Souvent, au lieu de partager l’enthousiasme
de mes étudiants (futurs enseignants en
classes maternelles), tout contents de proposer
des activités dans la rubrique citoyenneté
environnementale de leur plan de stage, je dois
leur dire, avec diplomatie, que les objectifs qu’ils
annoncent ne sont pas travaillés par l’activité
proposée…
Ou qu’ils passent à côté de l’objectif principal,
et même parfois, que l’activité risque
d’engendrer le comportement inverse à
celui désiré. Il est difficile de contredire
ces activités jugées « pédagogiquement
correctes » puisque les concepteurs ou animateurs ont
l’impression d’avoir fait ce qu’il fallait.
[1]A. Versailles, Les
écogestes, une stratégie d’évitement des questions fondamentales, 2009. http://
ick.li/KyOrgL
Comme exemple d’activité rencontrée, il y a le tri des
déchets. Ainsi, à partir de l’histoire des « Tritoubiens » [2]Animation et
histoire conçue par
Intradel., les élèves sont invités, par les extraterrestres de la planète
Trietou, à installer plusieurs poubelles dans les
classes et placer les déchets dans la bonne poubelle. Les
enfants apprennent à exécuter les gestes et à reconnaitre
les matières : verre, plastique, papier… Dans une autre
classe, c’est l’économie de l’électricité (ou de l’eau) qui
est ciblée. Les enfants ont réalisé une affiche pour rappeler
d’éteindre la lumière quand on quitte le local ou de
fermer le robinet, de mettre de l’eau dans un bassin pour
laver les pinceaux plutôt que de la faire couler. Mes étudiants
disent, à partir de leurs toutes neuves convictions
en matière d’éducation à l’environnement, que les petits
ruisseaux font les grandes rivières. Ils disent aux enfants
que ces petits gestes changeront le monde. Et hop, éducation
citoyenne et éducation à l’environnement, c’est fait !
Pour moi, ces activités sont de l’éducation civique,
au même titre qu’apprendre à saluer quand je rencontre
quelqu’un… Il s’agit d’apprendre des règles établies qui se
basent sur des principes de vie en société : politesse, nongaspillage,
etc. Je n’empêche pas mes étudiants de réaliser
ces activités. Tout au plus, je leur propose de les enrichir
avec des objectifs liés aux apprentissages en éveil :
faire du papier avec du papier pour comprendre la notion
de recyclage, faire dégrader des produits organiques et
d’autres pour différencier ce qui se décompose naturellement
ou pas, découvrir les objets qui fonctionnent à
l’électricité et ceux qui utilisent d’autres sources…
Mais surtout, je leur montre que pour qualifier cela
d’éducation à la citoyenneté responsable, l’ambition
doit être plus élevée, que plutôt qu’une application de
règles on peut aussi tenter l’implication.
Cette maxime de Victor Hugo3 qualifie bien ce qui
différencie l’éducation à la citoyenneté responsable
en matière d’environnement de la simple éducation
civique. Pour « dépasser le cadre rassurant de l’écogeste
prosaïque pour s’aventurer sur le chemin plus flou et plus
poétique des hommes et des femmes qui repensent ce qui
fonde leur bienvivre. Car « brandir le ‘sauvez la planète’
pour m’inciter à couvrir mes casseroles (ou éteindre les
lumières, etc.), revient à transformer un problème politique
en problème moral… Les écogestes font croire que la
solution est, et sera, matérialiste ». Au-delà de ce type
d’action, qui ne vise qu’un premier niveau de changement,
il faudrait viser les changements qui modifient le
fonctionnement et les règles du jeu du système. Ceux-là
naissent d’une élévation de notre niveau de conscience.
Dire qu’il faut un petit geste pour résoudre le gros
problème de l’énergie ou de la pollution est un peu naïf ;
le faire croire aux enfants est une imposture dont ils ne
sont pas dupes longtemps. Ce type de message est complètement
contreproductif ; il créera vite un sentiment
d’impuissance et de découragement. L’action consciente,
quant à elle, est liée à la responsabilité. « Agir pour l’environnement
exige dans un premier temps de se réapproprier
sa part de responsabilité et d’en délimiter clairement
les contours, pour la ramener à taille humaine, accessible
et donc maitrisable. Car la responsabilité est simplement
le fait d’avoir à répondre de ses actes, du pouvoir que l’on
détient, des charges que l’on doit assumer, en tant que parent,
professionnel, politique, chef d’entreprise, etc. Notre
‘part de responsabilité’ est donc proportionnelle à notre
pouvoir d’action. » [3]La Lettre, Nature
Humaine, N° 01,
2008. http://ick.li/
AWG4e9
Donc, on garde l’idée de faire des gouttes, mais pas
n’importe lesquelles et on n’envisage pas de faire l’océan.
Pour amener les acteurs au rang d’une action consciente,
les activités sur les déchets ou sur l’eau peuvent prendre
une tout autre tournure. Et en deçà de l’ambition de sauver
la planète, il s’agit d’imaginer ensemble des moyens
pour répondre à des situations du milieu de vie proche,
dans ce cas-ci, la classe. Dans l’éducation à la citoyenneté
responsable, on peut envisager la « responsabilité »
comme la capacité à créer des « réponses habiles » ou
mieux, l’habilité à apporter des réponses.
Je propose donc à mes étudiants, au-delà de l’apprentissage du tri, d’associer les enfants à la recherche de solutions aux situations vécues dans le milieu
proche. Par exemple, partir de : « Notre classe produit
chaque jour trop de déchets non recyclés. » Après observation
de la poubelle, c’est la collation qui est pointée :
il y a plein de berlingots, il reste même du jus dedans, il
y a des bouteilles en plastique et des emballages de biscuits,
des collations non entamées sont jetées….
On se pose ensuite la question des causes qui
amènent cette situation. Il y a trop d’emballages autour
des biscuits ; seulement trois enfants utilisent des
gourdes ; dans la boite à tartines, le biscuit se mélange
au jambon s’il n’est pas dans un emballage séparé ; je
n’ai pas faim à 10 heures ; j’aime bien les pommes, mais
il faut les éplucher ; on ne sait pas ce qui est mieux : le
verre ou le tetrapak ?
On peut remonter aux causes des causes : on n’utilise
pas les gourdes parce qu’elles coulent, les enfants
ne savent pas toujours les fermer de manière étanche,
c’est plus facile pour les mamans les collations toutes
prêtes, on ne connait pas de collation non emballée, etc.
On entoure ensuite sur le panneau réalisé les points sur
lesquels les enfants peuvent agir, on délimite avec eux
le champ de responsabilité et on envisage des activités
d’apprentissage et des actions uniquement en lien avec
ces cases-là.
Commence alors une activité très créative de recherche
de solutions à notre échelle : apprendre à visser
des gourdes, comprendre que le tetrapak n’est recyclable
qu’une fois, contrairement au verre, acheter une
bouteille de jus pour tous et décorer son propre verre
réutilisable, boire l’eau du robinet, lever l’obligation de
manger à la collation si on n’a pas faim, se procurer un
épluche-pomme mécanique, essayer une collation sans
déchet une fois par semaine… L’activité ponctuelle
sur les déchets devient un projet de classe. Au-delà
du recyclage, qui n’est qu’une partie de la solution, on
s’intéresse aux causes du problème : nos habitudes de
consommation. C’est plus sensible évidemment !
Les enseignants et futurs enseignants de maternelles
proposent aussi des activités de sensibilisation
aux problèmes planétaires. Et les voilà partis d’une manière
ou d’une autre, dans des histoires semi-fictives ou
dans des explications simplifiées, à parler du réchauffement
climatique, des abeilles qui disparaissent, de
l’énergie qu’il n’y a plus… Leur idée est que plus on
sensibilise jeune et mieux ça ira. Dans ces activités qui
considèrent l’environnement d’emblée comme un problème,
c’est le moyen de sensibiliser qui pose problème.
Lors des journées des assises de l’Éducation relative
à l’Environnement (ErE) en octobre 2013 [4]Assises de l’éducation
relative à l’Environnement et au Développement Durable,
L’environnement à l’école, c’est l’affaire de tous — Pratiques des
associations dans leur relation … Continue reading, les participants
du secteur associatif ont été invités à identifier
les différents facteurs qui, au cours de leur existence,
ont forgé leur identité d’actrices et acteurs de l’ErE et
d’en préciser l’élément déclencheur. On remarqua de
grandes constantes d’un groupe à l’autre, en particulier
la place prépondérante de l’éducation informelle (via
la famille, les activités dans la nature). C’est l’ancrage
personnel dans la nature qui a été exprimé comme un
élément fondateur majeur.
Pour ma part, c’est la rencontre des tritons de la mare
derrière chez moi, plus exactement les reflets bleu nuit
de la crête et le contraste avec cet orange “flash” de
l’abdomen chez le triton crêté en période nuptiale qui
ont été à la base de mon intérêt, dès l’enfance, pour la
nature. L’impact fut d’abord esthétique. Il faut bien sûr,
en sus, un milieu aidant : à 8 ans, je pouvais aller pêcher
les tritons dans l’étang, les garder quelques jours pour
observation, installer terrarium et aquarium dans ma
chambre.
La conscience environnementale a suivi naturellement
plus tard. Comme nous l’expliquent les psychologues,
l’esprit humain déteste les dissonances cognitives.
C’est-à-dire la non-conformité entre fond (les
valeurs) et forme (les actes). On peut miser sur la tendance
aux comportements à se conformer aux raisons
internes.
Pourquoi travaille-t-on alors à l’envers dans les
classes ? Et si on arrêtait de culpabiliser
ces enfants avec l’état de la
planète ?
Je propose donc aux futurs enseignants,
des idées d’activité pour
susciter cette rencontre inédite,
esthétique avec le milieu naturel. Et
plutôt que d’inquiéter à propos de
la disparition de la baleine, de sortir observer les grenouilles.
En conclusion, pour les maternelles, dans les 17
compétences proposées récemment par l’inspection
concernant la citoyenneté environnementale à l’école,
je me focaliserai, par ordre d’importance, sur les quatre
suivantes:
– Percevoir l’environnement de façon sensorielle et
émotionnelle ;
– Construire une relation avec son environnement
naturel et se percevoir comme élément de celui-ci ;
– Travailler en équipes sur des problèmes environnementaux
concrets ;
– Développer et mettre en oeuvre des projets environnementaux
en faisant appel à sa créativité.
Notes de bas de page
↑1 | A. Versailles, Les écogestes, une stratégie d’évitement des questions fondamentales, 2009. http:// ick.li/KyOrgL |
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↑2 | Animation et histoire conçue par Intradel. |
↑3 | La Lettre, Nature Humaine, N° 01, 2008. http://ick.li/ AWG4e9 |
↑4 | Assises de l’éducation relative à l’Environnement et au Développement Durable, L’environnement à l’école, c’est l’affaire de tous — Pratiques des associations dans leur relation avec l’école voir Traces du jeudi 24/10/2013 sur http://assises-ere. be/4jours/traces/ |