Sport d’équipe

C’est la rentrée avec la semaine d’accueil pour les élèves. Les groupes sont mélangés, les activités s’enchainent et se clôturent par la journée du « vivre ensemble ». Traditionnellement, les classes se retrouvent par degré et à la fin de la journée, on aboutit à une belle charte que chacun est censé respecter…

Ras-le-bol de cette journée où un prof tient un stand et les groupes passent faire des petits jeux de coopération qui s’enchainent. Chaque année, on remet le couvert avec les mêmes activités. Petits découpages, dessins et belles paroles qu’on affiche ensuite, que tout le monde signe et que peu respectent.

La balle est dans votre camp

Lors du premier Conseil de rentrée, je place les élèves de cette classe de première en cercle et je mets à l’ordre du jour : « Activité vivre ensemble ». Je leur précise qu’on a une journée pour faire mieux connaissance et qu’à la fin de celle-ci, il faudra dégager quelques pistes sur ce qui facilite la vie et l’accrochage de chacun dans l’école.
Que décidons-nous de faire ? Piscine ? Parc ? Snack ? Foot ? Cinéma ?
Les élèves discutent… J’essaie d’avoir une vigilance particulière envers les filles car elles ne sont que 4 pour 18 garçons. À mon grand étonnement, elles sont partantes pour un foot au parc et ensuite, pour aller tous manger au snack. Retour à l’école prévu vers 14 h pour dégager ces fameuses pistes qu’il faudra afficher dans le local.
Christophe s’engage à apporter une balle. (En cuir !)

Attraper la balle au vol

Jour J. Un deuxième match de foot se dispute. Les filles ont participé au premier, mais elles préfèrent maintenant jouer sur les balançoires ou discuter entre elles. Djalil les suit, il n’est pas trop à l’aise avec ce sport. Je suis la partie, mais interviens juste quand le jeu devient trop « physique ». Le parc est désert, tout l’espace nous appartient. Quelques ouvriers de la commune défrichent un espace vert, un peu plus loin.
Soudain, une balle vient vers nous ! Les élèves sur le terrain ne s’en sont pas aperçus, mais les réservistes à côté de moi s’en emparent aussitôt. On regarde autour de nous : personne… Je suppose que les ouvriers ont dû la trouver dans les hautes herbes et nous l’envoyer.
Sylvain commence à jouer avec elle et dit : « Je l’ai vue le premier, elle est à moi ! ». Maurice n’est pas d’accord, il l’a vue aussi ! Les joueurs sur le terrain interrompent leur partie. Le ballon est examiné sous toutes ses coutures. Il est en cuir, gris, avec un logo, c’est décidément un beau ballon…
Toujours personne pour venir le réclamer… Fabrice intervient et dit : « Ça peut devenir la balle de tous ! »
Comme il est l’heure d’aller au snack, je demande que les 2 balles soient rangées et je m’engage à ce qu’on parle de ce cadeau tombé du ciel à notre retour à l’école.

Saisir la balle au bond

« Tout le monde est d’accord ? La balle appartient au groupe ? » Simon vient de faire noter la première décision à Kamila qui tient le secrétariat.
« Mais si elle est à tout le monde, on pourrait quand même l’emprunter individuellement ? »
« Faudrait d’abord la regonfler avant. Qui a une pompe ? Qui veut bien l’apporter ? »
« Ce qu’il nous faudrait, c’est un responsable de la balle. On a bien un responsable tableau, un autre pour les fardes. Pourquoi pas un pour la balle ? »
Sylvain se propose, mais Mustapha aussi. Comment allons-nous décider lequel des deux ce sera ? Finalement c’est par tirage au sort qu’on les départagera. Autre décision, la balle ne pourra pas quitter l’école, pas question de la ramener à la maison même si on en est le responsable.
« Où va-t-on la ranger ? » « Sur l’étagère du bas ? » « Pas question, sur celle du haut, comme ça on pourra tous la voir, tout le temps. »
Ils décident également que la balle ne sortira pas à la récré de 10 h car les jeux sont interdits sur le terrain de foot le matin, par contre ils sont les bienvenus à celle de midi.
« C’est pas obligé que le responsable soit là quand on joue, ce qui est important c’est de savoir à qui il la confie car c’est celui-là qui devra la ramener. »
Simon, en tant que président de ce Conseil improvisé autour de la balle, veille à ce que les décisions soient bien notées par Kamila. Lorsque ça va trop vite, je reformule pour elle. Je crois que nous avons discuté une demi-heure autour de cette balle qui nous était tombée du ciel. Les prises de parole se faisaient de manière organisée, constructive. L’enjeu était de taille aux yeux des élèves et leur investissement à la hauteur.
Vu le temps qu’il restait, en 10 minutes, pour nous mettre en conformité avec les autres classes, nous avons rapidement mis sur papier 5 petites phrases du style : il faut se respecter, ne pas se battre, ne pas s’insulter, respecter les affaires des autres et travailler…

Une balle perdue…

Pas de chance, au bout de 3 semaines, la balle s’est vue confisquée par un éducateur. Un élève l’avait sortie lors d’une récréation de la matinée…
Lorsqu’ils en ont parlé au Conseil suivant, j’ai recherché avec eux comment ils pourraient la récupérer. Finalement, il avait été décidé que le responsable irait trouver l’éducateur et s’arrangerait avec lui. Le temps a passé. Je ne voulais pas m’immiscer trop vite dans sa récupération, mais lorsque j’ai fait le tour du local des éducateurs, je ne l’ai vue nulle part. La balle avait disparu…
Les élèves n’en ont plus reparlé ensuite et une page a été tournée.
Je garde en mémoire la maturité qu’ils ont montrée lors de ce Conseil improvisé, ainsi que le nombre de questions qu’ils ont soulevées et auxquelles ils ont trouvé une solution par eux-mêmes. Ce moment court et intense valait bien toutes les chartes affichées et signées. Il a été un moment où le Conseil a été habité par de vrais enjeux. 