Des salaires et des conditions de travail, bien sûr. Mais aussi une École de l’émancipation sociale pour les élèves. Compatible ? Compatible ! Mais pas simple.
Il est fréquent d’entendre dans les organisations syndicales, tous secteurs confondus, que l’essence du combat syndical est l’amélioration des salaires et des conditions de travail d’une part, l’émancipation sociale de tous les travailleurs d’autre part. Dans les secteurs Non Marchands (aide à la jeunesse, santé…) dont le SEL fait partie au sein du SETCa, l’intérêt du bénéficiaire est aussi un enjeu syndical.
Cependant, qu’une organisation syndicale s’intéresse aux structures de l’enseignement et à ses finalités laisse certains perplexes, voire hostiles, car ils craignent que cela passe avant la défense des conditions individuelles de travail. Cela renvoie à ce qui motive l’affiliation à une organisation syndicale : le mode d’action de l’organisation syndicale (OS), ses principes (son « idéologie »), l’assistance en cas de difficultés professionnelles, la lutte pour l’amélioration des conditions de travail (ou pour la sauvegarde intransigeante de ce qui existe), les conseils, l’envie de peser sur les orientations du métier, de s’approprier pleinement le métier – c’est un peu de tout cela, parfois avec des accentuations fortes sur un point précis. Ceci se ressent actuellement dans les débats sur les rythmes scolaires.
Cela étant, le SEL-SETCa estime avoir pour mission de défendre les intérêts collectifs des professions de l’enseignement, les intérêts professionnels et moraux des membres du personnel et une conception de la société et de l’enseignement qui mène chacun à l’émancipation sociale. Notre cahier décennal de revendications en témoigne.
Une difficulté de l’action syndicale dans l’enseignement est de trouver un bon équilibre entre ces trois pôles. Une deuxième difficulté importante est que l’opinion, comme de nombreux politiques, considère les métiers de l’enseignement comme une vocation qui voudrait que les enseignants n’aient pas à compter leur temps et se dévouent au-delà de ce qui est prévu dans le contrat (ou la désignation) et le statut, pour le bien de la cause… Un peu comme si les enseignants (au sens large) n’étaient pas des travailleurs. Un sens moderne de la vocation est peut-être la « militance ».
Une organisation syndicale a-t-elle à prendre parti pour une pédagogie particulière ou contre une autre ? On peut considérer que la militance pour une pédagogie précise n’est pas la mission principale d’une organisation syndicale enseignante. Si nous n’avons jamais méprisé, comme ce fut le cas pour d’autres organisations, les questions pédagogiques (qui écartait des missions de défense des conditions statuaires et salariales), pendant longtemps nous ne les avons approchées que la « main tremblante » et si les conséquences étaient contraire à l’émancipation sociale des futurs travailleurs que sont les élèves.
En 1997, nous avons combattu certains aspects du « Décret Missions ». Par exemple, les objectifs largement différents entre les filières de transition et de qualification. Nous ne comprenions pas et ne comprenons toujours pas à quoi correspond l’appellation « humanités professionnelles » de la filière professionnelle tant les contenus « citoyens » et « humanistes » décrits nous semblaient pauvres et isolés du reste de la formation. La réforme de la CPU nous a fait craindre une vision encore plus « formation professionnelle » qu’« humanités professionnelles ».
Le lecteur pourrait croire que nous appuyons la réforme des grilles pour la prochaine rentrée. Pourtant, si nous pensons que le renforcement des cours généraux est souhaitable, pour nous, la formation générale reste trop à côté (voire sur le côté) des cours techniques et pratiques. De plus, la mise en œuvre n’est pas suffisamment préparée, pas plus que les « transferts d’emploi » ni la requalification des collègues de cours techniques et/ou pratiques qui perdront des plumes dans l’opération. Là, c’est une préoccupation classiquement syndicale !
Depuis quelques années, à la demande de militants, nous avons dû nous intéresser à l’« approche par compétences » et à ses effets sur les conditions de travail. À l’époque du « Décret Mission », nous étions sortis de notre réserve et avions estimé que, surtout pour le public des écoles en discrimination positive, les compétences mettant en œuvre des savoirs et des savoir-faire, pouvaient être positives par les objectifs à atteindre sur un cycle et par la confiance nécessairement faite à l’équipe enseignante ; dans notre esprit, les programmes disparaissaient. Hélas, les programmes étaient toujours là, renforcés même. De plus les compétences relèvent plus d’une idéologie anti savoir, imposée par des dogmatiques (dont des inspecteurs). Quand des affiliés nous ont demandé de combattre cette logique délirante, c’était parce que cela n’apportait rien à leurs élèves et que, eux, enseignants, perdaient du temps dans des aspects de formulation administrative au lieu de pouvoir utiliser ce temps au profit des apprentissages.
Nous avons encore exprimé récemment, dans le cadre des travaux du Pacte, notre hostilité à l’imposition d’une nouvelle recette unique, la « pédagogie explicite », poussée par certains. Au SEL-SETCa, nous sommes opposés aux dogmes en la matière et considérons qu’un enseignant peut avoir à mettre en œuvre différentes facettes de pédagogies selon « son » public et la maitrise des prérequis de celui-ci.
Dans une société où l’enseignement et le travail des enseignants sont sujets de polémiques et de roulements d’épaules politiques plutôt que l’objet d’un enjeu commun convenu de toute la société, les enseignants et éducateurs se sentent parfois pris en otages par des enjeux partisans qui ne sont pas les leurs.
En prenant en compte tout cela, la question pour le SEL-SETCa peut relever d’un double paradoxe. Comment défendre les conditions de travail des travailleurs voire simplement les maintenir sans que nous puissions être accusés de porter préjudice aux élèves ? Mais aussi, comment améliorer les conditions d’apprentissage des élèves et leur réussite sans que cela se fasse au détriment des conditions de travail des enseignants ?
Nous devons constater que de nombreux enseignants ne considèrent pas qu’enseigner c’est « politique ». Sans doute parce qu’ils sont écartés des vrais débats sur la fonction sociale de l’enseignement et sur ses objectifs. Les référentiels ne sont pas débattus avec les enseignants ; ils sont approuvés par le Parlement après un travail essentiellement entre les réseaux. Des débats récents dans le cadre des travaux du Pacte pour un enseignement d’excellence montrent que les réseaux considèrent que les référentiels sont des documents de spécialistes que les enseignants n’ont pas à connaître ; ils ont à mettre en œuvre les programmes issus des référentiels et écrits par les réseaux.
Si l’enseignant était considéré comme un véritable acteur et non comme un agent d’exécution, il serait associé à l’élaboration des référentiels. La question de savoir si les référentiels sont un contrat avec la société a été posée dans les travaux du Pacte. Ils devraient être accessibles (dans tous les sens du mot) aux parents comme à tout autre citoyen. Nous devons constater que des réseaux s’y opposent avec plus ou moins de vigueur. C’est une vision politique qui n’est pas la nôtre.
Chaque enseignant doit-il être un militant tout le temps ou peut-il être simplement un travailleur de l’enseignement ? C’est une question qui traverse régulièrement nos assemblées. Le pôle « militance pédagogique » est mis à mal chaque fois qu’un politique met en cause la qualité de l’enseignement (pris comme une mise en cause des enseignants), souhaite augmenter le temps de présence hors cours dans les écoles pour être à disposition des élèves et de leurs parents…
C’est une réaction de professionnels qui se sentent déconsidérés. Il en va de même à chaque réforme imposée par le Politique. Si nous pouvons regretter que l’intérêt d’une réforme pour la formation des élèves n’est plus la première grille d’analyse d’enseignants qui subissent une succession de réformes – variable selon le niveau et la filière – une organisation syndicale doit tenir compte du ressenti et de l’analyse de ses affiliés puisqu’elle en défend les intérêts professionnels et moraux.