Gaspillage de ressources

On pense toujours l’école en termes de manques qu’il faut combler par des ressources externes au lieu de penser l’école en termes de ressources internes. C’est une des causes de la dévalorisation du métier et de son déficit d’attractivité. Et ça provoque des résistances vis-à-vis des instances de régulation qui rendent tout changement peu efficient.

Les enseignants frisent la paralysie. Réformés sans cesse de l’extérieur, évalués, contrôlés et inspectés, ils sont enserrés dans un réseau de contraintes (programmes, temps) et d’attentes sociétales croissantes. Ils sont aussi privés de toute légitimité à dire les limites des procédures qu’on leur impose et ce dont ils ont besoin pour atteindre les objectifs qui leur sont fixés.

Un métier dévalorisé, réduit au rôle d’exécutant

Les diagnostics et les solutions légitimes sont produits de l’extérieur : entreprises, chercheurs, cabinets ministériels, parents, etc.. Les enseignants n’ont pas de légitimité à faire les diagnostics et à penser les solutions. Ceci représente un gaspillage de ressources. De plus, puisqu’individuellement ou en petites équipes, les enseignants bricolent quand même dans leur cours, à leur niveau et/ou dans leur établissement, cela génère des tensions avec les diagnostics et solutions pensés de l’extérieur, des résistances et des difficultés à avoir un impact réel sur les pratiques.

Au lieu de penser systématiquement l’école en termes de manques, il faudrait penser l’école en termes de ressources. Au lieu d’ajouter toujours plus de formation, de contrôle, de programmes, de règles, de contraintes ; il faudrait penser un peu plus à renforcer et activer les ressources internes aux établissements. Permettre aux enseignants de travailler en équipe pour développer une capacité réflexive sur leurs pratiques, leur établissement et le système scolaire. Mais les établissements scolaires sont enseignants non admis. En dehors de leur classe et d’une salle des professeurs peu propice au travail, les enseignants sont démunis de services, d’organisation du temps et de l’espace, d’outils, et de matériel pour travailler ensemble. Où, quand et comment développer de l’échange d’expériences, de la production de savoirs sur les pratiques et sur le système scolaire ? Où, quand et comment construire des outils communs et des dispositifs d’apprentissage appropriés ? Où, quand et comment développer une culture professionnelle commune ?

Un manque de congruence et d’efficacité

Permettre aux équipes pédagogiques de déterminer ensemble ce dont elles ont besoin, c’est se donner une chance de faire évoluer leur pratique et renforcer les apprentissages des élèves. Ce dont elles manquent, c’est l’institution et l’organisation de lieux et de temps qui rendent possible la réflexion pédagogique sur leur pratique, à l’intérieur de l’établissement.

Les instances régulatrices et les chercheurs pourraient devenir des partenaires qui rendent possible l’émergence de cette pratique réflexive, l’accompagnent et la consolident au niveau du système scolaire.

Bien sûr, les enseignants, comme tout autre travailleur, ont besoin de regards extérieurs, d’analyses et de données issues de la recherche. Bien sûr, comme toute autre profession au service du bien commun, les enseignants doivent être guidés et encadrés par des règles communes issues des instances démocratiques. Cependant, si on pense systématiquement les manques de l’extérieur, parce qu’on postule que cette capacité n’existe pas dans les établissements, alors on n’en organise pas la possibilité et forcément ça n’existe pas. Les enseignants ne développent pas leurs capacités pour le faire, et donc, les enseignants ne sont pas compétents pour le faire, et il faut penser les manques de l’extérieur, etc.

Si on en fait une compétence métier (formation initiale et pratique réflexive en équipe, temps, lieux, matériel, etc.), alors cette compétence pourra se développer et exister dans les établissements (capacitation).

On pourrait gagner sur deux tableaux :

Congruence :

Les solutions sont directement en lien avec les problèmes.

Adéquation accrue entre ressources internes et externes.

Efficacité :

Les acteurs mettent en œuvre les solutions, en évaluent les effets et les ajustent.

L’exemple de la formation continue

Pour illustrer, un des plus beaux exemples d’efficacité et d’efficience quasi nulles par manque de congruence entre les acteurs internes et les acteurs externes, et ce malgré une abondance de moyens : la formation continue de l’IFC.

Les enseignants s’inscrivent par obligation à des formations dont l’offre, bien qu’abondante, ne répond que très partiellement à leurs besoins. Ils y rencontrent des formateurs qui ne partent pas de leurs préoccupations, s’impliquent peu dans leur réalité et leur proposent des pièces certes souvent très bien usinées, mais qui s’emboitent mal dans leurs besoins, qui s’adaptent mal à leur propre analyse. Ensuite, les enseignants retournent dans leur établissement, avec au mieux, une idée de séquence de cours en plus ou un peu plus de savoirs. Ils ont souvent le sentiment d’avoir passé beaucoup de temps pour peu de résultats… Et ils recommencent à travailler comme avant, parfois avec un sentiment de résignation : puisque la formation ne peut m’aider, puisque je suis incapable d’appliquer les belles solutions qu’on m’a montrées, etc.

Les équipes pédagogiques dans les établissements, en fonction de leurs difficultés et de leurs projets, pourraient pourtant déterminer leurs manques et/ou leurs besoins de formation (cahier des charges). L’IFC, sur base de ce cahier des charges, en partenaire de ces équipes, proposerait et négocierait un plan de formations pour l’équipe pédagogique, le suivi des formations et le transfert dans les pratiques et l’ajustement des dispositifs (suivi et supervision). L’IFC pourrait ensuite, sur base de ces expériences et en partenariat avec les enseignants qui les ont menées, produire des études qui pourraient être socialisées dans le système scolaire et que les autres équipes pédagogiques pourraient s’approprier, en fonction des besoins qui sont les leurs. z