Dans le cadre de l’élaboration des plans de pilotage, un certain nombre d’écoles ont mis au travail la question de l’évaluation. Dans ce contexte, CGé est sollicité comme opérateur de formation pour répondre à des demandes d’équipes pédagogiques. Force est de constater que quelle que soit l’école des récurrences s’observent dans les pratiques en matière d’évaluation.
Dans notre dispositif de formation, nous proposons de partir de situations insatisfaisantes rédigées par les enseignants et nous mettons collectivement ces récits au travail à l’aide des étapes de l’entrainement mental.
Toujours ces vieilles croyances que des points seraient plus objectifs, plus justes que des appréciations. Toujours ces vieilles croyances que si les travaux, épreuves ne sont pas cotés, ils ne seront pas pris au sérieux par les élèves. Toujours ces vieilles croyances que des commentaires ne seront pas lus, pas pris au sérieux, ils ne permettraient pas de situer l’enfant, le jeune dans ses apprentissages et les parents ne s’y retrouveront pas. Mais au bout du compte à quoi sert l’école ? À apprendre (instruire), à sélectionner (certifier) ou encore à éduquer (socialiser) ?
Sans doute, que nous remplissons à des degrés divers toutes ces fonctions, mais quelle est la fonction qui constitue la majeure dans nos classes, nos écoles. Il n’est pas anodin d’y réfléchir et d’y réfléchir en équipe. Les modalités d’évaluations en seront inévitablement influencées et surtout le sens de l’évaluation pourra ou pas devenir tout autre. Se pose en fait la question de pourquoi, pour quoi on se met au travail que ce soit à l’école ou dans nos professions respectives ?
C’est alors le lieu d’introduire quelques notions de sociologie et de parler des moteurs de l’action, références à François Dubet et de mettre tout cela en lien avec le type de rapport au travail que cela peut entrainer chez nos élèves et chez les enseignants. C’est l’occasion également d’observer des stratégies pédagogiques, que, parfois, à l’insu de notre plein gré, nous mettons en place et qui renforcent tel ou tel rapport au travail et nos manières d’évaluer. Les équipes sont plutôt réceptives à ces éclairages et dans les exemples pris se reconnaissent soit dans leur parcours d’élève soit d’enseignant.
Pour François Dubet, il existe trois grands moteurs de nos mises en action : le désir d’intégration, l’intérêt ou encore l’adhésion à des valeurs. Nous sommes tous mus, élèves ou membres des équipes éducatives par ces différents « mobiles », en fonction des situations et des contextes auxquels nous sommes confrontés.
Pour bien comprendre, situons-nous du côté des élèves même si le raisonnement pourrait être valable pour des enseignants. Pourquoi/pour quoi un élève travaillerait-il, pourquoi/pour quoi s’engagerait-il dans les activités scolaires ?
Cela peut être une manière de s’intégrer à un groupe, à une classe. Ce qui compte alors ne sera pas tant le travail comme tel, mais bien la relation avec les autres, ses condisciples et avec l’enseignant. Si on s’engage dans le travail, c’est pour faire groupe, faire meute, faire clan et surtout pour être bien ensemble.
L’élève peut également s’engager dans le travail, car il y trouve un intérêt, il calcule son rapport cout-bénéfice. S’il obtient de bons points, il aura droit à un nouveau smartphone… S’il « ramène » un échec, les sorties seront supprimées… Bref vous voyez le mécanisme récompense-rémunération/punition-coercition.
Enfin, un élève peut se mettre au travail parce que, soit pour lui, c’est normal de travailler, le modèle parental lui a toujours montré que le travail est une « vraie » valeur, qu’on soit malade ou pas, dans la famille, on bosse ; soit encore mieux, l’élève peut travailler parce qu’il y prend un réel plaisir, c’est chouette de résoudre telle ou telle situation problème, c’est gai de réaliser un projet avec d’autres en coopération.
Nous, les enseignants, avons-nous suffisamment conscience du rapport au travail que nous entrainons auprès de nos élèves ? Je peux jouer à la séductrice… La majorité d’entre nous, et c’est bien légitime, avons envie d’être appréciés par les élèves, c’est quand même plus simple dans la relation, dans la gestion du groupe et surtout plus agréable. Envie d’être l’enseignant qui plait, celui auquel l’élève pourra peut s’identifier. Besoin que les élèves nous renvoient une image positive de nous. L’interaction enseignant-élèves est dès lors centrée sur la relation bien plus que sur les apprentissages. L’évaluation est secondaire, il ne faudrait pas qu’elle vienne froisser la bonne entente, la cordialité.
Je peux également installer mes élèves dans une logique d’intérêt et donc instrumentaliser l’évaluation au profit de mon pouvoir de rémunération et de coercition. Ce sont ici les points ou les notes qui comptent, ils/elles vont récompenser ou sanctionner. Les élèves qui entrent dans cette logique vont donc travailler essentiellement pour des points et non pas parce qu’ils apprennent. Pour certains, cela engendrera un rapport d’impuissance au travail, car ils auront beau travailler, rien n’y fera, ils seront en échec, donc à quoi bon… Autre possibilité, je peux renforcer un rapport normatif au travail, encourager ceux qui bossent, mettre l’accent sur l’effort qui payera tôt ou tard. Ce n’est pas tant le résultat qui compte, je peux prendre en compte dans mon évaluation, dans mes commentaires, l’évolution des apprentissages et l’implication que j’ai observée en classe ou dans le devoir rendu.
Enfin, je dirais idéalement, que je peux par mes dispositifs de formation susciter du désir à travailler parce que cela me permet de comprendre le monde, d’avoir du pouvoir sur lui, cela me permet de me construire et de grandir. L’enseignant intervient ici bien sûr comme un professionnel quand il construit son dispositif, mais il est surtout au moment où les activités se déroulent, un accompagnateur des apprentissages. C’est la relation entre les Savoirs [1]Savoirs avec un S majuscule, car il fait référence tant au savoir, savoir-faire, savoir être et aux diverses compétences qu’un enseignant est censé entrainer chez les élèves. et l’élève qui compte et qu’il est important, ici, de valoriser. L’enseignant sera le garant, celui qui facilite cette relation aux Savoirs. L’évaluation sert ici à permettre la progression dans les acquis des apprentissages, à orienter les démarches, à réfléchir aux procédures et mécanismes qui favorisent la formation et à expliciter des processus.
Oui, me direz-vous… c’est bien beau tout cela, mais au bout du compte dans une série de moments, certains enseignants, à certains niveaux doivent certifier : diplômes professionnalisants dans le qualifiant, CEB au primaire, CE1D fin du premier degré, CESS à la fin du secondaire de transition… Oui sans doute… mais faut-il sans cesse brandir ces sésames, pour ne pas dire menacer, tout au long de la scolarité, est-ce vraiment « à force de peser le cochon qu’on le fait grossir ? ».
Je m’étonne toujours du temps qu’on prend pour évaluer parce qu’il faut mettre des points dans le bulletin et des justifications qui sont employées pour à la fois se plaindre de ce système et en même temps ne pas prendre le temps de le remettre en question. Quand en formation, on pose la question aux équipes éducatives de savoir ce qui est obligatoire en termes de droit en matière d’évaluation, bien peu sont au fait de la législation. En fait elle est très peu contraignante. Il y a bien sûr les certifications officielles annoncées ci-dessus et une obligation à informer les parents sur les évolutions des apprentissages. Pour le reste, les enseignants sont bien plus soumis soit à de vieilles habitudes, soit à des injonctions des réseaux.
Eh oui, vous l’avez compris, ils sont mis dans un rapport coercitif à leur travail et donc trop souvent ils font de même avec les élèves. On reproduit ce que l’on a vécu ou vit soi-même. Et si, au contraire, les plans de pilotage ouvraient une nouvelle réflexion sur le rôle de l’école et sur le type d’évaluation adopter en fonction de ces nouvelles finalités choisies. Si entrainer le désir d’apprendre chez les élèves de la maternelle à la fin de l’enseignement obligatoire devenait central. On verrait alors des équipes réfléchir ensemble à de nouveaux dispositifs pédagogiques et didactiques. On verrait inévitablement des pratiques pédagogiques qui se transforment. Il s’agit purement et simplement de reprendre du pouvoir sur son métier.
Des équipes sont déjà en route !
Notes de bas de page