Et pour les jeunes profs ?

En me rappelant mes premiers pas douloureux dans l’enseignement, je m’étonne d’être encore prof aujourd’hui. Que s’est-il passé entre ces deux moments ? Qu’est-ce qui m’a manqué au début et que j’ai trouvé après ? Petit à petit, l’expérience m’a permis d’intégrer les ficelles de ce métier, mais je ne suis vraiment devenue professeure qu’en intégrant une équipe puis une école tout entière.

Je suis engagée pour mon premier intérim de professeur de français. Je me prépare au mieux, je stresse surtout beaucoup, je ne sais pas ce qui m’attend. Les premiers cours sont, parait-il, décisifs, les élèves se forgent une opinion, décident de la crédibilité du « nouveau ». Je suis déterminée à bien commencer, je vais affirmer mon autorité, me montrer sure de moi.

Durant la première semaine, je suis mal à l’aise et très vite noyée. Il faut préparer les cours, planifier les interrogations, gérer les bavardages, sanctionner les débordements… “Une institution collective habitée d’enseignants solitaires…”Les élèves remarquent mon manque d’expérience et mes incohérences ou mes écarts par rapport à la norme de leur école qu’ils connaissent bien mieux que moi ! Moi, j’ai lu le règlement théorique, mais il ne peut pas me servir de repère, car la réalité est tout autre.

Je ne sais pas

Je ne sais pas bien qui décide des sanctions ou quelle est la procédure pour exclure un élève, je ne sais pas si je peux les laisser parler un peu dans le fond ou si je dois exiger le silence, je ne sais pas s’ils peuvent sortir de la classe à l’intercours. Comment font les autres profs dans leur classe ? Je sors de mes heures de cours avec des tonnes de questions dont je n’avais pas soupçonné l’existence.

Je ne connais pas les codes. Même dans la salle des profs, je ne sais pas comment me tenir ou à qui parler. Certains collègues sont là, attentifs à ma détresse. Ils connaissent ce parcours initiatique du jeune prof, ils y ont « survécu ». Ils me donnent leurs petits trucs et c’est toujours utile, je les mets dans un coin de ma tête. Puis, voilà la sonnerie, chacun repart vers sa classe, avec son cours et son courage.

Chacun a son horaire et ses habitudes, je n’ose pas leur dire à quel point je suis perdue. Pudeur ou fierté ? J’ai besoin d’être soutenue, mais je sens que je ne peux pas trop montrer ma faiblesse. Tout le monde se montre fort, un réflexe de prof, j’imagine, tellement habitué à devoir se montrer consistant face aux élèves. Moi, je ne trouve pas cette force, j’ai beau puiser dans mes réserves, je sens ma motivation décliner.

Réconfort

Au bout d’un mois, je découvre petit à petit que ce qui me renforce est assez anodin. Par exemple, sortir de la salle des profs en discutant avec un collègue et aller ensemble jusqu’à la classe. La fois suivante, c’est avec la titulaire de la classe que je discute devant la porte avant de commencer le cours. Je sens le regard des élèves qui change, ils savent maintenant que je suis en lien avec les autres, ces simples contacts influencent mon rapport aux élèves.

Aussi, je trouve ma place de professeur en assistant à mon premier conseil de classe. C’est une vraie découverte, je prends beaucoup de plaisir à ces discussions autour d’une table. Je trouve là quelque chose qui me manque cruellement : me sentir appartenir à une équipe. J’ose enfin discuter de mes difficultés avec mes collègues.

Solidaires ?

Donner cours est à priori une tâche individuelle, mais elle se situe au cœur d’un dispositif assurément collectif. Pourquoi n’ai-je pas eu accès plus tôt à ce soutien que constitue une équipe de professeurs ? L’entraide et la cohésion ne semblent pas instituées dans une école, la solidarité est censée se construire sur base de la seule bonne volonté, une base très aléatoire.

De mon côté, je considérais au départ cette solitude du professeur comme un avantage : travailler seul permet d’avancer à son rythme, de faire ses choix et d’être seul juge de ses erreurs. Mais, en découvrant la nécessité de me sentir appartenir à une école, je me rends compte à quel point la cohésion rend puissant et donne de la consistance face aux élèves.

Pourtant, nous travaillons ensemble, mais cela ne suffit pas pour dire que ce travail est collectif. Car travailler en collectif demande une organisation qui laisse une place à chacun et demande aussi du temps, des concessions, des remises en question, tant du point de vue de celui qui a la légitimité de l’expérience que pour celui qui débute et doit confronter sa théorie à la réalité.

Il faut passer par là

Les jeunes profs, tout occupés qu’ils soient à assembler leurs bribes de pédagogie ou à assimiler les comportements de leur nouvelle identité, ont besoin d’être soutenus et accompagnés pour trouver leur place au sein d’une école et intégrer l’équipe (pour peu qu’il y en ait une).

Une idée répandue est qu’un jeune enseignant doit « passer par là », doit réussir la difficile épreuve des premiers mois. S’il ressort debout de ce parcours du combattant, il devient un professeur. Par contre, si ces premiers mois difficiles ont raison de sa motivation et qu’il abandonne, c’est que ce métier n’était pas fait pour lui. Si l’expérience est un terreau unique, traverser de rudes épreuves pour s’expérimenter ne me semble pas nécessaire. Les difficultés constructives et destructrices peuvent être distinguées et la solitude du jeune prof peut être évitée.

Étrange tout de même qu’une institution aussi intrinsèquement collective, possédant ses codes et ses normes censés être partagés par tous, soit habitée par des enseignants aussi solitaires. Si apprendre aux jeunes à vivre et travailler ensemble est une mission prioritaire de l’école, elle devrait être à la base du fonctionnement de l’équipe de professeurs qui prétendent transmettre ces valeurs.