Radicalisme dès la maternelle

Les équipes pédagogiques sont mal à l’aise. Quel rôle doivent-elles tenir par rapport aux comportements des élèves ? Restent-elles dans l’éducation et l’enseignement ou doivent-elles ajouter le repérage des comportements radicaux à leur actif ?

En janvier 2016, un directeur d’école à la ville de Bruxelles a été suspendu de ses fonctions : il n’avait pas signalé assez vite qu’un de ses élèves, Bilal Hadfi, montrait des signes de radicalisation. Son élève, après des absences répétées, était parti en Syrie. Il se fera ensuite exploser près du stade de France, en novembre 2015. Bilal Hadfi était, paraît-il, sur une liste de huit-cents suspects, établie par l’organe de coordination pour l’analyse de la menace (Ocam). Personne à ma connaissance n’a été suspendu à l’Ocam. Il est tout à fait singulier qu’on prenne des mesures disciplinaires à l’encontre du directeur d’établissement.
Au lendemain de l’attaque de Charlie Hebdo, beaucoup d’élèves français ont été inquiétés pour avoir simplement affirmé qu’ils n’étaient pas Charlie ou pour avoir refusé de participer à une minute de silence. Ces minutes de silence sont parfois obligatoires et imposées par la hiérarchie. Dans une classe où se côtoient des élèves d’origines variées, dont certains ont connu la guerre et la mort, il est parfois déplacé de faire une minute de silence pour des victimes proches, sans avoir une pensée pour celles, tellement plus nombreuses, des attentats de Kaboul ou de Bagdad, par exemple. Personnellement, chaque fois qu’on m’y contraint j’ajoute pour toutes les victimes de violences et d’injustices à travers le monde.
Cette situation engendre dans le monde de l’enseignement un certain malaise : quel est le rôle d’une équipe pédagogique ? Dialoguer, enseigner, éduquer, mais aussi signaler aux autorités les comportements des élèves ? En tant qu’enseignants, nous ne recevons pas de consignes claires. Et pour cause. D’abord parce que nous ne sommes pas des enquêteurs de police, ensuite parce que beaucoup d’entre nous en seraient indignés. Par contre, les organismes de formation en cours de carrière ou le Conseil supérieur d’éducation aux médias multiplient les journées sur le thème radicalisme violent ou théories du complot destinées aux enseignants. Le message est sous-entendu : on va vous former à analyser les comportements des élèves.
Récemment, une école de Renaix, en Flandre orientale, s’est inquiétée de signes de radicalisation islamiste observés par des enseignants chez des enfants de classes maternelles. C’est du moins ce qui ressort d’un rapport interne à l’école, relayé par le journal Het Laatste Nieuws, au mois d’aout 2017.

Qu’est ce que cela signifie ?

Que les enseignants sont terriblement démunis et mal formés face aux comportements des enfants. Pourtant, les gestes ou les paroles violentes font partie du quotidien des écoles maternelles, depuis toujours. Le rôle des enseignants est de désamorcer les comportements de certaines petites brutes qui peuvent, dans l’heure, redevenir les meilleurs copains du monde. Des rapports inquiétants sont-ils systématiquement rédigés ?
Que les appréciations des écoles sur les enfants ne restent pas dans les établissements. Comment un rapport interne de maternelle se retrouve-t-il exposé dans les médias ? Des professeurs, un directeur avertissent-ils la police, un ou plusieurs journalistes ? Ou alors, serait-ce un parent qui a dévoilé l’affaire ? Mais, dans ce cas, aurait-on parlé de rapport interne ? Bref, il s’agit d’un gros problème dont on n’a pas eu trop d’écho dans la presse.
Que les parents des jeunes enfants ont intérêt à se méfier de l’école, dès la maternelle. En effet, pourrais-je encore faire confiance à ceux qui accueillent mon enfant s’ils sont capables de dire, à propos de gosses de cinq ans qu’ils sont en voie de radicalisation ? Au lieu de créer une ambiance inclusive et une réelle coopération avec les parents, c’est davantage la suspicion qui est mise en avant. Ce qui renforcera certainement le mal-être de certains parents.
Que les jeunes en âge de comprendre apprendront vite à éviter les débats. L’école, en leur collant des étiquettes, est capable de ruiner leur avenir. On a vu des jeunes se faire interpeler pour des propos qu’ils ont tenus et des questionnements qui étaient mal vus au sein des établissements. Les attitudes changent : beaucoup de jeunes ont appris à se taire poliment. Que pensent-ils et pourront-ils apprendre à penser par eux-mêmes de manière éclairée dans un tel contexte ?
Que les journalistes n’ont finalement pas grand-chose à se mettre sous la dent. Au lendemain de l’attaque de Barcelone, voulaient-ils étoffer leurs articles ? Ajouter une couche d’émotionnel ? Faire vendre des journaux de plus en plus délaissés ? Une chose est certaine, cette information ne fera pas la gloire de la profession.
Enfin, une dernière question se pose : comment aurait-on interprété les propos d’un radicalisé-nationaliste-flamand, ou d’un gosse qui aurait tenu des propos racistes contre les étrangers, ou qui citerait un passage du Nouveau Testament, ou qui se moquerait méchamment d’un camarade ? Y aurait-il eu aussi un rapport interne qui aurait fait les gros titres des journaux ?

Un article du même auteur sur le site de l’APED : https://lc.cx/GnsY