Mettre en place le dispositif « remédiation consolidation dépassement » (RCD) est un véritable casse-tête pour nombre d’enseignants. Voici une proposition basée sur des résultats des recherches.
Selon quels principes faire les groupes ? En considérant plutôt les élèves ? (Niveaux ? Besoins ? Conceptions erronées ? Rapports au savoir ? Comportements ? Etc.) ; en considérant plutôt les savoirs enseignés et les difficultés inhérentes ? Avec quelles visées faut-il le faire ? Faire réussir/Faire apprendre ? Gérer le groupe ou les groupes dans la classe/Gérer les apprentissages ? Pour quel type d’apprentissage ? De haut niveau cognitif (compétences, savoirs à comprendre) ? De bas niveau, dont la maitrise est cependant indispensable, (procédures et connaissances factuelles) ? Il n’est pas certain qu’il y ait, à ces questions, une réponse qui fasse l’unanimité. Cependant quelques résultats issus de recherches peuvent être pris en compte.
D’abord, l’idée de remédiation pousse souvent les enseignants à prendre ensemble, à l’écart du reste de la classe, les élèves pour lesquelles cette remédiation paraît nécessaire. Autrement dit, la tentation est forte d’organiser des groupes de niveaux.
« Les élèves, sauf exceptions, ne se montrent pas compétents, au sens de faire face à la complexité inédite. »
Or, les pratiques de compensation basées, par définition, sur l’idée d’une nature ou d’une situation défaillante des élèves concernés n’ont jamais donné les résultats escomptés. Des observations fines montrent que, lorsque les professeurs sont face à des groupes restreints d’élèves homogènes faibles comme pourraient l’être les groupes de remédiation, ils tendent à individualiser la situation d’apprentissage et à mobiliser l’élève sur des procédures propices à la réussite immédiate plutôt qu’à l’apprentissage de savoirs consistants qui permettraient à l’élève de rejoindre le niveau du reste de la classe. « L’exposition fréquente et répétée des élèves à ces formes d’aide […] pourrait accentuer l’écart entre eux[1]Toullec-Théry & Marlot, « Les déterminants du phénomène de différenciation didactique passive dans les pratiques d’aide ordinaire à l’école élémentaire », Revue française de … Continue reading. »
Il semble donc primordial de ne pas penser et agir ni en termes de niveau ni en termes de compensation ou de remédiation.
On sait qu’il faut s’interdire de penser en termes de manques des élèves, ainsi qu’en termes de niveaux et de groupe du même nom, mais plutôt en termes de développement des apprentissages. S’il est un besoin partagé par quasiment tous les élèves, c’est celui d’apprendre à faire face à une tâche inédite et complexe, autrement dit à devenir compétents.
En 1997, le « décret Missions » instaurait, pour l’école obligatoire, l’apprentissage de compétences regroupées dans des socles, avec une quasi-obligation de résultat, puisque 80 % des élèves devaient atteindre les compétences des socles. En 2001, une campagne de passation d’évaluations de compétences auprès d’un grand nombre d’élèves, dont 187 élèves de 6e primaire, montrait que si la maitrise de connaissances à mémoriser et de procédures est indispensable pour être compétent, elle n’est en revanche pas suffisante. Elle montrait également que si l’école réussit à faire apprendre connaissances et procédures, elle peine à amener les élèves à recourir à ces mêmes outils intellectuels quand ils sont face à une tâche inédite et complexe. Bref, si les élèves maitrisent procédures et connaissances, ils ne savent en revanche pas vraiment quand et comment s’en servir[2]Rey et al, Les compétences à l’école. Apprentissage et évaluation, De Boeck, 2012.. Les résultats de ces évaluations n’étaient pas surprenants, puisque l’approche par compétences (APC) venait d’être instituée dans l’école : les enseignants, leur formation, l’école, n’avaient pas encore eu temps et ressources nécessaires pour commuer leurs pratiques en vue d’une approche par compétences. Une quinzaine d’années plus tard, en 2017, la passation de la même épreuve d’évaluation de compétences auprès d’élèves de 6e primaire [n=337] donnait des résultats similaires à ceux de 2001[3]Verlinden, « Enseigner et évaluer des compétences : représentations et pratiques déclarées des enseignants de 6e année primaire ; performances des élèves quinze ans après », … Continue reading. Il n’est donc vraiment pas certain que l’école n’ait jamais répondu aux demandes, recommandations ou injonctions du décret mission en ce qui concerne l’approche par compétences.
Nous pouvons nous alarmer de ce constat, mais nous pouvons également considérer le RCD comme un dispositif idoine pour travailler la question des compétences, à condition d’y faire penser les élèves à partir de tâches inédites et complexes nécessitant, pour être résolues, le recours à des connaissances et procédures étudiées en classe auparavant.
Les analyses des observations et des travaux d’élèves confrontés à des tâches inédites et complexes montrent des obstacles à différents stades de la démarche :
certains élèves ne parviennent pas à interpréter la situation portée par la tâche, d’autres l’interprètent de façon inappropriée. La confrontation à des tâches inédites et complexes constitue un bon révélateur du malentendu dans lequel sont nombre d’élèves vis-à-vis de l’école et ses attendus ;
d’autres élèves, parfois les mêmes, ne savent pas organiser les nombreuses informations de la tâche ;
d’autres encore, ne parviennent pas à mobiliser et combiner les outils (procédures et connaissances) qu’ils connaissent pourtant, par ailleurs. Enfin d’autres élèves ne connaissent pas ou très mal ces outils scolaires.
Par définition, les élèves ne peuvent pas repérer seuls le malentendu dans lequel ils sont englués. Il faut qu’interviennent des signes extérieurs : parfois résistance de la matière, conflit sociocognitif, étayage d’un pair ou de l’enseignant. Mais pour comprendre dans quoi sont pris les élèves, il faut s’en donner les moyens : observer, interagir, comprendre.
En synthèse de tout ce qui vient d’être dit précédemment, à l’heure actuelle, les élèves ont en commun, sauf rares exceptions, de ne pas se montrer compétents, au sens de faire face à la complexité inédite. Par conséquent, il apparait qu’une des meilleures fonctions que nous pourrions donner au RCD serait de les faire travailler sur cela. De surcroit, cela permettrait d’échapper à toute logique de niveau puisque des élèves considérés ordinairement comme très bons sont souvent aussi démunis que des élèves considérés comme moins bons dans ce type de situation.
Il ne suffit pas de mettre les élèves en petits groupes hétérogènes face à une tâche inédite et complexe, il faut encore que l’enseignant se donne la possibilité d’être complètement disponible, avec les élèves, à côté d’eux pour les écouter, les faire réagir, les soutenir sans faire à la place, maintenir dans la réflexion et l’activité. Comment l’enseignant peut-il entièrement consacrer 30 à 50 minutes de son temps et de son énergie à quelques élèves ? Ne risque-t-il pas de négliger le reste de la classe ? Ne risque-t-il pas d’être en permanence sollicité par les autres élèves ?
Le dispositif « Table d’appui[4]Battut & Bensimhon, Comment différencier la pédagogie ?, Retz, 2006. » en parallèle à une organisation de classe particulière paraît être opportun. La table d’appui, qui pourrait être nommée dans ce cas de figure « Table de compétences » est un espace de la classe matérialisé par une table où l’enseignant reçoit des élèves avec lesquels il va travailler en toute disponibilité et sans position descendante. Il est là pour eux et avec eux, les écouter, les regarder, faire avec eux, comprendre la tâche. Pendant ce temps, le reste de la classe travaille sans recourir à l’enseignant, mais tous les élèves savent qu’ils passeront à la table de compétences. Selon les possibilités de l’enseignant (différentes en primaire et en secondaire) et les besoins de la classe, la fréquence du recours à la table de compétences pourra être très différente (d’hebdomadaire à biquotidienne, ou trois jours par mois…). Les élèves peuvent être choisis aléatoirement, par tirage au sort, par exemple.
Observer les élèves face à une tâche complexe et inédite permet différents repérages :
Au niveau de l’interprétation de la tâche : l’élève pense-t-il qu’il faut accomplir la tâche comme si on était dans la vie ordinaire (cadrage hyper pragmatique) ? L’élève tente-t-il d’utiliser toutes les données mentionnées dans la tâche même si cela n’est pas nécessaire (cadrage hyper scolaire) ? L’élève tente-t-il d’utiliser des formules apprises dans les jours précédents, même si cela ne correspond pas (cadrage hyper scolaire) ? Etc.
L’enseignant, présent, est garant qu’aucun élève ne prendra l’ascendant sur les autres. Ainsi, il n’est pas nécessaire que tous les élèves viennent à bout de la tâche lors de la première table, mais que les élèves puissent expliciter ce qu’ils en comprennent. Il est souvent intéressant de faire des détours en dessinant la situation, voire même en produisant une maquette. Il importe que les élèves sortent de cadrages non pertinents.
Au niveau de la mobilisation des procédures, connaissances et savoirs nécessaires à l’effectuation de la tâche. S’il n’y a pas de recours à ces outils cognitifs, est-ce que l’élève ne les connait pas ? Est-ce que l’élève ne sait pas les utiliser ?
Il sera nécessaire alors de revenir avec les élèves concernés sur les procédures qui n’ont pas été automatisées ou sur les connaissances mal mémorisées, mais aussi et surtout sur leur sens et sur leurs usages possibles.
Voici, à notre sens, une opérationnalisation possible du dispositif RCD. Elle présente l’intérêt de s’attaquer à un problème qui concerne quasiment tous les élèves et permet ainsi de contourner le problème des groupes de niveaux. Le recours à la table de compétences permet à l’enseignant d’observer ses élèves en train de penser (penser à voix haute). Ainsi le RCD associé à la table de compétences pourrait être propice à la levée des malentendus.
Sur le site « Enseignement.be[5]http://www.enseignement.be/index.php » sont consignées des tâches inédites et complexes en relation avec les socles de compétences. Ces épreuves peuvent être utilisées tant pour les situations d’enseignement-apprentissage que pour des situations d’évaluation de compétences.
Notes de bas de page
↑1 | Toullec-Théry & Marlot, « Les déterminants du phénomène de différenciation didactique passive dans les pratiques d’aide ordinaire à l’école élémentaire », Revue française de pédagogie, 182/2013, p. 49. |
---|---|
↑2 | Rey et al, Les compétences à l’école. Apprentissage et évaluation, De Boeck, 2012. |
↑3 | Verlinden, « Enseigner et évaluer des compétences : représentations et pratiques déclarées des enseignants de 6e année primaire ; performances des élèves quinze ans après », Mémoire de master en sciences de l’éducation, ULB, 2017. |
↑4 | Battut & Bensimhon, Comment différencier la pédagogie ?, Retz, 2006. |
↑5 | http://www.enseignement.be/index.php |