Le travail collectif est-il possible pour un syndicat d’enseignants ?

« La solitude devant la classe comptant beaucoup dans le malaise actuel, les enseignants ont plus que jamais besoin de travailler en équipe », écrivait le SEL en 1989 dans Profs au bord de la crise de nerfs. Depuis… pas grand-chose d’engrangé dans les résultats de l’action syndicale. Sans doute parce qu’il n’y a pas de solution « évidente » qui puisse faire l’unanimité.

Si la concertation est reconnue depuis dans l’horaire des enseignants du fondamental ordinaire et dans l’horaire des personnels de l’enseignement spécialisé tous niveaux confondus, il ne l’est toujours pas dans le secondaire sauf quelques circonstances locales. Dans les écoles du secondaire ordinaire, ce travail de concertation entre collègues passe, depuis sa disparition en 1986, pour du travail supplémentaire non rémunéré.

La liberté ou la révolution ?

Disons-le tout net, le SEL n’a pas de position syndicale affirmée sur la question du travail collectif des enseignants (pas de « position de congrès ») hormis le retour aux deux heures de concertation reconnues et rétribuées pour tous. Depuis 2002, le SEL revendique dans l’enseignement secondaire « l’octroi, dans l’horaire de la fonction, de deux périodes de travail par équipe de branche », revendication non entendue parce que cela met en cause la liberté des pouvoirs organisateurs, organisée par le système du NTPP (nombre total de périodes professeurs). Soyons honnêtes, dans l’ensemble de nos revendications, ce n’est pas celle que nous mettons le plus en avant, tant elle a peu de chances d’être suivie. C’est une revendication au « long cours », tant elle va trop à l’encontre des pratiques et des principes d’organisation de l’enseignement d’aujourd’hui.

Il faut savoir que la position syndicale se construit avec les affiliés. C’est une construction lente qui articule des visions idéalistes à des réalités lourdes, étouffantes parfois. Elle ne se construit pas contre la volonté des affiliés et l’idée du « travail collectif » ne semble pas être une aspiration profonde d’une majorité d’enseignants. Il y a beaucoup de « tabous » dans l’enseignement. La durée du temps de travail et son mesurage en font partie.

L’enseignement est, depuis longtemps, un artisanat qui ménage des espaces de liberté aux enseignants (pouvoir préparer et corriger quand et où ils le veulent) ; le travail collectif est souvent perçu comme limitant cette liberté. De plus, l’organisation du travail dans les écoles favorise le travail solitaire et la solitude en classe. Songeons que les moyens accordés au 1e degré du secondaire permettent le travail en binôme dans certains cours ou du travail collectif, mais que cela ne se pratique (presque) pas. Il s’agit d’une véritable révolution culturelle tant pour les enseignants que pour les organisateurs d’enseignement que de mettre en œuvre autre chose que du travail solitaire.

Calibrer la complexité ?

Quand la fiche de salaire « égrène » le traitement en fonction du nombre de périodes de cours données, tout ce qui n’y figure pas est considéré comme non rémunéré et, par conséquent, comme du travail en plus. Heureusement, la préparation des cours et les corrections des évaluations et travaux générés par les cours paraissent comme une évidence. Les corrections des épreuves externes, c’est déjà autre chose…

Une racine du problème est que l’on engage l’enseignant non pour une fonction, mais à la période de cours. C’est un peu moins vrai dans le fondamental, mais la gangrène de la fraction de charge gagne.

Partant du postulat que le travail collectif permettra à chaque enseignant de mieux enseigner et de mieux vivre dans sa profession, nous pourrions rêver que le travail collectif puisse être rendu possible par l’engagement pour une fonction complète (ou pour une demi-fonction) qui serait détaillée de manière bien calibrée en cours, préparation individuelle, préparation collective, concertation pédagogique, recherche pédagogique, remédiation, relations avec les parents… Il faut un calibrage de précision qui permette une égalité entre enseignants dans la réalité de leur temps de travail (mais c’est un tabou important). Cette égalité nous parait indispensable pour que chaque enseignant puisse participer à du travail collectif dans de bonnes conditions. Ce calibrage serait, nous semble-t-il, la meilleure manière de rendre « évident » le travail collectif (et ainsi de le rendre « obligatoire » pour tous), mais également de rendre tout aussi évident dans le travail de l’enseignant la dimension de recherche pédagogique.

Cela pourrait aussi avoir l’avantage de reconnaitre publiquement la complexité du métier d’enseignant.

Ça risque de couter cher

Partant toujours du même postulat, nous pouvons rêver aussi que tout le travail de l’enseignant ainsi redéfini puisse se réaliser à l’école. Cela donnerait certainement des conditions plus favorables pour le travail collectif, si les enseignants le veulent bien. Cependant, il y a quelques conditions essentielles pour que cela puisse servir au travail collectif. Il faut d’abord rendre impossible ce qui constitue une grande crainte des enseignants : que le temps passé à l’école hors du temps en classe serve à remplacer des collègues absents ou à exercer des charges non prévues organiquement. Cette crainte nous apparait fondée vu l’absence de véritable management dans les écoles. Ensuite, il faut que chaque enseignant dispose d’un bureau pour travailler dans de bonnes conditions. Autres conditions indispensables : l’école doit posséder un centre de documentation performant qui permettrait aux enseignants de préparer les cours, de faire de la recherche pédagogique…

Cependant, la réalité étouffante met des obstacles de taille sur la route. Les bâtiments scolaires ne sont pas conçus pour cette affectation et le manque de place pour les élèves est criant. Les centres de documentation sont rares et coutent cher.

La mise à disposition du matériel nécessaire et la réflexion sur le temps de travail réel faisaient partie du cahier de revendication du Front commun syndical pour le sectoriel 2011-2012. C’est un préalable pour l’évolution du métier. Le Gouvernement a du mal à suivre sur cette voie avec les moyens financiers qu’elle nécessite.