L’enfant auteur dans une classe FREINET

La pédagogie FREINET, si elle porte le nom de l’instituteur qui l’insuffla, continue chaque jour à s’enrichir par l’apport du travail de chaque enseignant engagé dans celle-ci.
Les fondements perdurent et il est important de rester en cohérence avec ceux-ci. Chacun peut enrichir ses pratiques en les confrontant au groupe au sein du mouvement Freinet. Il en est de même dans les classes.

Pour cela, nous mettons le plus souvent possible les enfants en position d’auteurs, de chercheurs afin de favoriser une construction coopérative des savoirs. Le groupe par ses questions et son regard critique permettra l’évolution commune.
Ce n’est pas seulement lors de quelques moments ciblés durant la semaine, comme les conseils de classe ou d’école, que l’enfant aura l’occasion d’être créateur et de développer son esprit critique et sa faculté à faire des liens, mais aussi au travers des activités de tous les jours telles que le texte libre, les recherches, les mathématiques… Il y a des allers-retours réguliers entre son avancement personnel et celui du groupe.
C’est un aspect de ces activités que j’ai choisi de vous relater.

Création mathématique en classe FREINET

Comme les enfants écrivent un texte libre, ils proposent une création mathématique au groupe. Celle-ci est faite sur une feuille blanche. Les enfants peuvent utiliser des points, des droites, des figures, des chiffres, des nombres… Ils travaillent au crayon et parfois peuvent utiliser des outils complémentaires (lattes, compas…). Le temps de la création proprement dite est de quelques minutes, c’est un premier jet, un objet de travail.
Les quelques créations qui seront travaillées collectivement lors d’une séance sont reproduites au tableau par leur auteur. Celui-ci distribue la parole et n’intervient pas dans un premier temps.
Dans ma classe, les enfants sont déjà habitués à ce type de démarche, ils savent que le regard sera spécifiquement mathématique. Ils sont donc dans un cadre connu et sécurisant. La parole de chacun a sa place, toute proposition est analysée par le groupe. Mon rôle est de demander aux enfants de vérifier, de justifier ce qu’ils avancent, d’effectuer ce qu’ils proposent, de veiller à ce qu’ils poursuivent leur raisonnement jusqu’au bout. Il s’agit que chacun soit entendu tout en assurant un certain rythme.
Ils peuvent utiliser tous les outils et des ouvrages de référence sont à leur disposition.
Les notions et les termes rencontrés lors de ces séances y reviendront régulièrement et seront remis en lumière par d’autres créations, petit à petit ils s’affineront et se fixeront au rythme nécessaire à chacun.
Voici un extrait de ce travail issu d’une première séance en quatrième primaire :
Création de Vincent : Illustrations des créations mathématiques
Les enfants relèvent l’utilisation des chiffres romains, reconnaissent la forme du rapporteur.
Vincent nous dit avec une pointe d’humour : « C’est un rapporteur romain »
Je leur demande s’ils pensent que les rapporteurs existaient à cette époque. Leur impression est plutôt négative.
Je note alors sur un panneau qu’une recherche documentaire pourrait être faite à ce propos.
Celle-ci sera faite par l’enfant lors d’une période de travail individuel.
Vincent nous révèle qu’il avait voulu dessiner un cadran solaire, mais qu’il n’avait pas assez de place pour aller jusqu’à 12. Nous irons vérifier sur le cadran solaire de l’école.
Ce travail assez court ouvre des pistes avec d’autres domaines que les mathématiques.
Création de Florence :
Une ressemblance avec l’Atomium dont les boules seraient carrées est proposée, mais Karim fait remarquer qu’il y a plus de carrés que de boules : 3X4 ou 4X3 donc 12 carrés.
Un autre enfant y retrouve des chiffres romains. 6 X = 60 et 8 I = 68 on peut aussi compter les barres horizontales comme des I romains. On obtient alors 77
Clément attire l’attention du groupe sur le fait que dans la classe nous représentons souvent 100 par un carré. En suivant son idée, nous parvenons à un total de 1277.
Chiffres romains, codage, table de multiplication, multiplication par 100, calcul mental : voilà les notions de mathématique revisitées grâce à cette création, mais les enfants ont surtout fait des liens entre leurs diverses connaissances et entre les différentes matières : histoire, mesure du temps, connaissance du patrimoine architectural et bien sûr, mathématiques.
Ces moments permettent à chaque enfant de revenir sur ce qui est utile pour lui, de construire ses savoirs à son rythme. Ils permettent à la classe de se créer un bagage mathématique commun.
Les traces de nos découvertes sont affichées un temps en classe puis rejoignent un classeur A3 consultable en permanence. Le patrimoine mathématique de la classe, visible, s’enrichit sans cesse.
Les questions restées en suspens, les pistes dégagées pourront être ensuite retravaillées par l’un ou l’autre sous forme de recherche individuelle ou reprises par tout le groupe.

De la création vers la recherche individuelle :

Un exemple à partir de la création de Stella :
Celle-ci nous propose les opérations suivantes sous forme de calculs écrits : 394 + 867 /394 – 867 /251 x 18
L’addition est faite par chaque enfant dans son cahier de travail ce qui pousse chacun à être actif.
La soustraction est observée et plusieurs enfants la trouvent impossible sauf si l’on va dans les nombres négatifs, remarque Naomi. Cela est expliqué à Stella.
Je propose aux enfants de s’attaquer à la multiplication le lendemain.
Ici, nous sommes en début d’année, c’est l’occasion de lancer les recherches mathématiques, de manière collective pour commencer.
« Comment résoudre la multiplication suivante ? »
Chaque enfant se met en recherche. Les techniques sont variées. Deux enfants vont chercher du matériel (des allumettes groupées par 1, 10, 100 pour l’un et des cartons illustrés d’unités, de dizaines et de centaines, pour l’autre), quelques enfants dessinent, d’autres additionnent, certains se trompent complètement, ils tâtonnent tous, ils sont en recherche.

De l’individuel vers le collectif

À la séance suivante, chaque technique est proposée au groupe, décortiquée, expliquée… Illustrations de la mise en commun
Une erreur fréquemment commise consiste à reproduire le principe bien compris pour l’addition et la soustraction, mais inadéquat dans ce cas-ci. Quelques enfants ont multiplié dizaines par dizaines et unités par unités.
Il est important que les enfants comprennent pourquoi il faut multiplier le multiplicande en entier par les unités puis par les dizaines du multiplicateur.
J’ai choisi de faire présenter en premier les techniques les plus longues, mais aussi les plus visuelles afin que chacun puisse comprendre ses éventuelles erreurs.
Toutes ces découvertes deviendront le patrimoine du groupe et seront gardées en mémoire avec le nom de leur auteur.
Il n’y a pas de technique inappropriée si le résultat est correct, mais en faisant varier les paramètres, l’enfant va vite constater que sa technique n’est pas économique, que c’est trop compliqué, que ce n’est pas applicable, quel que soit le nombre.
Ces questions, je les pose aux enfants après les créations, cela devient une habitude de chercher le chemin le plus court, de vérifier si cela fonctionne dans d’autres cas…
C’est cela une attitude scientifique.

Retour à l’individuel

Les enfants poursuivront la recherche en testant la technique la plus économique, mais seulement s’ils parviennent à la comprendre, à se l’approprier. L’auteur pourra aider les autres à maitriser à leur tour cette technique.
La semaine suivante, tous voulaient retravailler la technique de Stella, ils avaient envie d’y parvenir comme elle. Le problème a été posé par l’une d’entre eux, ils ont été en recherche et veulent s’approprier la technique. Ce n’est pas un savoir-faire qui leur est proposé de l’extérieur.
Si un enfant ne comprend pas, cela ne sert de toute façon à rien de persévérer dans ce sens. Cet enfant doit continuer à manipuler, à utiliser le dessin, le matériel ou à additionner.
Cela l’aidera à comprendre de lui-même le mécanisme et il pourra se lancer à la suite des autres.
Travailler de cette manière permet à l’enfant de lier les nouvelles découvertes aux acquis antérieurs et de développer ainsi sa faculté à faire des liens, de comprendre en profondeur, de prendre le temps nécessaire à l’intégration, de faire et refaire si nécessaire.
C’est ainsi qu’en s’exerçant à tâtonner et à inventer, en osant présenter ses essais, en acceptant qu’ils soient critiqués, en découvrant des savoirs et des savoir-faire à l’aide de la coopération, en apprenant à faire des liens, à choisir entre plusieurs propositions… l’enfant devient auteur de ses apprentissages.

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