Neuro… neuro…, il en restera toujours quelque chose ! Ou plutôt beaucoup ! Mais que peut-on en faire sur le terrain pédagogique ? Pas si simple, explique un neuropsychologue.
Depuis plus de cinquante ans, les neurosciences se sont considérablement développées et trouvent des applications possibles dans pratiquement tous les domaines de notre société moderne. Depuis son avènement, ce champ ouvre les portes du cerveau, et de nombreux chercheurs se mettent à rêver de pouvoir le décrypter et le moduler. Que ce soit dans le champ de la santé, de la santé mentale, du marketing, de la politique, de l’économie ou encore de l’art, les applications des neurosciences semblent infinies.
Parmi ces champs d’application, l’éducation et l’enseignement sont des secteurs de choix par excellence. En effet, l’enseignement traite de la manière d’améliorer les apprentissages et les neurosciences se proposent d’en comprendre les processus mentaux sous-jacents. L’apport des neurosciences dans l’enseignement est multiple et permet d’orienter les pédagogies tant par rapport à la modalité d’apprentissage (identifier les fonctions cognitives en jeu afin de les adapter au mieux au sujet apprenant) que pour envisager des aides efficaces pour les élèves souffrant de difficultés d’apprentissage — troubles dys — (identifier les processus qui posent problème chez ces enfants afin d’y pallier au mieux).
Mais attention, bien que prometteuse, l’application directe et systématique des connaissances neuroscientifiques dans le champ scolaire est encore loin d’être acquise. En effet, entre ce qui est réellement montré par les neurosciences, les raccourcis qui sont pris quand on tente de vulgariser les découvertes, et les activités qui prônent le terme neuroscientifique de leur approche pour vendre, nous sommes entourés d’un brouillard qui nous laisse parfois perplexes sur ce qu’apportent réellement, en classe, les avancées de cette approche.
Les neurosciences cognitives désignent le domaine de recherche dans lequel sont étudiés les mécanismes neurobiologiques qui sous-tendent la cognition (perception, motricité, langage, mémoire, raisonnement, émotions…). C’est un champ pluridisciplinaire au croisement de différents domaines de recherche : les neurosciences, la neuropsychologie, la psychologie cognitive, mais également l’imagerie cérébrale ou encore la modélisation informatique.
Historiquement, les neurosciences cognitives sont issues de la révolution cognitiviste des années cinquante qui a donné naissance au domaine des sciences cognitives à partir de la convergence de plusieurs disciplines scientifiques qui s’intéressaient toutes à l’esprit humain. Néanmoins, elles se sont véritablement constituées en discipline unifiée, vers la fin des années septante, pour répondre aux manquements du béhaviorisme[1]Le béhaviorisme est une branche de la psychologie qui étudie le comportement observable et l’analyse comme un processus au sein de l’environnement et comme l’histoire des interactions de … Continue reading simple.
Ces dernières années, les neurosciences cognitives se sont installées dans tous les domaines et sont devenues une forme de cachet de qualité ou de vente. Le nombre de secteur utilisant le terme neuro pour apporter une plus-value à leur approche est en expansion. Par exemple, nous pouvons penser au neuromarketing, au neuromanagement ou encore à la neuroéconomie. Dans le domaine qui nous intéresse ici, nous trouvons également un nouveau terme, la neuropédagogie, reprenant un ensemble de concepts des sciences cognitives et des sciences de l’éducation connu depuis de nombreuses décennies remises au gout du jour par ce nouveau terme.
L’objectif des neurosciences cognitives dans le domaine de l’enseignement est de renforcer l’efficacité de l’apprentissage et de l’enseignement, en analysant et en intégrant différents paramètres biologiques et, ou psychologiques. Elles permettent ainsi, sur la base d’expériences contrôlées, de valider ou non des méthodes d’apprentissage et d’apporter un éclairage sur le fonctionnement des élèves en classe avec ou sans difficulté spécifique d’apprentissage. Les neurosciences cognitives ont donc pour but final d’avoir une compréhension précise de la manière dont les élèves apprennent, mais également de transmettre ces connaissances aux enseignants pour qu’ils puissent modifier leur manière d’enseigner.
Les neurosciences et les nouvelles données qu’elles apportent questionnent et réactualisent notre compréhension des aspects biologiques, médicaux, psychologiques et cognitifs de l’intelligence et des apprentissages. Toutefois, nous constatons que ces connaissances restent encore trop souvent dans les mains des scientifiques et qu’elles ne transitent que très faiblement vers l’école.
Plusieurs raisons peuvent être évoquées. Tout d’abord, la formation initiale et continue des enseignants ne s’ouvre que trop peu à cette dimension pourtant essentielle de la compréhension des processus d’apprentissage. Le paradoxe est que les enseignants travaillent avec un outil — les capacités cognitives de leurs élèves — dont ils ne connaissent que relativement peu le fonctionnement. Il ne s’agit pas pour les enseignants de devenir des spécialistes du fonctionnement du système nerveux, mais de savoir comment le cerveau traite l’information et quels sont les processus cognitifs et métacognitifs impliqués dans l’apprentissage. Une autre raison à ce manque de diffusion des savoirs est que le travail des scientifiques reste très largement axé sur l’élaboration de nouveaux savoirs plutôt que sur leur transmission ou leur mise en application concrète. Ainsi, de nombreuses recherches visent à une meilleure compréhension des processus mentaux, mais relativement peu d’entre elles s’intéressent à l’élaboration de nouvelles méthodes pédagogiques se basant sur ces connaissances. Par ailleurs, le manque de travail de vulgarisation des données scientifiques ne permet pas d’applications concrètes sur le terrain. Dès lors, à quoi peuvent bien servir les données des neurosciences cognitives ?
Les questions découlant de l’approche des neurosciences cognitives qui devraient alimenter les réflexions de l’enseignant et orienter son travail sont les suivantes :
Comment puis-je évaluer les processus cognitifs déficients chez mon élève en difficulté ?
Quels processus mentaux sont nécessaires pour réaliser la tâche que je demande ?
Quels sont les moyens de remédiation si mon élève rencontre une difficulté ?
Soyons clair, l’objectif n’est pas que l’enseignant remplace les spécialistes tels que le neuropsychologue, la logopède ou l’orthopédagogue, mais simplement qu’il puisse être moins perdu face à un élève qui présente une difficulté et qu’il puisse agir rapidement pour tenter de l’accompagner.
Nous découvrons aussi, au travers de ce questionnement, l’objectif fondamental de l’approche des neurosciences cognitives appliquée à l’enseignement : traiter chaque élève individuellement.
En effet, c’est en observant un élève, ses erreurs et en tentant de décrypter les processus qui ont mené à ces erreurs, que l’enseignant pourra au mieux y remédier. Néanmoins, confrontée au principe de la réalité de la classe, cette démarche aussi bénéfique qu’elle puisse être dans l’absolu est, dans la pratique, difficilement réalisable en raison du manque d’enseignants formés, du cout (aussi bien en termes d’argent que de temps) associé aux interventions ainsi qu’au niveau d’attention individuelle dont de nombreux apprenants ont besoin. Cela est d’autant plus vrai dans notre système éducatif qui est centré sur les programmes à respecter par l’enseignant le contraignant bien souvent à envisager ses pédagogies pour l’ensemble de ses élèves au détriment de toute différenciation.
Les neurosciences cognitives apportent donc, pour l’enseignant, au-delà d’une meilleure compréhension du fonctionnement de l’apprentissage, une question essentielle de fond : est-ce que je peux, de manière raisonnable, adapter mon enseignement aux différents élèves de ma classe au vu des connaissances scientifiques existantes ?
Les neurosciences cognitives appliquées au domaine de l’enseignement semblent se répandre comme une trainée de poudre. Il suffit de voir ce qu’il se passe actuellement en France pour en être convaincu. Un ministre de l’Éducation qui veut appliquer les connaissances découlant des recherches en neurosciences cognitives à l’école, la nomination d’un comité de pilotage scientifique dans ce domaine mené par un des plus grands défenseurs de l’approche neuroscientifique… Mais attention, mieux connaitre comment le cerveau fonctionne est une chose, mieux comprendre l’apprentissage en est une autre, et ne perdons pas de vue que bien comprendre l’environnement dans lequel on travail reste tout aussi important.
Pouvons-nous espérer que les neurosciences cognitives et leur compréhension ne tombent pas dans le même travers de simplification que le béhaviorisme des années cinquante ? Les neurosciences cognitives pourront-elles prendre en compte le fonctionnement des élèves dans une classe de vingt-cinq enfants ? Les neurosciences cognitives pourront-elles comprendre et prendre en compte la relation que l’enseignant peut avoir avec ses élèves ? Enfin, peuvent-elles comprendre les limites et contraintes imposées aux enseignants par le système scolaire ?
Les neurosciences cognitives ne doivent donc pas être vues comme une réponse absolue, mais bien comme un outil et une aide pour l’enseignant et l’apprenant.
Notes de bas de page
↑1 | Le béhaviorisme est une branche de la psychologie qui étudie le comportement observable et l’analyse comme un processus au sein de l’environnement et comme l’histoire des interactions de l’individu avec son milieu. Le béhaviorisme s’appuie sur l’expérimentation et la mesure scientifiques. Il vise à établir une relation statistiquement significative entre des variables de l’environnement et le comportement étudié sans faire appel au psychisme comme explication des actes ou du comportement. |
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