore évolué : s’il manque, dans les entreprises, de diplômés dans les filières scientifiques, est-ce parce que le nombre d’inscrits ou le nombre de diplômés est trop faible ou est-ce parce que le nombre de personnes qui acceptent de rester dans les entreprises est trop faible?

Les emplois technoscientifiques n’ont plus nécessairement la cote chez les jeunes, pas plus qu’une logique de carrière. Martine pense nécessaire de s’interroger à la fois sur les cursus des filières scientifiques dans l’enseignement supérieur et sur les conditions d’employabilité dans les entreprises.

Question de genres, mais surtout d’inégalités sociales

Dans les années 2000, il était encore courant de considérer les disciplines scientifiques plus égalitaires que les matières littéraires parce que des savoir-être et des savoir-faire fortement socialement connotés (comme la possession de la langue, l’art oratoire ou encore la performance sociale, en droit, par exemple), étaient moins requis en science et technologie.

Ce n’est plus vrai aujourd’hui : souvent, les jeunes ne s’imaginent plus légitimes pour faire telles ou telles études, y compris des études scientifiques. On parle ici, non pas de plafond de verre, mais bien de parois de verre.

Depuis quelques années, l’inclusion est au centre des politiques et vise essentiellement les filles. Pourtant, si on prend une photo du personnel académique, les femmes sont là, certes en nombre moins élevé que les hommes, mais tant les hommes que les femmes sont essentiellement des personnes caucasiennes!

Pour réfléchir à une meilleure inclusion, le réseau Sciences.be a pris contact avec UNIA et avec le centre d’égalité homme-femme dans le but de travailler, avec des professionnels de la lutte contre la discrimination, les discours de vulgarisation et d’être attentifs à ces nouvelles problématiques.

Vulgarisation, diffusion et médiation scientifiques

Anne et Martine pensent qu’un temps de formation des acteurs de la diffusion des sciences est nécessaire si on veut traiter des sujets tels que l’inclusion ou encore l’évolution des modèles de diffusion scientifique. Malheureusement, ce temps n’est pas encore organisé formellement.

Martine m’explique cette évolution de la communication scientifique. Ce qu’on appelle aujourd’hui « vulgarisation » repose sur l’idée que de gens qui savent exposent des savoirs à des gens qui ne savent pas. La diffusion, quant à elle, met l’accent sur le partage de la science avec le plus grand nombre. Ce modèle est à l’origine des écueils de la science ludique.

La médiation scientifique est un autre modèle qui se base sur la circulation des savoirs. Ceux-ci peuvent être mis en question et participent ainsi à la formation d’un esprit critique : différents points de vue coexistent, des tas d’enjeux gravitent autour d’un même objet de science. Il ne s’agit plus, par exemple, de savoir si le GSM, c’est bien ou mal : un GSM émet des ondes, mais est bien utile, il consomme des terres rares, mais peut aujourd’hui être recyclé.

L’animation idéale

Je demande à Anne et à Martine, pour terminer l’interview, ce qui serait, pour elles, l’animateur ou l’animation idéals.

Elles travaillent avec des personnes passionnées de science qui ont envie de transmettre cette passion. Mais les bonnes intentions ne suffisent pas pour concevoir des animations. Il s’agit d’être attentif aux stéréotypes sur la science véhiculés dans le grand public, aux fake news à combattre, aux processus d’élaboration de la pratique scientifique. Il est nécessaire que les animateurs soient critiques envers leurs pratiques et soient capables d’inciter à la pensée critique. Elles apprécient la pratique de la réflexivité qui fait partie de leurs compétences professionnelles. Beaucoup de discussions, de réflexions pour mieux faire passer les messages, sortir d’une conception binaire de la science (c’est vrai ou c’est faux) et intégrer dans les animations la complexité de notre monde.

 

Notes de bas de page

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1 https://bit.ly/40C9RzG