Vers une version augmentée du Pacte

À la suite de la conférence de presse de l’Appel pour une école démocratique (Aped), faut-il mettre le Pacte à la poubelle ? Nous ne le pensons pas. Le combat continue, mais différemment.

Le mardi 3 mars, l’Aped a tenu conférence de presse, pour présenter une remarquable analyse statistique produite par Nico Hirtt [1]Retrouvez l’entièreté de l’étude sur le site de l’Aped., sur les causes des inégalités scolaires, dans l’enseignement flamand et francophone belge [2]L’Aped s’est intéressé autant à l’enseignement francophone que néerlandophone, mais nous nous limiterons ici à l’enseignement francophone., à partir des données de l’enquête Pisa 2018.
Remarquable, car il étaye plus encore ce qu’on sait déjà : que la Flandre et la Fédération Wallonie-Bruxelles se classent dans les cinq systèmes scolaires les plus inégalitaires, au sens où la performance scolaire y est étroitement liée à l’origine sociale des élèves.
Mais Nico Hirtt va plus loin et construit un indice composite d’inégalité sociale scolaire, dont il examine la corrélation avec six variables distinctes, mais pas indépendantes : le marché scolaire, la filiarisation, le financement, le redoublement, les inégalités de revenus et l’immigration.
Et, c’est à l’aune de cet indice composite et de sa corrélation avec ces six variables qu’il interprète les résultats Pisa 2018 de la Belgique, en les comparant aux autres pays de l’OCDE, au regard de la façon dont ces pays organisent leur système scolaire.
Que dégage-t-il ? La confirmation que ségrégation sociale et académique s’entretiennent mutuellement, que ségrégation et inégalités vont de pair et qu’équité et mixité ne sont pas synonymes de nivèlement par le bas.

Remettre les points sur le i des inégalités

Il bat en brèche deux croyances très répandues : le faible degré d’inégalité sociale dans les systèmes scolaires nordiques n’est pas lié à de moindres inégalités de revenus. La corrélation entre la présence importante d’enfants issus de l’immigration et le degré d’inégalité sociale à l’école est négligeable.
Sa conclusion ? L’effet conjoint des six variables examinées sur les inégalités sociales scolaires est de 60,4 %. Plusieurs variables sont corrélées entre elles.
Leurs interactions, nombreuses et complexes nous permettent de penser ceci [3]Repris intégralement de l’étude de l’Aped. :
Les caractéristiques structurelles des systèmes d’enseignement — le quasimarché et la filiarisation — sont des facteurs déterminants dans l’iniquité de ces systèmes. Ils expliquent plus de la moitié des différences intraeuropéennes en la matière et sont cruciaux pour comprendre la singularité belge.
La régulation du marché semble bien être une condition sine qua non pour la réussite d’un tronc commun de longue durée. Aucun système éducatif n’est parvenu à combiner libre marché scolaire et filiarisation tardive.
De faibles taux de redoublement ne garantissent pas à eux seuls une faible inégalité des résultats, particulièrement dans les pays ayant un intense marché scolaire.
À l’échelle internationale, le niveau de financement de l’enseignement est aussi un des facteurs déterminants. La situation des Communautés belges — et particulièrement de la Flandre — n’est pas trop mauvaise. Le financement ne constitue donc pas l’explication première de nos inégalités scolaires, mais s’agissant de l’enseignement fondamental, il fait néanmoins partie de la solution.

À la place du Pacte ou au cœur du Pacte ?

Et l’Aped dégage quatre recommandations prioritaires qu’il adresse aux responsables de l’enseignement :
Dès l’enseignement fondamental, réguler l’affectation des élèves aux établissements, en commençant par proposer une école aux parents. Utiliser ce levier pour optimiser la mixité sociale dans tous les établissements. Cela initiera un cercle vertueux où la diminution de la ségrégation diminuera l’attrait du marché et vice-versa. Cela est la priorité absolue.
Entamer un processus de réorganisation progressif de l’enseignement secondaire, afin de séparer, géographiquement, le secondaire inférieur du secondaire supérieur.
Augmenter le financement de l’enseignement fondamental, notamment pour réduire la taille des classes en début de scolarité à une quinzaine d’enfants.
Sur cette base, introduire progressivement des programmes d’enseignement communs jusqu’à l’âge de 16 ans.
CGé partage entièrement ces conclusions comme ces recommandations prioritaires et l’a fait savoir, régulièrement, par voie d’analyse et de presse.
Mais alors, qu’est-ce qui nous retient de signer la pétition de ce mouvement ami ? Un choix différent, qui nous mobilise depuis cinq ans : le fait de penser que malgré ses zones d’ombre et ses insuffisances actuelles, le Pacte est une base inédite d’accord pour changer l’école. Il n’y en aura pas une, miraculeusement plus claire, qui jaillira. Il faut se battre, dans le Pacte, pour que les transformations fondamentales adviennent et portent leurs effets sur la réduction des inégalités scolaires. C’est difficile. C’est loin d’être gagné. Mais, tant qu’il y aura des marges de manœuvre que nous arriverons à investir, nous continuerons à tenter de coopérer, de façon constructive, exigeante et confrontante, aux différents niveaux de la machine scolaire, pour lutter contre le caractère profondément inégalitaire de notre système scolaire.
La conviction que l’histoire se construit en marchant.
Bien fraternellement,
De CGé à l’Aped

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Retrouvez l’entièreté de l’étude sur le site de l’Aped.
2 L’Aped s’est intéressé autant à l’enseignement francophone que néerlandophone, mais nous nous limiterons ici à l’enseignement francophone.
3 Repris intégralement de l’étude de l’Aped.