Quels profs pour demain ? Le débat sur le coût et la durée de la formation initiale des futurs enseignants a fait couler beaucoup d’encre. Il éclipse largement la question de fond : pourquoi de “nouveaux” profs pour demain ?
Suffit-il d’allonger la formation initiale pour répondre à cette question ? Non, bien sûr, comme le détaille la remarquable évaluation des formations initiales réalisées par les chercheurs des Facultés Saint-Louis. Ce travail fouillé démontre à quel point une réforme de fond s’impose pour prendre en compte les nouveaux profils des étudiants, les faiblesses de la formation des formateurs, la surcharge de travaux, le rôle des maîtres de stages, la nécessité d’articuler formations initiale et continuée, etc.
Mais avant toute chose : l’urgence de redéfinir le métier d’enseignant. C’est quoi enseigner aujourd’hui ? La réponse des chercheurs ne laissera pas indifférent : “Le métier s’est considérablement transformé, l’enseignant devant jouer une diversité de rôles : il est transmetteur de savoirs, psychologue, assistant social, éducateur, médiateur. C’est l’image de l’enseignant aux multiples casquettes. Enseigner consiste à jongler avec ces casquettes dans la classe, dans la salle des profs, dans l’école, dans les réunions de parents, dans la vie en société. Pour exercer ces différents rôles, être en capacité de passer à toute vitesse de l’un à l’autre, l’enseignant doit maîtriser un large éventail de connaissances, des plus générales aux plus spécialisées.” Certains refusent encore cet élargissement considérable des rôles. On peut le regretter, mais on n’y changera rien.
La société a bien changé et elle demande de plus en plus à l’école et aux enseignants. Le métier est donc devenu bien plus complexe et difficile qu’il y a 20 ou 30 ans. Il s’agit bien sûr d’instruire, mais tout autant d’élever (au sens fort), d’aider à grandir des enfants et des adolescents qui sont plongés dans une société où le consumérisme et le culte des fausses idoles font la loi, où l’ascenseur social est en panne, où la perspective du lendemain pèse plus qu’elle ne motive, où les sources de savoirs “hors écoles” sont multiples, où l’autorité des adultes (parents et maîtres) s’est profondément modifiée, et où décrocher un diplôme est plus que jamais nécessaire pour trouver un job.
Ajoutez-y un défi supplémentaire et de taille qui concerne particulièrement notre pays. “C’est en Belgique, en France et en Autriche que les inégalités entre les enfants sont les plus profondes”, souligne l’Unicef. Et de poursuivre : “Certains pays riches laissent le fossé se creuser Le fait que certains pays s’en sortent mieux que d’autres révèle clairement que l’on peut briser ces inégalités Les inégalités observées ne résultent pas de différences dans la répartition des aptitudes naturelles, mais bien de l’application de politiques qui ont permis au fil du temps de réduire l’écart vis-à-vis d’élèves défavorisés.” Un avis très sévère qui n’émane pas d’un think tank de gauche ! C’est aussi à relever ce défi de taille que les “nouveaux” profs doivent être sensibilisés, préparés et outillés.
Dans ce contexte, le métier d’enseignant est plus que jamais un métier à très haute responsabilité. Aider tous les jeunes à trouver du sens, les outiller pour qu’ils deviennent acteurs d’un monde plus équitable, tout en savourant le plaisir des découvertes et des apprentissages. Et encore : être en permanence attentif à chaque élève, tout en veillant à développer le goût du travail en équipe et la qualité d’un vivre ensemble solidaire et coopératif. On attend tout cela de personnes qui choisissent un métier aujourd’hui déconsidéré. On dit pudiquement depuis des années qu’il faut le “revaloriser”. Mais qu’est-ce qu’on fait pour attirer les meilleurs jeunes d’une génération vers les études qui mènent à l’enseignement ? Qu’on pense, par exemple, au choix de devenir instituteur/trice maternelle, métier décisif pour assurer l’accrochage scolaire des enfants et des familles. Qui considère que ce métier exige une très haute qualification et beaucoup de considération ? Qui souhaite que son fils ou sa fille en fasse son premier choix ? Osons l’écrire : il y a certes un problème de formation, mais aussi de recrutement lié à la considération. Sans parler de la pénibilité du métier là où il demande le plus d’imagination, de disponibilité et de temps quand enfants et parents sont très éloignés de la culture de l’école. Alors, réduire ce dossier crucial pour l’avenir de nos enfants et de notre société à des questions de durée et de coût de la formation, c’est pitoyable.
Chronique de Jacques Lisenborghs parue sur le site Lalibre.be 13/06/13