Les démarches mentales plutôt que les réalisations !

Faire faire, sans s’en faire, avec le risque, dur comme fer ,de perdre des élèves dans l’action, sans plongeons dans les apprentissages.

Trop souvent, je voyais mes élèves « faire » parce que je leur avais donné une consigne. Ils voulaient arriver à une production, un produit fini et non pas « faire pour apprendre ». Donner les objectifs ou la compétence que je voulais développer — nous allons apprendre à construire des repères dans le temps ou nous allons apprendre à nous faire des images mentales. — est important, mais n’est pas suffisant.

Dans un premier temps, j’ai changé mon organisation. J’ai distribué un même matériel à chacun, en obligeant tous les enfants à être actifs (ce qui n’empêche pas les échanges.) J’ai répété les mêmes activités, de jour en jour, jusqu’à ce que tous les enfants aient acquis la compétence. J’évite l’organisation d’ateliers variés où je ne maitrise pas toujours l’ensemble des compétences sollicitées.

Je propose de petites séances de relaxation, en classe, afin de permettre aux enfants d’apprendre à se concentrer, à se mettre dans une attitude de travail, à apaiser leur agitation. Ces petits exercices de 5 min, avant les apprentissages, sont généralement réalisés, sérieusement, par tous les enfants. Ils savent qu’après, ils seront dans un moment d’apprentissage, avec les règles qui en découlent : travailler en silence, l’erreur est permise, on ne peut pas rester sans rien faire, on doit essayer.

Plus il y a de têtes, plus il y a de finesse

Malgré ces modifications, des enfants sont encore en difficultés, parfois même en échecs, et donc, dans le découragement et la démotivation face aux apprentissages et à l’école en général.

Avec d’autres collègues, nous nous sommes penchés sur le pourquoi ces enfants ne comprenaient pas. Nous nous sommes rendu compte que ceux-ci ne disposaient pas, ou n’arrivaient pas, à utiliser les outils mentaux nécessaires pour résoudre un problème ou accéder aux apprentissages.

Dès lors, comment aider l’enfant à mémoriser, quels processus ou quelles démarches mentales faut-il provoquer ? (En maternelle, on ne mémorise pas seulement des récitations ou des poésies !)

Comment amener l’enfant à classer, à comparer, à construire les quantités, à se faire des images mentales ? Petit à petit, par essais et erreurs, j’ai mis en place des activités qui aident les enfants à prendre conscience des processus qu’ils doivent utiliser pour apprendre. En voici quelques-uns. Pendant des années, nous nous sommes comptés, le matin, en mettant une pince sur la bande numérique. La préoccupation de tous les enfants était bien plus de venir placer la pince que d’apprendre à compter. Celui qui maitrisait la litanie des nombres n’apprenait rien de neuf. Celui qui ne la connaissait pas, ne la connaissait pas mieux et devait, en plus, l’afficher devant les autres qui le regardaient faire. En fait, nous restions dans la verbalisation du comptage et ne construisions rien au niveau des quantités.

Exemple : Nous sommes 24 élèves, mais ça représente quoi 24 ? Pour certains élèves, le 24 c’est le dernier élève compté. Comme sur la main, 3, c’est le 3e doigt et non les 3 doigts ensembles1. Maintenant, pour essayer de construire les quantités, je procède comme suit : « Nous allons travailler la perception du nombre 5 en rapport avec la main et le dé. »

Au coin tapi, on met les nombres à plat

Tous rassemblé au coin tapi, un enfant prend un jeton et le dépose au centre. L’institutrice dit : « C’est un. », en montrant le pouce. Le suivant prend aussi un jeton et vient le déposer. L’institutrice dit : « Encore un. » et ajoute l’index. Les enfants font de même avec leurs doigts. Et on agit de même jusque 5. « Voilà, il y a 5 jetons comme la main et on va les disposer comme sur le dé. » Ensuite, on continue et on va faire une deuxième main. Un enfant prend un jeton… et ainsi de suite. On termine en ayant sur le tapis plusieurs tas organisés de 5 et quelques jetons. On peut alors dire aux enfants : « Nous sommes quatre mains, ça fait 20 et 4 jetons. Ça fait 24. »

Les enfants ont ainsi vraiment, sous les yeux, ce que représente le nombre. De plus, il est visuellement organisé, et non pas en tas.

Au fur et à mesure, les enfants apprennent à disposer les jetons directement comme sur le dé. Cependant, je reste attentive à ne pas figer le nombre dans une seule représentation, car alors, les enfants risqueraient de se repérer à l’organisation spatiale et non plus à la quantité perçue. Par exemple, représenter le 5 comme étant quatre et un. Ensuite, je travaille sur d’autres regroupements, par 4, par 6…

De même, je travaille avec des étiquettes de représentations variées des nombres (image dé, doigt, appartement, objet), pour être certaine que l’élève est, vraiment, dans sa construction des quantités. Il faut empêcher la simple énumération de la litanie des nombres, en travaillant plus sur la correspondance terme à terme, ou en oralisant sous la forme suivante : « Trois, c’est un et encore un et encore un. Et non pas : trois, c’est un, deux, trois. [1]Rémi BRISSIAUD, Premiers pas vers les maths, Retz, 2007. »

Savoir énumérer correctement les nombres n’est jamais une preuve qu’un enfant a compris les quantités. Il peut très bien réussir à trouver toutes les représentations d’une même quantité, rien qu’en déroulant correctement la litanie des nombres parce qu’il a retenu que le dernier mot dit doit être le même, sans avoir construit les quantités correspondantes. C’est ainsi qu’il se retrouve en grande difficulté, en primaire, pour réaliser des calculs sans matériel.

Autre activité de début d’année : les règles de la classe. J’avais l’habitude de choisir les règles avec les enfants. Nous mettions des images ou des photos représentants la règle à respecter et puis, nous l’affichions en classe. Cette activité prenait un après-midi, mais les règles devaient toujours être répétées et n’étaient pas respectées.

Après réflexion avec d’autres collègues, j’ai décidé de leur apprendre à mémoriser ces règles afin qu’elles soient mieux intégrées.

Mémoriser pour comprendre

J’ai donc choisi de travailler avec une dizaine de règles, inscrites sur des petites vignettes, accompagnées d’une illustration. Je leur annonce que nous allons apprendre à connaitre et à nous souvenir des règles à respecter en classe. Chaque enfant a son paquet de vignettes. Je lis la première phrase, inscrite en dessous de l’image, mais sans montrer l’image. Les enfants cherchent parmi les vignettes celle qui pourrait correspondre à la phrase. Je travaille ainsi sur l’obligation d’essayer de se construire des images mentales de la règle énoncée. Je demande aux enfants de tenir leur tas de vignettes en main, sans les étaler sur la table. Le fait de ne pas percevoir immédiatement l’ensemble des vignettes les oblige à solliciter le processus d’inhibition, c’est-à-dire cette capacité de garder une idée en tête tout en étant sollicité par d’autres éléments. Et ainsi de suite avec les autres vignettes.

Je passe ensuite à la confrontation avec la bonne réponse. Je reprends la règle en format un peu plus grand. Je redis la phrase. On observe l’image, on la décrit, on donne des exemples pour illustrer. Derrière la règle : « On ne peut pas se faire mal. », il y a : ne pas mordre, ne pas donner de coups de pied, ne pas griffer…

Pendant les trois ou quatre jours suivants, on reprend les vignettes selon la même démarche. Cependant, on explicite de moins en moins les images.

Lorsque les enfants commencent à maitriser les contenus, ils se mettent par deux, avec chacun une série d’étiquettes. Un enfant dit la règle, l’autre trouve la vignette correspondante. Puis inversement.

En pratique, les enfants comprennent mieux les règles. Il suffit que je montre l’étiquette « travailler en silence » pour qu’ils comprennent. Ce qui ne signifie pas qu’ils les appliquent nécessairement mieux.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Rémi BRISSIAUD, Premiers pas vers les maths, Retz, 2007.