Les pays qui ont les meilleurs systèmes scolaires montrent que la pierre maitresse de l’édifice, c’est la qualité de ses enseignants.
Par enseignement de qualité, entendez : un enseignement qui réduit les inégalités scolaires tout en donnant une très bonne maitrise des savoirs à tous ses élèves.
Et par qualité des enseignants, entendez : la maitrise des savoirs enseignés, les capacités pédagogiques, dont celle de mettre en place des dispositifs qui permettent à tous les enfants d’apprendre dans des classes hétérogènes.
Le décret organisant la réforme de la formation initiale des enseignants vient d’être voté après quatre ans de discussions acharnées… Qu’est-ce qui bloquait et qui a été mis en exergue ? Le cout. Mais si on allonge le temps de formation et les exigences, c’est assez normal de les payer plus, non ?
La presse a peu parlé des nécessaires changements et renforcements qu’il va falloir apporter à la formation si on veut améliorer notre système scolaire. Pourtant, la formation pourrait être plus longue et couter plus cher sans pour autant apporter les améliorations escomptées.
Y a-t-il un lien entre la formation des enseignants et la pénurie d’enseignants actuelle ? Oui, dans un premier temps notamment puisqu’il faudra un an de plus pour diplômer la prochaine cohorte et non, sur le long terme.
Une année supplémentaire est confiée aux hautes écoles et aux universités, priées de s’entendre, de se partager la tâche et de codiplômer. Le principe est intéressant, car les deux systèmes ont chacun leurs points forts et leurs angles morts. Mais codiplomation ne veut pas dire coformation ni coconstruction des programmes, alors que cela aurait assuré le riche tricotage des deux systèmes.
Ce sera donc quatre années d’études pour enseigner dans le futur tronc commun[1]Avec les élèves qui ont entre trois et quinze ans (plus une s’ils le décident) et, à terme (quand ?), cinq années d’études pour tous les futurs enseignants avec un master enseignement[2]Et non plus un master + un an d’agrégation qui permet d’enseigner, mais avec une formation pédagogique très faible.
On assouplit les transitions : les enseignants seront formés pour enseigner au-delà et en deçà de leur cycle, ce qui devrait aider à répondre à la pénurie. On renforce la formation générale des enseignants, dont celle en sciences humaines[3]Mais que va-t-elle contenir ?, et on augmente le niveau d’exigence par rapport à leurs compétences.
Un bémol important : donner aux enseignants les moyens d’atteindre les objectifs de réduction des inégalités fixés par le Pacte nécessite de les amener à comprendre les facteurs sociologiques et pédagogiques qui favorisent la reproduction des inégalités sociales par l’école[4]Ségrégation socioscolaire, domination symbolique, rapports au savoir et langue de scolarisation qui devraient donc faire partie de la formation commune en sciences humaines. Il faut qu’ils aient la volonté et la capacité de faire de l’établissement scolaire et de la classe un espace démocratique où chacun est respecté. Avoir la volonté et la capacité à désamorcer les situations de domination symbolique et œuvrer à l’émancipation de tous.
L’attention à ces aspects-là n’apparait pas explicitement dans le décret.
Cette pénurie est très pénible pour les directions d’écoles, pour les élèves et leurs familles, et encore une fois préjudiciable aux enfants de milieux populaires. Mais de quoi est-elle le symptôme ? D’un système scolaire qui va mal. D’un métier pour lequel la société a peu d’égards et qui ne suscite plus beaucoup de vocations ? Les jeunes favorisés ayant un bon bagage scolaire désertent, les jeunes moins favorisés, eux-mêmes victimes du système, et sortant essentiellement de TQ affluent avec un bagage faible…
D’un métier qui, tant qu’il est pratiqué de façon solitaire, laisse chaque prof dans sa toute-puissance ou dans son impuissance face à sa classe.
D’un métier qui est coincé dans une injonction paradoxale — sélectionner et faire apprendre tous[5]Lire « Sois poli(tique) et tais-toi », TRACeS de ChanGements 238. — qui contribue à la rupture de confiance entre les jeunes et les enseignants et qui rend le métier difficile.
Une réforme ambitieuse de la formation initiale est couteuse. Mais si elle rencontre les attentes et qu’elle tient ses promesses, elle devrait diplômer des enseignants plus conscientisés et mieux formés pour relever les défis actuels. Et donc moins susceptibles de quitter le métier s’ils sont mieux accueillis, soutenus dans leur entrée dans le métier et qu’on ne leur refile pas les classes les plus difficiles, ce qui est fréquent[6]Une étude du GIRSEF (2013) montre que 35 % des enseignants quittent endéans les cinq premières années de carrière et plus de la moitié quitte la profession dans le courant de la première … Continue reading.
Et s’ils recevaient à nouveau des marques d’estime sociale, ça renforcerait certainement le désir d’enseigner. Il y a besoin de fierté pour apprendre et pour enseigner ! Ça ne fait aucun doute, mais c’est tout autre chose.
Et c’est aussi probablement la seule voie qui peut redonner du crédit au politique et à la démocratie.
Notes de bas de page
↑1 | Avec les élèves qui ont entre trois et quinze ans |
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↑2 | Et non plus un master + un an d’agrégation qui permet d’enseigner, mais avec une formation pédagogique très faible |
↑3 | Mais que va-t-elle contenir ? |
↑4 | Ségrégation socioscolaire, domination symbolique, rapports au savoir et langue de scolarisation qui devraient donc faire partie de la formation commune en sciences humaines |
↑5 | Lire « Sois poli(tique) et tais-toi », TRACeS de ChanGements 238. |
↑6 | Une étude du GIRSEF (2013) montre que 35 % des enseignants quittent endéans les cinq premières années de carrière et plus de la moitié quitte la profession dans le courant de la première année d’exercice ou au terme de celle-ci. |