Mise au point !

Une fois de plus, la RTBF a manqué une bonne occasion d’une vraie « mise au point ». Par rapport à un sujet qui nous concerne au premier chef, nous voudrions faire œuvre utile, sur deux plans :
• la qualité de l’information et du débat ;
• les problèmes de fond soulevés par la question des inscriptions.

Pour ce faire, nous voudrions analyser ce débat sous deux aspects :
• la forme ;
• le fond.

1. Sur la forme

1.1. Il y aurait beaucoup de choses à dire sur le choix des invités, et leur représentativité.

Pour parler de ce que nous connaissons le mieux, il existe des organisations représentatives des directeurs de l’enseignement libre.
Le bureau de l’une d’entre elles, l’ADIBRA, constitué de personnes élues démocratiquement par leurs pairs, a écrit une lettre à tous les parlementaires : la presse s’en est fait l’écho (La Libre Belgique du 17 février 2007). Pourquoi ne pas inviter le signataire de cette lettre, ou l’un des membres du bureau qui l’a approuvée, plutôt qu’un directeur qui n’y fait pas référence, et qui ne représente pas l’école la plus sensible au problème des inscriptions, à notre sens.

Il y a aussi, au sein de l’ADIBRA, un bureau élu de directeurs d’écoles en discrimination positive. Ces derniers ont produit des documents de réflexion et d’action dont les thèmes sont au cœur des débats. Pourquoi doivent-ils rester sans voix ?

Selon une source digne de foi, la volonté du journaliste était d’avoir un directeur opposé à tout le décret, ce qui exclut toute nuance, et toute représentativité. Avant même de commencer, le débat est déjà volontairement biaisé, du simple fait des critères de choix des invités. Veut-on assurer le spectacle, ou garantir la qualité ?

1.2. Mais que dire alors des absents ?

Alors qu’il s’agit d’un débat qui traite de la mixité sociale, quelle belle représentation de non mixité sociale sur le plateau ! Où sont restés les représentants d’écoles en discrimination positive, d’écoles techniques et professionnelles, d’« écoles intermédiaires », qui se battent pour maintenir une mixité sociale présente ? Il y a des parents, des enseignants, des éducateurs, des agents PMS, des élèves, d’anciens élèves, des directeurs qui auraient pu témoigner de la qualité du travail qu s’y fait, et qui permet à de véritables ascenseurs sociaux d’agir. Ces personnes auraient aider le téléspectateur à mieux comprendre la face positive de ce qu’on appelle les «écoles de la relégation », ou les « écoles ghettos ». Le débat ne se serait pas limité aux « 5% d’élèves privilégiés » plusieurs fois mentionnés.

Par ailleurs, on l’a à peine évoqué dans le débat, l’école n’est pas toute seule. Certes, elle peut tenter de compenser les inégalités entre élèves, si on lui en donne les moyens. Mais elle a besoin pour se faire de partenaires solides.
• Où étaient les représentants de la politique de la ville, de la politique sociale, culturelle ?
• Où étaient les acteurs de terrain, qui oeuvrent déjà à côté de l’école, et y favorisent la mixité sociale et ses bienfaits sur le plan pédagogique ?

1.3. La façon de mener le débat comme un spectacle n’aide pas beaucoup le téléspectateur à comprendre les enjeux.

A de nombreuses reprises, la personne qui a la parole est interrompue dans un développement, par un autre intervenant, ou, pire, par l’animateur lui-même, soit pour émettre un avis personnel, soit pour glisser un courriel pas toujours à propos, et dont on ignore le critère de choix.

L’animateur nous semble confondre trois rôles très différents : informateur (il fournit à certains moments des données qui ont l’apparence d’objectivité, pour nourrir le débat), partisan (de par ses prises de position teintées de parti pris) et modérateur (il se souvient de temps en temps qu’il doit veiller à « mettre de l’ordre dans la classe »). Il est peu crédible lorsqu’il demande qu’on respecte la personne qui parle, quand lui-même vient de parler en même temps que deux interlocuteurs qui ne s’écoutent pas !

Comment, dans ces conditions, garantir un temps équitable de parole ? Comment aider l’intervenant qui a quelque chose de pertinent à dire, mais ne trouve pas la place ? Comment aider le téléspectateur à décoder les interventions partisanes, les informations partielles, et donc partiales, les propos qui tiennent de la langue de bois ?

Dans ce débat, l’animateur n’a pas réussi à garder un fil conducteur, à recentrer la discussion, à poser les questions pertinentes qui recadrent, donnent des perspectives, font comprendre les enjeux et percevoir les solutions alternatives…

2. Sur le fond

2.1. Nous aurions aimé trouver sur le plateau les interlocuteurs à même d’éclairer le téléspectateur sur quelques unes des questions suivantes :

Les directeurs de l’enseignement libre, avec d’autres, ont émis des objections de fond par rapport au décret inscriptions en lui-même, mais surtout par rapport aux contradictions entre ce décret et le futur décret sur le premier degré différencié : quelles sont ces contradictions, et pourquoi risquent-elles d’empêcher la mixité sociale qu’on veut favoriser ?

Ces mêmes directeurs reconnaissent la pertinence des grands objectifs du Contrat pour l’école, à savoir l’équité et l’efficacité ; ils affirment également pouvoir montrer qu’un certain nombre de moyens mis en œuvre dans la multitude de décrets peu coordonnés risquent fort d’accentuer la dualisation et l’inefficacité de l’enseignement qu’on prétend combattre. Quels sont les exemples issus du terrain qui permettent de donner du crédit à ces thèses ?

Il y a des excès, c’est évident. A plusieurs reprises, il a été question de « 5% de privilégiés », dont il faut combattre les privilèges. La législation doit-elle viser à contrer les mauvaises pratiques qui concernent une infime minorité, plutôt que de valoriser les bonnes pratiques, qui existent, et concernent bien plus d’élèves. Certaines mesures visant à empêcher les abus pénalisent bien plus les écoles qui pratiquent déjà la mixité sociale que celles qui font de la sélection, et n’auront pas trop de difficultés à contourner toute nouvelle législation. Ne faut-il pas rappeler qu’il existe déjà un arsenal important de mesures visant à réguler les inscriptions. Plutôt que de renforcer ces mesures, ne faudrait-il pas se demander pourquoi elles n’ont pas atteint les objectifs voulus, et constater ainsi que ce n’est pas en attaquant le problème sous cet angle uniquement qu’on trouvera des solutions efficaces ?

Le diagnostic posé sur notre enseignement, enquêtes PISA à l’appui, est négatif, et les décisions politiques visent à contrer des pratiques négatives. Ce constat n’est-il pas beaucoup trop simpliste ? Ne pourrait-on relever dans ces études les éléments positifs mis en évidence, et en faire les axes forts d’un politique ?

• Il y a des écoles et des élèves performants, y compris dans les filières techniques et professionnelles qui ne sont pas peuplées que de « relégués » : analyser comment les équipes pédagogiques amènent de nombreux élèves à retrouver confiance en eux, à se réconcilier avec l’école, n’est-ce pas plus passionnant et plus valorisant que d’ergoter sur un nombre moyen d’élèves par classe dans le secondaire qui ne veut rien dire quand on connaît la réalité du terrain et le mode de calcul très théorique qui mène à ce chiffre ?

• Il y a, dans l’enseignement libre en tout cas, de réels mécanismes de solidarité, dont on ne parle que très peu. Pourquoi ne pas tenter d’en mesurer les effets, et permettre de les valoriser, de les renforcer, pour accentuer encore les concertations qui sont réelles, et en faire davantage encore des outils au service de la mixité sociale ?

• Plutôt que de contrer la « course aux écoles d’élite », pourquoi ne pas tenter de rendre les autres écoles plus attractives, par des mesures spécifiques à l’enseignement, mais aussi par des mesures plus larges, qui relèvent de politiques urbaines, sociales, culturelles, sportives ?

2.2. La référence obsédante à la Finlande fait oublier un principe scientifique élémentaire : s’il y a corrélation entre deux faits, il n’y a pas pour autant automatiquement lien de cause à effet.

Certes, la Finlande se caractérise à la fois par un enseignement plus efficace et une mixité sociale plus grande qu’en Communauté française de Belgique.

Peut-on en conclure automatiquement que cet enseignement est plus efficace parce que la mixité sociale y est plus grande ? Pour répondre favorablement à cette question, tout scientifique dirait qu’il faut alors avoir la garantie que toutes les autres variables ont des paramètres identiques. Or, tout un chacun sait bien que la société finlandaise présente de nombreuses et fortes différences par rapport à ce que nous connaissons à Bruxelles et en Wallonie.

Qu’on arrête dès lors de culpabiliser nos enseignants, nos responsables de réseaux, nos prédécesseurs, en leur faisant croire qu’il suffit d’appliquer la recette finlandaise …pour devenir les champions au concours PISA !

3. Pour conclure

Il n’est jamais trop tard pour bien faire ! Mais il y a urgence au vu de la rafale des décrets qui nous arrivent ! Nous sommes donc demandeurs, d’urgence, de débats médiatiques et politiques qui garantissent, au-delà de l’efficacité et de l’équité, la qualité !